lundi 6 mars 2006

En prison pour compassion, comme si on n’avait rien appris

Lire l'opinion de Jacques Neirynck dans 24heures
«Il ne s’agit plus d’une loi sur les étrangers, mais d’une loi contre les étrangers.
D’un bout à l’autre, on légifère comme si l’immigrant constituait une peste»

Supposons que vous soyez responsable d’une paroisse à un titre quel­conque, pasteur, curé, prési­dent du conseil pastoral. Vous rencontrez des étrangers en si­tuation irrégulière, sans autori­sation de séjour. Vous les hé­bergez régulièrement dans les locaux de la paroisse. Dès lors, vous tombez sous le coup de l’article 116 de la nouvelle loi sur les étrangers promulguée le 16 décembre 2005. C’est-à-dire que vous risquez cinq ans de prison et 500 000 francs d’amende. Selon la loi précé­dente, datant de 1931, le Suisse complice d’un étranger en si­tuation irrégulière risquait six mois au maximum et rien si ses mobiles «étaient honorables».
On a de la peine à croire qu’une telle loi a pu être votée en 2005. Un citoyen suisse pourrait être mis en prison pour avoir cédé à une compas­sion bien naturelle à l’égard d’un étranger rejeté de partout. Pour avoir pris au sérieux cer­taines paroles d’évangile qui font un devoir au chrétien de se porter au secours des persé­cutés. Comment les élus du peuple suisse ont-ils pu accep­ter que de telles sanctions soient applicables à leurs con­citoyens? Bien entendu, dans la situation actuelle, cette loi se­rait appliquée avec modéra­tion: la prison serait assortie du sursis, l’amende n’attein­drait pas le maximum prévu. Mais un tel texte se révélera une arme redoutable entre les mains d’un fonctionnaire xéno­phobe dans une situation d’ur­gence.
Cette loi dépasse les sanc­tions prises à l’égard des Suis­ses qui se sont laissé toucher par la compassion envers les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale… A l’époque, on pouvait à la rigueur com­prendre le souci d’arrêter une émigration massive de juifs al­lemands vers la Suisse. Mais cette loi condamna indirecte­ment à mort les fuyards qui tombaient sous son coup. Cin­quante ans plus tard et trop tard, l’application de cette loi a donné lieu à des excuses. Et au règlement d’une amende de plus de 1 milliard par des ban­ques suisses.
Aujourd’hui on recommence et on exagère démesurément la répression, comme si on n’avait rien appris, comme si nous étions dans une situation d’urgence. Il ne s’agit plus d’une loi sur les étrangers, mais d’une loi contre les étran­gers. D’un bout à l’autre, on légifère comme si l’immigrant constituait une peste. Même l’étudiant étranger n’est admis que dans la mesure où «il paraît assuré qu’il quittera la Suisse» au terme de ses étu­des. Certes, il ne s’agit pas ici de la situation de détresse évo­quée plus haut. Mais il est absurde de dépenser les finan­ces publiques pour instruire des spécialistes que l’on four­nit ensuite gratuitement aux Etats-Unis. Or, les jeunes cher­cheurs étrangers reçoivent en même temps que leur doctorat l’ordre de quitter le territoire. Tout au plus obtiendront-ils un permis de séjour «dans la mesure où leur activité revêt un intérêt scientifique prépondé­rant ». Aux Etats-Unis, on fait tout ce qu’il faut pour que le chercheur étranger demeure dans le pays. On a compris qu’un immigrant constitue un gain pour la nation et non une perte.
Cette loi contre les étrangers est actuellement visée par un référendum demandant qu’elle soit soumise au vote du peu­ple. L’intérêt de la démocratie directe est d’impliquer tous les citoyens face à une décision aussi grave. S’ils n’abolissent pas cette loi, ils en deviendront responsables collectivement. Il vaut donc la peine d’appuyer par sa signature cette de­mande de référendum.

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