samedi 1 juillet 2006

Bex, le village qui se méfie des Noirs comme des Blancs


Lire l'article de Laurent Antonoff dans 24heures.

Depuis le saccage lundi soir d’un restaurant par des requérants africains, les villageois avouent leurs peurs: des Noirs comme des Blancs. Pour le syndic, «le racisme est en train de monter».

Sur la place du Marché à Bex, une affiche prône la tolérance entre les différents peuples. On annonce la prochaine Fête des Couleurs à Aigle. Une rame du flamboyant BVB fait halte juste en face. Il y a du rouge sur les flancs du train. Du jaune. Du bleu aussi. Dans la tête des Bellerins pourtant, depuis le saccage d'un restaurant lundi soir (24 heures de mercredi), une seule teinte prédomine. C'est le noir. «On en a ras-le-bol», lâche une commerçante. Elle souhaite rester anonyme. Elle dit craindre que les Africains du centre Fareas viennent «tout brûler» chez elle. Le mot «nègre» est prononcé par cet autre. A Bex, c'est visiblement le noir complet. Bien malin qui saura dire d'où reviendra la lumière.

«L'autre nuit, je me suis arrêté pour faire le plein à la station-service. Soudain, un Noir est apparu dans les phares de ma voiture. Puis un autre. Au final, ils étaient cinq autour de moi.» Le témoignage est celui d'un commerçant présent à Bex depuis 25 ans. Il dit que même «les flics» ont peur des requérants; qu'ils ne se déplacent plus quand on leur signale du trafic de drogue. «Et l'autre soir, ce dealer Guinéen au Grotto, il faisait quoi en Suisse alors qu'il s'était vu refuser l'asile depuis deux ans? Le patron, il faudrait lui donner une médaille!» Ou une étoile de shérif? «Bex n'est pas encore le Far West. Notre image est bien plus vilaine que ne l'est la réalité. Mais les dealers sont comme les assassins: il faut les mettre en cage et loin!»

«Les autochtones ont peur de sortir le soir»

Cette image de Far West, de Bellerins prompts à faire justice eux-mêmes, le syndic Michel Flückiger la réfute. Il a 56 ans. Il est né ici. Mais bon. Dans son village, les «autochtones» auraient de plus en plus peur de sortir le soir. Une femme confirme. «Quand vous arrivez tard à la gare, vous prenez un taxi pour rentrer chez vous. Finies les rentrées à pieds. A la Fareas, qu'on nous mette des familles et non plus les interdits de Lausanne ou de Vallorbe!» Le syndic: «tout le monde se regarde de travers désormais. Le pire, c'est que même si les Africains ne font rien, le racisme est en train de monter. Après 23h00, on ne croise pas plus d'un ou deux Blancs au centre, contre une trentaine de Noirs.»

Des Africains qui auraient même leur stamm, à la nuit tombée. Le quartier général des requérants, c'est le bar City. Le Central aussi, mais dans une moindre mesure. Le City est situé à quelques dizaines de mètres seulement du Grotto. On dit que lundi soir, la vingtaine d'Africains qui l'a saccagé venait justement de là. Le patron se refuse à tout commentaire. Il ne veut pas de problèmes. On craint pour un pavé dans la vitrine. Ou pire. D'autres se montrent plus causants, mais toujours de façon anonyme. Ici, ce sont les Blancs qu'on redoute, ceux qui accusent notamment les Africains de «siffler leurs femmes.» A les écouter, il existerait même à Bex des lieux désormais accessibles ou non aux Noirs. «C'est tout juste si ce n'est pas marqué White Only sur la porte.» Une légende bellerine? Quand on demande au patron du Grotto du Chablais s'il accepte les Africains chez lui, il répond avec malice «seulement ceux en salopettes». Comprenez: ceux qui travaillent.
John, requérant africain à la Fareas depuis 18 mois: «On n’est pas tous de méchants Noirs»

PAROLES DE REQUÉRANTS Pour les Noirs qui séjournent au centre de la Fareas de Bex, «les jours sont difficiles». Leur requête: «Ne nous mettez pas tous dans le même sac.»


Jeudi soir à Bex, c'est sur un parking un peu en retrait du centre-ville que de jeunes requérants africains se sont donné rendez-vous. Ils sont une dizaine. Plusieurs sont assis sur un banc à l'ombre d'un arbre. Un dans la cabine téléphonique. John* parle au nom du groupe. En anglais seulement. Il ne dit pas son âge. Ni son pays d'origine. Il affirme séjourner au centre de la Fareas à Bex depuis dix-huit mois. «Les jours sont difficiles pour nous ici… Surtout depuis lundi soir. Les gens nous voient et aussitôt ils nous jugent. Ne nous mettez pas tous dans le même sac. Nous ne sommes pas tous des méchants Noirs. Il y en a aussi chez vous. On vient de la guerre. Nous avons vécu le stress. Si nous sommes venus en Suisse, c'est pour nous retrouver en sécurité. Pas le contraire!»

Que font-ils là sur ce parking? «On est mieux ici qu'au centre. On ne se cache pas des villageois, mais quand tu n'as pas d'argent pour boire un soda, tu ne traînes pas au centre.»

Tous jurent ne pas avoir participé au saccage du Grotto lundi soir. Tous dénoncent l'agressivité du patron de la même voix. Leur version des faits: le dealer Guinéen tabassé n'était entré dans le bar que pour acheter des cigarettes. «Il n'est pas normal de se faire lyncher pour ça. S'il y a des bars à Bex qui nous sont interdits? Pas encore. Mais il y en a qu'on fait bien d'éviter.»

«Le centre est une passoire mais la Fareas ferme les yeux»

TÉMOIGNAGE Un ancien responsable de l’encadrement de la Fareas accuse. Selon lui, le centre de Bex est une «véritable passoire». Pire encore, la Fareas fermerait délibérément les yeux.


Les autorités de Bex ne sont pas seules à critiquer le dispositif de surveillance du centre Fareas de leur commune. Arthur*, lui, a vécu la situation de l'intérieur. Ancien responsable de l'encadrement des lieux, il veillait la journée. Avec des remplacements ponctuels la nuit: «Ce centre est une vraie passoire. Quand j'y travaillais, il n'y avait qu'un seul veilleur à la fois. Autant vous dire qu'avec six entrées à contrôler et près de 150 personnes, c'était mission impossible. Enormément de gens essayaient d'entrer. Des NEM, on en rejetait sans arrêt. On faisait des rondes dans les étages mais il est certain que des NEM dormaient là, hébergés par des connaissances.» La drogue: «Ça circulait beaucoup. J'ai découvert une fois des petites boulettes de cocaïne. A l'extérieur des bâtiments, on voyait beaucoup de voitures, parfois immatriculées en France. Quand les conducteurs nous voyaient arriver, ils filaient. Quand on mettait la main sur une substance, on avertissait la police de sûreté.» Arthur blâme la Fareas pour la «gabegie» régnant au centre d'accueil de Bex. «J'ai l'impression que la Fareas ferme les yeux pour ne pas prendre en main les problèmes. Ce n'est pas une question de moyens mais d'organisation.»

Aucun commentaire: