mardi 15 février 2011

Tunis et Rome à couteaux tirés après l'afflux de clandestins à Lampedusa

L’arrivée de milliers de Tunisiens sur la petite île provoque la première crise de l’après-Révolution du Jasmin en Méditerranée.

tunisiens lampedusa

Un mois après la fuite du président Ben Ali et l’euphorisante victoire de la Révolution du Jasmin, le 14 janvier, la Tunisie est brutalement rappelée à la dure réalité de la géopolitique.

L’arrivée aussi massive qu’inattendue, ces derniers jours, de quelque 5000 clandestins – pour la plupart Tunisiens – sur la petite île italienne de Lampedusa (6000 habitants) a soudainement chauffé à blanc les relations entre Rome et Tunis.

Il faut dire que, pour les autorités italiennes, la perspective de voir la Tunisie post-Ben Ali remplacer la Libye comme pays de transit pour les clandestins en provenance de l’Afrique sub-saharienne est un vrai cauchemar. C’est que, depuis l’entrée en vigueur de l’accord signé en 2008 entre Berlusconi et Kadhafi, la route des clandestins à travers la Libye s’était quasi fermée ces derniers mois. Alors, quand, profitant des flottements du nouveau et fragile pouvoir en place à Tunis, des milliers de personnes ont décidé ces derniers jours de s’embarquer pour Lampedusa, Rome a haussé le ton.

Système à la dérive

C’est ainsi que dès dimanche, évoquant un «système tunisien à la dérive», le ministre italien de l’Intérieur, Roberto Maroni, membre la Ligue du Nord (très anti-immigrés), a proposé de déployer des policiers italiens en Tunisie. «Inacceptable», a immédiatement rétorqué le gouvernement tunisien même s’il s’est dit «prêt à coopérer» avec les autres pays pour enrayer cet exode.

En Tunisie même, les autorités ont renforcé les contrôles sur les côtes, notamment à Gabes ou Zarzis, villes d’où sont partis des centaines de jeunes clandestins. Interrogés à Lampedusa, nombre de ces derniers assuraient hier que la Révolution du Jasmin n’avait rien changé pour eux. «La police nous frappait comme avant et l’économie est mal en point. Je pense que les choses seront mieux ici en Europe», expliquait ainsi à l’AFP Sami Jassoussi, chauffeur routier de 31 ans.

«Si tout le monde a été surpris par cet afflux soudain de Tunisiens, il est trop tôt pour dire si le phénomène va se poursuivre, s’il restera limité aux Tunisiens ou non», tempère Jean-Philippe Chauzy de l’Organisation internationale des migrations (OIM) à Genève.

La porte grecque

Et de rappeler que ces derniers mois la «dynamique migratoire via la Méditerranée était pour ainsi dire au point mort», et qu’à fin 2010, 80% des entrées illégales en Europe se sont faites par la frontière entre la Turquie et la Grèce. «Ce qu’il faut comprendre, c’est que lorsqu’une «porte» se ferme (la libyenne après l’accord avec l’Italie) toute une autre s’ouvre presque automatiquement ailleurs», dit encore Chauzy. Et c’est sans doute pour éviter à tout prix qu’une porte tunisienne ne s’ouvre sur l’Europe que l’Italie a réagi aussi fermement.

flux migratoire europe

Enfin, et ce n’est pas un hasard, pour une question aussi délicate, cette affaire a provoqué une crise collatérale entre l’Italie et l’Europe, Rome accusant Bruxelles d’inaction, la Commission européenne rétorquant hier que l’Italie n’avait pas voulu de son aide.

En débarquant à Lampedusa, les clandestins tunisiens ont rappelé à leurs autorités et aux Européens que la Révolution du Jasmin a soulevé d’énormes espérances. Les décevoir pourrait coûter cher. De part et d’autre de la Méditerranée.

Bernard Bridel dans 24 Heures


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24 Heures

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