Tandis que Messieurs Merz et Blocher ont visiblement du mal à cacher leur satisfaction face à la presse, Ruth Dreifuss elle se dit «déçue mais pas découragée». Il est rare qu’un ancien Sage s’engage avec tant de conviction dans une campagne de votations.
L’acceptation de la révision des deux lois est massive. Face à l’ampleur de la défaite, comment la gauche peut-elle rebondir?
Christophe Darbellay, le président du PDC, avait proclamé être l’inventeur du «petit oui». Le peuple suisse lui a préféré sa version extralarge. A respectivement 67,75%, et 67,96%, le souverain a très largement approuvé la révision des lois sur l’asile (LAsi) et sur les étrangers (LEtr). Au rayon des Jasager, Schwytz est tout devant et Zurich pas très loin derrière. Mais il n’y a a pas de röstigraben.Même les cantons de Vaud et de Genève, où la mobilisation des opposants avait été forte, y compris dans certains milieux bourgeois, ont voté non. Une Suisse entièrement verte sur la carte, à l’exception de quelques villes, et une grande claque rose pour la gauche en général. Et les socialistes en particulier, qui devront pourtant forcément rebondir sur un thème peu porteur électoralement.
Ce vote ne surprend pas Etienne Piguet, spécialiste en migrations à l’Université de Neuchâtel: «D’une part, les sondages allaient dans ce sens. D’autre part, il y a une continuité historique assez remarquable sur ce thème de l’asile et des étrangers. Ce que j’appellerai l’entrouverture suisse. Avec un désarroi sur des flux que l’on ne comprend plus.» A l’heure de l’analyse, les responsables socialistes n’admettent que du bout des lèvres la mollesse de leur campagne. «Nous savions que nous étions un commando sans aucune chance, renchérit la nouvelle présidente du groupe socialiste aux Chambres, Ursula Wyss. Le PS se devait de bien défendre COSA parce qu’il partait seul contre tous. Pour l’asile et les étrangers, nous pouvions compter sur une grande coalition de la société civile.» Pour Thomas Christen, secrétaire général du PS, «ce score correspond à notre électorat et à celui des Verts. Il est difficile de gagner une votation contre le Conseil fédéral et l’ensemble des partis bourgeois. » Et maintenant? Alors que Christoph Blocher a révélé – en français! – le calendrier serré de la mise en oeuvre échelonnée et rapide (entre 2007 et 2008) des deux lois, il s’est refusé à commenter le résultat: «Ce n’est pas ma victoire, mais une décision très importante.» Le conseiller fédéral se contente donc de demander aux autorités compétentes (cantons, communes, tribunaux) d’appliquer «avec détermination » les dispositions approuvées par le souverain.
Pour la gauche, la «résistance » devra donc s’organiser rapidement. Quasi instantanément, les organisations non gouvernementales ont annoncé une vigilance stricte de cette application, notamment la création d’un «observatoire des abus» ( lire ci-dessous). Pour le PS, Thomas Christen emboîte le pas: «Nous allons déposer dès demain des motions et des interpellations au niveau cantonal. Notamment pour qu’il n’y ait pas d’iniquités au niveau national entre les traitements des différents cas de rigueur.» Ursula Wyss ajoute: «De grandes promesses ont été faites par les partisans du oui. Dont certaines sont d’ailleurs en contradiction avec les deux lois. Nous veillerons à ce qu’elles soient tenues.» Même discours chez Ruth Dreifuss, présidente du comité d’opposants, «déçue, mais pas découragée. Le combat contre les idées de l’UDC continue.» Quant aux Verts, par l’entremise de leur section vaudoise, ils songent à lancer une initiative sur la politique migratoire suisse. Prévoyant notamment, selon la conseillère nationale Anne-Catherine Menetrey, «une entrée en matière pour toutes les demandes d’asile; un permis pour chaque emploi et une passerelle plus rapide entre les différentes autorisations de séjour.
La gauche mal à l’aise par définition
En matière de politique d’asile et d’étrangers, Etienne Piguet doute que le PS proposera autre chose qu’un arsenal réactif: «Sur cette thématique, la gauche est par définition mal à l’aise pour soutenir ses principes de solidarité universelle et humaniste. Sa vision s’oppose à la logique de fonctionnement de l’Etat-nation et de la souveraineté nationale. Marquée en Suisse par une solidarité à l’intérieur des frontières plus qu’à l’extérieur. Dans ce sens, et même si ce serait souhaitable, elle peine à proposer une politique de régime migratoire qui lui est propre. Et son rôle pourrait se borner à observer et à dénoncer les dérapages dans l’application de ces nouvelles lois.» A une petite année des élections fédérales, les socialistes abandonneraient ainsi une thématique peu lucrative en matière de bulletins de vote. «J’espère bien que nous ne serons pas paralysés par cette échéance électorale », se défend Arnaud Thiéry, secrétaire central des Jeunesses socialistes suisses. Après les radicaux, le Parti socialiste a d’ailleurs agendé l’intégration au menu de son congrès de décembre. Impossible d’en savoir plus: «Le document est en progrès», avoue Ursula Wyss.
CLAUDE ANSERMOZ
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