lundi 12 janvier 2009

«La politique migratoire suisse est sans issue»

   PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIER CHAVAZ    

ActuelSANS-PAPIERS - A Zurich, canton intraitable avec les étrangers sans statut légal, le mouvement pour la régularisation s'est récemment réveillé. Interview d'un porte-parole. 
Une législation fédérale parmi les plus dures d'Europe et des disparités énormes d'application selon les cantons. Pour les sans-papiers et des recalés du circuit de l'asile –entre 90000 et 120000, selon les estimations prudentes– l'obstacle est double. Le mouvement d'occupation mené pendant trois semaines à Zurich en a été la démonstration. Car le centre économique du pays, à la différence d'autres, se refuse à requérir la régularisation des fameux «cas de rigueur» –selon le temps d'établissement, l'exercice d'une profession, le degré d'intégration, etc. A l'intention des requérants déboutés ou frappés d'une non-entrée en matière, les autorités zurichoises ont établi un régime d'aide d'urgence minimal, qui bafouerait la dignité des bénéficiaires. Si cette réalité cantonale est particulièrement révoltante – «Zurich viole la loi fédérale»–, c'est bien l'ensemble de la politique migratoire suisse qui est une «voie sans issue», rappelle en substance Stefan Schlegel, 26 ans, militant de l'association Bleibe recht für alle (droit de rester pour tous) au bord de la Limmat. Entretien. 

Quel bilan tirez-vous de l'occupation de la Predigerkirche, au centre-ville de Zurich? 
Stefan Schlegel: Globalement, cela a été une expérience positive même si l'atmosphère est restée assez froide en dépit de l'intérêt des médias et que les résultats concrets sont minimes. Le fait d'avoir pu établir un dialogue direct entre des sans-papiers et la population est très important. On a ainsi pu se rendre compte des énormes malentendus qui prévalent dans l'opinion publique. Beaucoup de gens nous ont par exemple dit: 'Pourquoi ne les envoyez-vous pas travailler?'... Mais l'abolition de l'interdiction de travailler pour les recalés de l'asile, c'est justement l'une de nos revendications! 
Ce mouvement a aussi été l'occasion de tisser des liens avec des sans-papiers d'autres cantons. Il est très important de pouvoir discuter et comparer les situations vécues. Une délégation vaudoise s'est déplacée. Le témoignage d'un Kosovar qui a reçu son permis B après des années de lutte, une grève de la faim et des incarcérations s'est révélé l'un des moments les plus émouvants. 


Il y également eu une manifestation le 3 janvier. 
Oui et nous avons aussi été agréablement surpris par la mobilisation (entre 1000 et 2500 personnes selon les chiffres, ndlr). En cette période de vacances, c'était inespéré. 


Comment s'est prise la décision de mettre fin à l'occupation? 
Nous avons d'abord accepté de quitter la Predigerkirche pour une autre église, ce qui était la condition posée pour obtenir un entretien avec le Conseil d'Etat. Les autorités ecclésiastiques nous ont permis de rester trois jours à la St-Jakob Kirche. Fallait-il s'y installer plus longtemps? A l'issue d'une discussion très engagée, parfois chaotique, la majorité des sans-papiers s'y est opposée, estimant que cela pourrait faire du tort à la cause. Ceux qui entendaient rester se sont retirés pour préserver la cohésion du mouvement. 


Quelle a été la réaction de l'Eglise réformée zurichoise? 
Il est difficile de juger ses représentants. D'un côté, ils se disent très touchés par la problématique et de l'autre, ils ne sont pas prêts à faire grand-chose, hormis apporter une aide pratique. Nous attendons de l'institution une prise de position politique en faveur d'un changement de politique migratoire. Mais pour l'Eglise, le respect de l'Etat de droit passe avant tout... 


La classe politique s'est montrée plus ouverte? 
Un peu. Les parlementaires socialistes, verts et de la liste alternative ont signé une déclaration publique de soutien. J'ai toutefois bien peur qu'ils oublient très rapidement la question. Vu le climat politique en matière migratoire, la gauche sait qu'elle n'a rien à gagner sur ce dossier. Quant à la droite, à l'exception du PDC, elle a réitéré son refus de tout changement. 


De Suisse romande, les informations sur votre entrevue avec le chef du Département de la sécurité Hans Hollenstein ont semblé contradictoires. Comment cela s'est-il réellement passé? 
Hans Hollenstein s'est montré très gentil et très accueillant, mais il a soigneusement évité de se prononcer sur nos revendications. Avec un peu de recul, nous sommes choqués par son cynisme: alors qu'il déclare être sensible au sort de ces personnes sans statut légal, il ne veut rien faire pour l'améliorer, prétendant que seuls le Grand Conseil et la Confédération sont compétents en la matière... Concrètement, le conseiller d'Etat s'est seulement engagé à soutenir la réactivation d'une commission d'examen des cas de rigueur. Cela pourrait éviter certaines injustices dans le traitement des dossiers, car actuellement, ce sont des fonctionnaires qui décident seuls du destin de vies humaines (à l'Office cantonal des migrations, ndlr). 


Vous estimez de votre côté que le Conseil d'Etat a bel et bien une marge de manoeuvre pour agir. 
Oui. D'abord pour assouplir les critères définissant les cas de rigueur. Zurich est extrêmement sévère en la matière. Un exemple: le canton requiert un passeport en cours de validité, et rien d'autre, pour établir l'identité des personnes. C'est une interprétation objectivement fausse des lois fédérales sur les étrangers et l'asile, qui n'en demande pas tant. Résultat, seuls quatre cas de rigueur ont été admis en 2007 et aucun l'an passé! Comparé à Saint-Gall, un canton qui est loin d'être généreux dans ce domaine, Zurich aurait dû en enregistrer quelque 300, et bien plus si on se réfère aux pratiques en vigueur en Suisse romande. 


L'amélioration des conditions de vie des recalés de l'asile (non-entrée en matière et déboutés) constitue une autre revendication. 
Là aussi, le gouvernement peut agir. Le régime d'aide d'urgence zurichois alloue 60 francs hebdomadairement aux ex-requérants sous forme de bons Migros... Pour les recevoir, ils doivent se déplacer souvent en périphérie mais sans moyen légal de payer leur titre de transport public. On les contraint à resquiller! 
Les tracasseries concernent aussi l'hébergement: une centaine d'hommes célibataires sont ainsi obligés de changer de foyer d'accueil chaque semaine. Selon le canton, cette pratique serait nécessaire pour des raisons administratives liées au renouvellement de l'aide. En réalité, c'est un moyen de fatiguer les gens. Mais s'ils disparaissent des registres, cela ne veut pas dire qu'ils quittent la Suisse. 


Quelle suite entendez-vous donner au mouvement? 
Nous espérons profiter de ce nouveau dynamisme. Le Grand Conseil devrait se prononcer d'ici au printemps sur la réactivation de la commission d'examen des cas de rigueur. Dans cette perspective, nous allons entamer un travail d'explication et de sensibilisation auprès des partis politiques. Pour le reste, nous verrons.

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