mercredi 5 septembre 2007

Comptoir: pourquoi je n'irai pas

Lire la réflexion de Myriam Tétaz dans 24 heures
Présidente du Conseil communal de Lausanne, j’étais invitée à la cérémo­nie officielle du Comptoir Suisse. En un premier temps, j’ai ac­cepté de m’y rendre. En effet j’ai, pendant une année, une fonc­tion de représentation. A ce titre, je me dois de représenter tout le Conseil communal, c’est-à-dire les différents groupes politiques que le composent, y compris l’UDC. J’aurais eu le sentiment de manquer à mon devoir de représentation en refusant cette invitation, même si la place d’honneur offerte à M. Christoph Blocher me paraissait non seule­ment contestable, mais mala­droite dans le contexte actuel. Après tout, il peut être utile de mieux connaître un adversaire politique. De plus, les conversa­tions informelles qui suivent les parties officielles sont l’occasion de poser des questions naïves, parfois désarçonnantes, d’affir­mer opposition et différence, et d’être en cela représentative de ceux qui pensent autrement.
Pourtant, au lendemain de la diffusion du clip de l’UDC, où figurent M. et Mme Blocher, j’ai écrit à la direction du Comptoir que je n’irais pas. Au sein du Conseil communal, nous avons des collègues étrangers, de cou­leur ou musulmans. Je les repré­sente eux aussi. Il m’est impossi­ble de cautionner par ma pré­sence des politiciens qui placent sous le signe de l’enfer des mères qui promènent leur bébé ou des gens qui attendent le bus. Car le clip faisait d’une mère, parce qu’elle est voilée, d’un passant, parce qu’il est Noir, un suppôt de Satan: l’enfer, c’est eux. La limite est ici dépassée. Et il n’y a pas d’excuse possible du genre: en français, l’expression «mouton noir» est usuelle et ne désigne pas nécessairement quelqu’un de couleur.
Non. Je suis d’une génération qui a vécu la Deuxième Guerre mondiale et les problèmes d’éthi­que débattus pendant et après le conflit: le devoir de dire non, le devoir de désobéissance à sa fonction ou à ses supérieurs, la nécessité morale de l’affirmer publiquement. M me Calmy-Rey appelle à manifester son indi­gnation; elle a raison. Je n’irai pas à la cérémonie officielle du Comptoir Suisse.
Je le fais parce que je suis fermement convaincue que je dois refuser, mais je le fais aussi à la mémoire de mon père et de sa famille, des émigrés italiens. Nous étions les moutons noirs de l’époque. Je le fais à la mémoire des amis juifs que mon mari, Vaudois né en Allemagne, a pleu­rés, des élèves juifs pour qui il s’est battu afin que leurs exa­mens ne soient pas compromis par leur respect du sabbat. Je le fais parce que tout être humain a droit, a priori, au respect et à une vie libre et décente.
Reste une question: pourquoi le Comptoir Suisse a-t-il invité M. Blocher? Stratégie ou provo­cation? Car manifestation il y aura, à n’en pas douter. Et il est un peu facile d’accuser l’extrême gauche d’être les trouble-fête, puisque même la présidente de la Confédération, dégoûtée, la souhaite. J’ai rencontré des ci­toyens de toutes tendances poli­tiques décidés à boycotter le Comptoir. C’est en effet une fa­çon non violente de dire non.
Et si la foire lausannoise y laisse des plumes, elle l’aura cherché. Dommage pour les ex­posants.
«Impossible de cautionner des politiciens qui font d’une mère, parce qu’elle est voilée, d’un passant, parce qu’il est Noir, un suppôt de Satan: l’enfer, c’est eux »

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