mercredi 14 décembre 2005

Bosnie dix ans après Dayton




La page 13 de 24heures est entièrement consacrée à la situation en Bosnie, tout d'abord un reportage sur place de Caroline Stevan

Le 14 décembre 1995, les Ac­cords de paix de Dayton sont ratifiés par le président bosnia­que, Alija Izetbegovic, son ho­mologue serbe, Slobodan Milo­sevic, et le chef de l’Etat croate, Franjo Tudjman. Dix ans plus tard, deux des signataires sont morts et le troisième est en prison. Sur le terrain, des ten­sions énormes et l’impression d’un immense gâchis.


» Une administration ubues­que
Avec Dayton, la partition du pays en deux entités est entérinée; il y aura désormais la Fédération de Bosnie-Herzégo­vine — 51% du territoire — et la Republika Srpska — 49%. Au quotidien, cela signifie trois présidents — un Bosniaque, un Croate, un Serbe —, quatorze Parlements et quelque deux cents ministères. Une adminis­tration ubuesque, inefficace et extrêmement coûteuse: 50% du Produit intérieur brut y passe, alors même que l’économie est totalement exsangue.
Les divisions se retrouvent à tous les niveaux, à commencer par l’école. «Deux classes sous le même toit», au départ lancé par l’OHR — organe officiel de la communauté internationale dans le pays — dans le but de rapprocher les communautés, pérennise en réalité la sépara­tion. Les petits Bosniaques ont cours le matin, les Serbes ou les Croates l’après-midi. Les en­trées sont séparées et les ensei­gnants ont deux salles des profs. Chacun étudie son his­toire, sa géographie, sa littéra­ture ou sa religion. Officielle­ment, il reste 54 de ces écoles.

» Des réfugiés non réintégrés
Début 2005, ils étaient un peu plus d’un million à avoir re­trouvé leur domicile sur les 2,2 millions de personnes dépla­cées pendant la guerre. Mais s’ils sont nombreux à avoir récupéré les clés de leur maison — le taux de restitution des biens fonciers était estimé à 93% fin 2004 —, beaucoup n’osent pas rentrer chez eux et certains préfèrent vendre. La plupart des réfugiés deviennent minoritaires lorsqu’ils retrouvent leur com­mune d’origine. Quasi impossi­ble, dès lors, de trouver un em­ploi, d’accéder aux services so­ciaux ou de bénéficier de soins. Il n’y a souvent pas d’accords entre les entités concernant les assurances maladie ou les pen­sions.
Les discriminations restent quotidiennes — les Rom sont évidemment les plus touchés — et les agressions multiples; en 2004, 135 «incidents liés au re­tour » ont été reportés. Les poli­ces locales ferment générale­ment les yeux sur les affaires concernant les minorités. Certai­nes victimes refusent de retour­ner là où elles ont été violées, torturées, agressées et on ne leur laisse pas forcément le choix.
Les cas sont multiples et les problèmes de coordination énormes; des logements ont été reconstruits alors que personne ne veut plus y aller. Ailleurs, des milliers de gens vivent en­core dans des abris en atten­dant que leur maison soit re­mise sur pied. Les propriétaires d’appartements et les locataires ne sont pas concernés par la procédure.

» Des criminels toujours en vadrouille Si le Croate Ante Gotovina vient d’être arrêté en Espagne, Ratko Mladic et Ra­dovan Karadzic courent tou­jours. Selon les Nations Unies, «un grand nombre de suspects de crimes de guerre se dépla­cent toujours en toute impunité en BiH», protégés par l’armée de Republika Srpska. Quant aux témoins du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougos­lavie (TPIY), ils subissent en général pressions et violences. Certains ont été assassinés.


Lire aussi ce constat sur la Bosnie dans Stopinfo

Puis les témoignages de requérants bosniaques dans le canton recueilli par Martine Clerc
Le retour des réfugiés. C’est la condition inscrite dans les Accords de Dayton qui préoccupe en premier lieu les personnes déplacées pendant la guerre habitant en Suisse. Et a fortiori, les requérants d’asile.
Peu de Serbes et de Croates de Bosnie sont actuellement réfugiés ou en cours de procédure d’asile en Suisse, ces derniers ayant trouvé refuge en Serbie ou en Croatie. Nedzad Omeragic, Bosniaque aujourd’hui requérant débouté à Montreux, a fui son pays en guerre, il y a une dizaine d’années. Il ne peut imaginer un retour en Republika Srpska: «On voudrait me renvoyer à Banja Luka où j’ai grandi et vécu plus de dix ans, soupire-t-il, mais ce n’est pas possible. Banja Luka est maintenant dans l’entité serbe. Il n’y a du travail nulle part et, quand il y en a, il est réservé aux Serbes. Il y a beaucoup de violences et pas seulement pendant les matches de foot.» Le jeune homme jette un regard désabusé sur les retombées de Dayton: «Il faudra encore dix ou quinze ans pour que la situation s’apaise. Au niveau économique, c’est catastrophique malgré l’argent apporté par la communauté internationale.»

A Crissier, Elvedina Husic porte dans sa chair les violences de Srebrenica. Impossible pour cette mère de famille de retourner dans la région, désormais partie intégrante de l’entité serbe. Les criminels de guerre qui courent toujours? «Les mettre en prison me ferait du bien ainsi qu’à ma famille, à tous les Bosniaques et à la justice!» Mais la situation ne serait pas pour autant résolue: «Un nationaliste en 1995 reste nationaliste en 2005. Je sais que beaucoup de gens soutiennent encore les criminels. On l’a vu en Croatie ces derniers jours après l’arrestation d’Ante Gotovina.»

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