lundi 25 septembre 2006

"Penser" la migration

Le double oui massif qui pousse la gauche à enfin «penser» la migration: c'est avec ce titre que 24 Heures présente les résultats des votations d'hier.

Tandis que Messieurs Merz et Blocher ont visiblement du mal à cacher leur satisfaction face à la presse, Ruth Dreifuss elle se dit «déçue mais pas découragée». Il est rare qu’un ancien Sage s’engage avec tant de conviction dans une campagne de votations.

L’acceptation de la révision des deux lois est massive. Face à l’ampleur de la défaite, comment la gauche peut-elle rebondir?

Christophe Darbellay, le président du PDC, avait proclamé être l’inventeur du «petit oui». Le peuple suisse lui a préféré sa version extra­large. A respectivement 67,75%, et 67,96%, le souverain a très large­ment approuvé la révision des lois sur l’asile (LAsi) et sur les étrangers (LEtr). Au rayon des Jasager, Schwytz est tout devant et Zurich pas très loin derrière. Mais il n’y a a pas de röstigraben.Même les cantons de Vaud et de Genève, où la mobilisation des opposants avait été forte, y com­pris dans certains milieux bour­geois, ont voté non. Une Suisse entièrement verte sur la carte, à l’exception de quel­ques villes, et une grande claque rose pour la gauche en général. Et les socialistes en particulier, qui devront pourtant forcément re­bondir sur un thème peu porteur électoralement.

Ce vote ne surprend pas Etienne Piguet, spécialiste en mi­grations à l’Université de Neuchâ­tel: «D’une part, les sondages al­laient dans ce sens. D’autre part, il y a une continuité historique assez remarquable sur ce thème de l’asile et des étrangers. Ce que j’appellerai l’entrouverture suisse. Avec un désarroi sur des flux que l’on ne comprend plus.» A l’heure de l’analyse, les res­ponsables socialistes n’admet­tent que du bout des lèvres la mollesse de leur campagne. «Nous savions que nous étions un commando sans aucune chance, renchérit la nouvelle présidente du groupe socialiste aux Chambres, Ursula Wyss. Le PS se devait de bien défendre COSA parce qu’il partait seul contre tous. Pour l’asile et les étrangers, nous pouvions comp­ter sur une grande coalition de la société civile.» Pour Thomas Christen, secrétaire général du PS, «ce score correspond à notre électorat et à celui des Verts. Il est difficile de gagner une vota­tion contre le Conseil fédéral et l’ensemble des partis bour­geois. » Et maintenant? Alors que Christoph Blocher a révélé – en français! – le calendrier serré de la mise en oeuvre échelonnée et rapide (entre 2007 et 2008) des deux lois, il s’est refusé à com­menter le résultat: «Ce n’est pas ma victoire, mais une décision très importante.» Le conseiller fédéral se contente donc de de­mander aux autorités compéten­tes (cantons, communes, tribu­naux) d’appliquer «avec déter­mination » les dispositions ap­prouvées par le souverain.

Pour la gauche, la «résis­tance » devra donc s’organiser rapidement. Quasi instantané­ment, les organisations non gou­vernementales ont annoncé une vigilance stricte de cette applica­tion, notamment la création d’un «observatoire des abus» ( lire ci-dessous). Pour le PS, Tho­mas Christen emboîte le pas: «Nous allons déposer dès de­main des motions et des inter­pellations au niveau cantonal. Notamment pour qu’il n’y ait pas d’iniquités au niveau national entre les traitements des diffé­rents cas de rigueur.» Ursula Wyss ajoute: «De grandes pro­messes ont été faites par les partisans du oui. Dont certaines sont d’ailleurs en contradiction avec les deux lois. Nous veille­rons à ce qu’elles soient tenues.» Même discours chez Ruth Drei­fuss, présidente du comité d’op­posants, «déçue, mais pas dé­couragée. Le combat contre les idées de l’UDC continue.» Quant aux Verts, par l’entre­mise de leur section vaudoise, ils songent à lancer une initiative sur la politique migratoire suisse. Prévoyant notamment, selon la conseillère nationale Anne-Catherine Menetrey, «une entrée en matière pour toutes les demandes d’asile; un permis pour chaque emploi et une pas­serelle plus rapide entre les diffé­rentes autorisations de séjour.

La gauche mal à l’aise par définition

En matière de politique d’asile et d’étrangers, Etienne Piguet doute que le PS proposera autre chose qu’un arsenal réactif: «Sur cette thématique, la gauche est par définition mal à l’aise pour soutenir ses principes de solida­rité universelle et humaniste. Sa vision s’oppose à la logique de fonctionnement de l’Etat-nation et de la souveraineté nationale. Marquée en Suisse par une soli­darité à l’intérieur des frontières plus qu’à l’extérieur. Dans ce sens, et même si ce serait souhaitable, elle peine à proposer une politi­que de régime migratoire qui lui est propre. Et son rôle pourrait se borner à observer et à dénoncer les dérapages dans l’application de ces nouvelles lois.» A une petite année des élec­tions fédérales, les socialistes abandonneraient ainsi une thé­matique peu lucrative en matière de bulletins de vote. «J’espère bien que nous ne serons pas para­lysés par cette échéance électo­rale », se défend Arnaud Thiéry, secrétaire central des Jeunesses socialistes suisses. Après les radi­caux, le Parti socialiste a d’ailleurs agendé l’intégration au menu de son congrès de décembre. Impos­sible d’en savoir plus: «Le docu­ment est en progrès», avoue Ur­sula Wyss.

CLAUDE ANSERMOZ

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