Les mouvements populaires au Maghreb font craindre une vague d’immigration en Suisse. Visite à Chiasso, où arrivent 90% des requérants d’asile africains
Patrouilles: des policiers surveillent Chiasso, où 14 hold-up ont été commis ces derniers mois. A la frontière, les douaniers contrôlent les frontaliers et les éventuels réfugié © Gabriele Putzu/Ti-Press Photos Chiasso
Plongée dans la nuit, l’immense gare de Chiasso semble abandonnée. Elle est le vestige d’une époque révolue durant laquelle la ville frontière tessinoise débordait d’emplois et grouillait de citoyens. Aujourd’hui, la cité d’à peine 8000 âmes est moins célèbre pour son nœud ferroviaire et ses banques que pour son trafic autoroutier et son immigration.
Il est 22 h 50. Des phares éclairent soudain trois douaniers debout sur le quai 13. Le train régional de Milan arrive en gare, avec sept minutes de retard. Vigilants, les gardes-frontière scrutent les passagers. Ils savent que la plupart des requérants d’asile arrivent en Suisse par leur douane. Et, parmi eux, 90% des réfugiés africains. C’est dire si, à Chiasso, on se préoccupe, plus qu’ailleurs, d’un éventuel afflux de réfugiés du Maghreb.
«Nous suivons la situation de près», admet Davide Bassi, porte-parole des 320 gardes-frontière tessinois chargés de surveiller des dizaines de kilomètres de frontière. En 2010, ils ont contrôlé 1230 requérants d’asile à Chiasso. Un chiffre en hausse constante. «Mais, actuellement, il n’y a pas d’augmentation inhabituelle des arrivées», précise le porte-parole. Lors de l’inspection du RER, les douaniers font d’ailleurs chou blanc. Le calme avant la tempête?
Le lendemain, la ville est en état de siège. Des policiers et des agents de sécurité quadrillent la rue principale où les boutiques désertes se succèdent. «Ils sont là pour les étrangers», lance la kiosquière. Les requérants d’asile? «Non, les criminels italiens qui traversent la frontière et viennent piller nos stations-service et nos bijouteries.»
Nombreux hold-up
En huit mois, la commune a subi quatorze hold-up. Six depuis le début de l’année. Dans cette ville où l’on vote à droite et massivement non à tout ce qui concerne l’Union européenne, la grande peur de la frontière est bien présente. «Mais les gens craignent davantage les frontaliers qui leur «piquent» leurs emplois et les bandits italiens qui œuvrent près de chez eux que la venue de réfugiés d’Afrique du Nord», constate le maire, Moreno Colombo.
A l’autre bout de la Suisse, les requérants d’asile font partie du décor. Chiasso héberge en effet l’un des quatre centres suisses d’enregistrement des nouveaux arrivants. Situé à quelques mètres de la gare, le bâtiment entouré de grilles et de caméras offre 134 places et accueille quotidiennement une dizaine de réfugiés.
S’ils ne restent en moyenne qu’une vingtaine de jours avant d’être renvoyés en Italie ou transférés dans d’autres cantons, ils passent la majeure partie de leur temps au centre-ville. «Ils boivent dans les parcs et sur les places publiques, raconte un serveur du Chiasso Bar. Ils donnent une image un peu négative à la commune, mais ne font de mal à personne.»
Un mur sur la frontière?
Alors, quand la Lega dei Ticinesi parle d’ériger un mur de 4 mètres sur la frontière italienne pour éviter un afflux de nouveaux réfugiés, la réaction est sans appel. «Ce sont des propos électoralistes en vue des cantonales du 10 avril! lance Mariano Musso, conseiller communal désigné patron du carnaval, qui débute ce soir. Ici, nous accueillons les requérants, nous leur proposons même des travaux d’intérêt public. Tant que leur nombre reste raisonnable, nous n’avons pas de problème avec eux.»
«En revanche, si une vague de 500 réfugiés devait arriver d’un coup, ce pourrait être une catastrophe, s’inquiète le maire. Nous souhaitons que les autorités s’y préparent.» Le libéral-radical vient d’écrire au canton et à la Confédération pour demander le soutien des autres communes. «Elles sont réticentes à accueillir des requérants. Il faut que Berne et le Tessin les incitent à ouvrir leurs abris de protection civile au cas où.»
«Les discussions sont en cours», assure, sans en dire plus, Antonio Simona, directeur depuis vingt-trois ans du centre d’enregistrement des requérants. Une cinquantaine de places ont aussi été libérées en février par le transfert de requérants dans d’autres centres d’accueil. Mais, pour le fonctionnaire, il n’y a pas d’urgence: «Je pense que les réfugiés arriveront petit à petit. Il y aura sans doute un pic à la fin de l’été quand ils ne trouveront plus de travail au noir en Italie et voudront passer en Suisse. Mais Chiasso ne sera pas envahi.»
Nadine Haltiner dans 24 Heures
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