Lire aussi cette opinion parue dans 24heures en mars 2006
et cet interview dans La liberté et le Courrier en juin 2006
Chers Conseillers aux Etats,
En mars de cette année, vous avez débattu de la loi sur l'asile. A une très large majorité, vous avez modifié certains articles dans le sens d'une dureté que le Conseil fédéral lui-même ne proposait pas. On peut espérer que ce texte illégitime ne deviendra pas légal et que vous reviendrez en seconde lecture sur vos errements. Mais comment ceux-ci ont-ils été possibles, comment une assemblée de notables prudents, avisés, sages, compétents a-t-elle pu tomber dans un tel formalisme?
L'article 32 de cette loi empêche d'accepter un réfugié qui ne peut présenter des pièces d'identité dans un délai de quarante-huit heures. Manifestement, il vous manque une expérience, celle de s'échapper clandestinement de son propre pays en toute hâte, sans argent, sans documents. Car, dans beaucoup de pays, un passeport n'est pas ce livret que l'on obtient à la demande dans une maison communale propre en ordre. Il n'est même pas délivré à la plupart des citoyens. Néanmoins ces personnes respirent, mangent, marchent. Ce n'est pas un papier qui conditionne les battements de leur cœur. Si certains d'entre eux possédaient un passeport, ils ne se seraient sans doute pas réfugiés chez nous. En faisant dépendre le droit d'asile d'un bout de papier, la Suisse viole les traités internationaux qu'elle a signés.
L'article 42 permet de priver de toute aide les réfugiés frappés d'une décision de renvoi. Cela revient à les affamer dans l'espoir qu'ils s'en aillent. Mais ils ne s'en iront pas pour autant car ils ont eu faim là d'où ils viennent. Il ne leur restera plus que de se livrer à des activités délictueuses pour survivre, trafic de drogue, prostitution, vol. Cela permettra de les stigmatiser et de convaincre la population que tout étranger est un criminel en puissance. Cet article 42 est contraire à la Constitution.
L'article 17 permet de priver les réfugiés d'une assistance juridique. Ainsi ils ne pourront plus se défendre devant les abus de droit commis à leur égard, d'autant plus qu'ils ignorent la langue et les institutions de notre pays. C'est contraire aux règles fondamentales du droit, garanties par des conventions internationales dont la Suisse est la dépositaire. Pour votre assemblée, le réfugié convenable est en règle avec les lois de son propre pays. Vous ne parvenez pas à imaginer qu'il existe des pays sans loi. Ou vous ne voulez pas le savoir. Pour vous, un bon réfugié n'a pas de raison sérieuse de se réfugier, il vient passer quelques semaines de vacances en Suisse et puis il s'en va sans problème. Tous les autres sont de mauvais réfugiés, qui risquent de s'incruster car ils n'ont pas d'autre possibilité de vivre décemment ou de vivre tout court. Vous avez décidé qu'ils n'existent pas au regard de la loi. On peut donc les biffer d'un trait de plume. C'est le combat perdu à l'avance entre le sans-papiers et le gratte-papier.
Bien entendu, ces violations de la Constitution et du droit international vous ont été rappelées lors des débats. Ces objections ont été majestueusement écartées par le
conseiller fédéral Blocher, selon lequel il suffit de modifier ces textes, traités comme autant de chiffons de papier. Ainsi, on en est arrivé là. Une assemblée législative, régulièrement élue dans la plus vieille des démocraties, se laisse manipuler par des extrémistes, dont le programme se résume à un nationalisme exacerbé, qui vire à la xénophobie, au racisme et à l'intolérance religieuse. Malgré le superbe lustre qui illumine la salle du Conseil des Etats, ce sont les ténèbres qui gagnent.
Ecrivain et professeur honoraire à l'EPFL
Paru dans l'Hebdo du 4 mai 2005
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