samedi 1 juillet 2006

Les deux lex Blocher n'ont rien à envier à la loi Sarkozy


Lire les articles de Didier Estoppey dans le Courrier
Le projet de loi du ministre français de l'Intérieur est chahuté dans l'Hexagone comme en Afrique. Les lois suisses sur l'asile et les étrangers, qui font très peu de bruit au-delà de nos frontières, valent pourtant très largement leur cousine française.

Serait-ce un des effets de la fièvre footbalistique qui sévit depuis le coup d'envoi de la Coupe du monde? C'est sans grand émoi apparent que le Sénat français vient d'achever son examen de la loi Sarkozy sur l'immigration. Une manifestation nationale est toutefois convoquée, aujourd'hui à Paris, par le collectif «contre une immigration jetable» pour exiger le retrait du projet de loi, qui doit encore faire l'objet d'un examen par une commission mixte avant son adoption définitive. Le passage du même texte en mai devant l'Assemblée nationale (chambre basse) avait amené des dizaines de milliers de manifestants à descendre dans les rues de l'Hexagone pour s'opposer au durcissement de la politique migratoire française.
Le projet de loi provoque aussi de vives protestations dans les pays concernés, comme le ministre de l'Intérieur français a pu s'en apercevoir ce printemps lors d'un voyage en Afrique de l'Ouest. Récemment encore, le président sénégalais Abdoulaye Wade s'attaquait à Nicolas Sarkozy dans une tribune publiée par Le Monde.


«Immigration choisie»

Si la loi Sarkozy suscite une telle levée de boucliers, c'est qu'elle pose un concept nouveau pour la politique migratoire française: celui d'«immigration choisie», qu'on oppose désormais explicitement à l'«immigration subie». Une approche explicitée ainsi par Nicolas Sarkozy lors des débats à l'Assemblée nationale: «L'immigration pour motif de travail demeure marginale alors qu'on accepte un flux croissant d'immigration familiale, qui déséquilibre fortement le marché du travail. C'est le contraire de ce qu'il faut faire.»
Cette vision utilitariste des choses n'est pas sans rappeler une certaine Loi sur les étrangers (LETr), adoptée par les Chambres fédérales le 16 décembre dernier, et attaquée par un référendum qui lui vaudra son passage devant le peuple le 24 septembre. Une loi dont le principe cardinal est que «l'admission d'étrangers en vue de l'exercice d'une activité lucrative doit servir les intérêts de l'économie suisse.» Et qui limite l'immigration extra-européenne aux seuls «cadres, spécialistes ou autres travailleurs qualifiés».
Pourtant, force est de constater (lire ci-dessous) que cette loi très décriée en Suisse, tout comme sa soeur jumelle consacrée à l'asile, va sur de nombreux points nettement plus loin que le nouveau «Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile» (CEDESA), libellé officiel du projet Sarkozy. Celui-ci n'émet ainsi pas aussi strictement une interdiction d'entrée aux extra-Européens non qualifiés. Une carte de séjour «compétences et talents», valable trois ans, est toutefois réservée aux plus méritants. De même, la rupture du contrat d'un travailleur étranger admis en France n'entraînera pas le retrait de son titre de séjour. Alors que selon la Loi sur les étrangers (LEtr), une autorisation de séjour peut être retirée «si l'étranger ou une personne dont il a la charge dépend de l'aide sociale».


Deux poids deux mesures?

On serait dès lors en droit de se demander pourquoi les deux «lex Blocher», certes très chahutées en Suisse (12000 manifestants étaient dans les rues de Berne le 17 juin), ne font pas plus de bruit au-delà de nos frontières, comme c'est le cas de la loi Sarkozy. Certes, la Suisse n'a pas de passé colonial, ni une aussi longue tradition de présence africaine sur son sol. L'avocat Christophe Tafelmacher, membre de SOS-Asile Vaud, risque toutefois une autre explication: «La Suisse continue à bénéficier à l'étranger d'une image très flatteuse en matière de droits de l'homme, même si celle-ci est largement imméritée.»

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