vendredi 23 décembre 2005
Angoisse de Dejana Rakita, Suissesse en sursis
L'athlète, championne Suisse de triple saut à trois reprise, risque l'expulsion en vertu des règles absurdes contre les "faux mariages".
Lire l'article de Stéphane Devaux dans l'Express
Lire l'article de Pierre-Emmanuel Buss dans Le Temps
Extraits
Le regard las, les traits tirés, Dejana Rakita n'est plus que l'ombre d'elle-même. Cinq fois championne de Suisse de triple saut, cette Suissesse d'origine serbe de 37 ans, naturalisée en juillet 2000, vit un cauchemar depuis que l'Office fédéral des migrations (ODM) a décidé d'annuler sa naturalisation, le 14 juin dernier. Motifs invoqués: une situation familiale «non stable» et des soupçons de mariage blanc.
Article de Stéphane Devaux
Devenue Suissesse par mariage, Dejana Rakita - ex-Cachot - a fait gagner l'athlétisme helvétique. Aujourd'hui, on lui retire son passeport. Elle aurait abusé du système
En 2001, Dejana Cachot décroche son cinquième titre de championne de Suisse. Sous le maillot rouge de l'équipe nationale, l'athlète du CEP Cortaillod termine deux fois deuxième en Coupe d'Europe: 6m50 en longueur, 13m50 au triple saut. Sans un vent trop généreux sur le stade de Nicosie (Chypre), ce bond serait encore record de Suisse.
Quatre ans et demi plus tard, Dejana, 37 ans, a repris son nom: Rakita. Elle a divorcé de l'homme qu'elle avait épousé en décembre 1995, neuf mois après son arrivée comme réfugiée. Dejana était serbe, elle a quitté Belgrade pendant la guerre. En juillet 2000, elle est devenue suisse. Une procédure de naturalisation facilitée, sûrement accélérée par la volonté de la Fédération suisse d'athlétisme de la voir sauter pour ses couleurs.
Décision arbitraire
Or, aujourd'hui, la jeune femme est menacée de perdre sa nationalité suisse. Officiellement, elle l'a déjà perdue. Le 14 juin, l'Office fédéral des migrations (ODM) a rendu une décision «d'annulation de la naturalisation». Suspendue dans l'attente de la réponse au recours qu'a déposé son avocat devant l'Office des recours du Département fédéral de justice et police.
«On est totalement dans l'arbitraire», tonne Me Christophe Schwarb. La décision est tombée quatre ans et onze mois après l'octroi de la nationalité. Or, une annulation ne peut intervenir que dans les cinq ans. «A un mois près, le dossier passait à la poubelle...», soupire-t-il.
Arbitraire et choquant: c'est aussi les qualificatifs qui résument les sentiments de plusieurs personnalités neuchâteloises, comme son entraîneur au CEP, Claude Meisterhans, ou les députés Philippe Haeberli et Bernard Zumsteg. C'est à leur initiative que ces faits ont été rendus publics.
Ce qu'on reproche à Dejana Rakita? Son mariage, «pas constitutif d'une communauté conjugale effective et stable», selon les considérants de l'ODM. C'est vrai, en 1998, son couple allait mal. «Mon mari était hyperjaloux, hyperpossessif», raconte-t-elle, les larmes aux yeux. Ils ont bien signé, cette année-là, une convention de séparation de biens et de charges: «Il ne payait pas nos factures, il me cachait des choses. C'est pour régler cela que nous avons décidé d'agir comme ça.» Mais elle le jure, ils ont continué de vivre sous le même toit, malgré les «conditions épouvantables» qu'il lui faisait subir. Jusqu'à la séparation officielle du couple, en mai 2001. Cinq ans et cinq mois après le mariage.
Et si on lui retire sa nationalité suisse? Pourra-t-elle rester dans le pays de sa petite Mia, née en juin 2002, d'une «relation ultérieure au divorce»? L'avocat s'interroge. Dejana aussi. Pour elle, ce qui lui arrive est d'abord une immense «injustice»: «Je n'ai jamais profité de la Suisse. Au contraire, je travaille à 100% comme physiothérapeute et ma fille passe toutes ses journées à la crèche. Croyez-moi, ce n'est pas un choix.» Philippe Haeberli opine. Et ajoute: «N'avons-nous rien de mieux à faire dans ce pays que du juridisme à tous crins?»
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