mercredi 30 janvier 2008

Fernand Melgar garde l'oeil ouvert



«Les clandestins de 2008 ont
remplacé les saisonniers de 1964.
La dégradation sociale en plus»
LAUSANNE, LE 19 JANVIER 2008
PHOTO PHILIPPE MAEDER

Que la douceur du regard ne leurre pas. Fernand Melgar, documenta­riste vaudois, est une mule. Anda­louse de surcroît. Il ne change jamais d’avis, toujours il tient son cap. Cet entêtement — en cherchant bien il l’avoue — est même un vilain défaut. «Je n’écoute pas assez les gens qui me sont proches.» C’est aussi une qualité qui avec un chouïa de patience lui a permis de gagner la confiance de l’Office fédéral des migrations (ODM). Melgar réalise en ce moment un documentaire,
La forteresse, sur le Centre d’enregistrement et de procédure (CEP) à Vallorbe.
Sourire aux inconnus reste le meilleur moyen de les approcher. Essentiel quand on veut faire partie des meubles pour filmer de très près. Voilà des mois que le documentariste habite avec l’équipe de tournage une maison près de «la Forte­resse ». Il a été jusqu’à servir à 7 h un lait chaud aux requérants d’asile pour le petit­déjeuner. Ce geste est la marque de son savoir-faire. A Vallorbe le tournage dure jusqu’à 20 h. Le documentariste est libre de se promener où il le souhaite. Viendront ensuite six mois de montage et le passage du documentaire 35 mm sur la TSR et Arte. Une mule donc.
La douceur du regard encore est empa­thique. Fernand Melgar est un frère pour l’autre. Surtout quand l’autre est un petit, un obscur, un sans-grade, un nobody.
«J’aime profondément l’humain. Alors je rencontre et raconte. Sans commentaire, sans musique. Mais à la différence des journalistes, je me donne les moyens de temps.» prendre mon Le temps, il le trouve pour vivre pendant deux ans près des membres de l’association Exit. Se faisant tout petit, il filme jusqu’au dernier moment celles et ceux qui ont choisi la mort, l’auto-délivrance. Y a-t-il eu buée sur l’oeilleton de la caméra? En tout cas le pathos n’a pas pollué la chronique de ces deuils partagés. Ensuite Exit, le droit de mourir a raflé des couronnes de lauriers dans les festivals européens.
Un père «mort de tristesse» l’été der­nier, une mère toujours «pleine de vie», les parents de Fernand sont la source du style Melgar, de sa révolte inextinguible contre les injustices. Lui, le fils de saison­nier qui devait se cacher sous le lit quand la police frappait à la porte du domicile familial à Chavannes-près-Renens. Para­doxe, l’adulte n’oubliera jamais que c’est un policier municipal qui, fermant les yeux, a invité sa famille à scolariser l’en­fant. «Les clandestins de 2008 ont rem­placé les saisonniers de 1964. La dégrada­tion sociale en plus.» Aussi fin 2008 quand il en aura terminé avec les demandeurs d’asile, Fernandito, petit clandestin de 1964, tournera sa pre­mière fiction, Loin derrière la montagne. Le scénario, écrit avec Janka Rahm, raconte l’histoire d’une famille de sans-papiers équatoriens à Lausanne.
Revendiquant une communauté de pen­sée avec les Belges Dardenne et le Britanni­que Ken Loach, Fernand Melgar rêve de fresque sociale mais se défie de tout mani­chéisme, «ce qu’aurait tendance à faire un militant d’extrême gauche». Pas de boîte à outils marxiste pour ce libertaire qui avait deux grands-pères syndicalistes anarchistes. Pas militant doctrinaire mais un oeil ouvert. Ainsi il y a plus d’un quart de siècle, plus souvent qu’à son tour, Fernand Melgar est mis au cachot dans les combles de l’Ecole de commerce au Maupas. Il voit passer des jeunes de Lausanne Bouge. Une banderole l’enchante. Il y avait écrit quelque chose comme: «Ne pas mourir de faim se paie par mourir d’ennui». Cela lui plut, il suivit la manif. Et comme il ne fait rien à moitié, arrivé au Centre autonome, il a fondé dans la foulée le Cabaret Orwell, l’ancêtre de la Dolce Vita.
Il s’y est fait les souvenirs inoxydables de ses 20 ans. Comme le soir où quintuplant leur tube La décadence c’est la bonne am­biance, les Civils finirent par défoncer l’issue de secours pour fuir leur public. Il y a tissé aussi de solides amitiés qui durent encore. Climage, collectif bien vivant de documentaristes, est toujours là pour le rappeler au coeur du Maupas.
Un article d'Alain Walther dans 24 Heures

Aucun commentaire: