Centre de transit, Genève. Photo M. Bührer (archive) | 12 décembre 08 - SPECIAL 60ème - Les Suisses ont adopté les lois sur l’asile et les étrangers les plus dures d’Europe. Alors, racistes les Helvètes ? Pas si simple. La population reste mal informée et peu sensibilisée. Et, au pays de la démocratie directe, c’est le peuple qui a le dernier mot |
Isolda Agazzi/Tribune des droits humains - Hiver 2008 : Lila B., une Ukrainienne de 47 ans, est retrouvée dans les montagnes du sud de la Suisse, errant dans la neige avec ses cinq enfants. Elle vient de franchir la frontière illégalement. En état d’hypothermie, la famille est recueillie de justesse et dépose une demande d’asile auprès de l’Office fédéral des migrations. La demande est rejetée et la famille renvoyée.
L’histoire est symptomatique du climat qui règne dans un pays dont la tradition humanitaire s’érode. La Suisse a durci sa législation sur l’asile et les étrangers et les ONG accusent les nouvelles dispositions de violer les droits de l’homme. Ou plutôt, il faudrait dire « les Suisses ». Car c’est bien le peuple qui s’est exprimé par referendum, le 24 septembre 2006. « Un dimanche noir pour le droit d’asile, tempêtait Daniel Bolomey, Secrétaire général de la section nationale d’Amnesty International. La Suisse se dote des lois les plus restrictives d’Europe, alors que les demandes d’asile n’ont jamais été aussi peu nombreuses depuis vingt ans ! » Pourtant, la société civile, la gauche et les Eglises avaient âprement combattu les deux textes.
Mais dans un pays de démocratie directe, c’est le peuple qui a le dernier mot. Même quand il approuve des lois potentiellement contraires au droit international. A la demande du Brésil, la Suisse s’est d’ailleurs engagée, lors de l’Examen périodique universel (EPU) de juin 2008, à examiner la compatibilité de la nouvelle législation avec ses engagements internationaux en matière de droits de l’homme.
Pas de cour constitutionnelle
Ces lois prévoient la non-entrée en matière en cas d’absence de documents d’identité ; l’exclusion de l’aide sociale pour les requérants déboutés ; la suppression de l’admission humanitaire ; le durcissement des mesures de détention et la possibilité pour les autorités suisses de prendre contact avec les autorités des pays d’origine. Des restrictions qui font la grande affaire des passeurs.
« Le problème est qu’en Suisse il n’y a pas de cour constitutionnelle pour casser les lois contraires au droit international, explique Ueli Leuenberger, président du Parti écologiste suisse. Pour l’instant, seul un jugement de la Cour européenne des droits de l’homme peut modifier une loi. »
Alors, raciste les Suisses ? « Non ! Assure Ueli Leuenberger. Mais certains partis font appel à des instincts xénophobes et racistes. Et même si la majorité de la population a voté pour ces deux lois, le principal parti [l’Union Démocratique du Centre, UDC] recueille moins d’un tiers des voix. Ces durcissements sont dus à Christophe Blocher [le ministre de la justice de l’époque, UDC]. Nous avons maintenant deux catégories d’étrangers : les Européens et les hors Européens, qui sont discriminés sur le marché du travail et pour le regroupement familial. »
Mieux soutenir les associations
Les autorités en font-elles assez pour lutter contre le racisme ? « La Suisse a adopté une norme anti-racisme et créé une Commission nationale contre le racisme » souligne Adrien-Claude Zoller, directeur de l’ONG Genève pour les droits de l’homme. Mais pas de loi qui interdise l’incitation à la haine raciale, comme l’avait relevé l’EPU. « C’est une recommandation de certains pays du Sud qui, dans le sillage du la Conférence de Durban, utilisent la soi-disant lutte contre le racisme - et la prétendue diffamation des religions - pour détruire la liberté d’opinion et d’expression. »
Pour le président des Verts, le gouvernement devrait mieux expliquer les raisons qui poussent les gens à venir chercher du travail en Suisse et la politique de recrutement de la main d’œuvre étrangère. Les Helvètes n’ont-ils pas eux-mêmes émigré pendant des siècles ? « La majorité des requérants d’asile obtiennent le statut de réfugiés ou sont admis provisoirement. Ce qui prouve leur crédibilité. Mais on ne le dit pas assez. Les autorités devraient soutenir beaucoup plus les associations qui luttent contre le racisme » affirme-t-il.
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