Le plus petit musée suisse est à la fois lieu de mémoire et d'échanges. Porté à bout de bras par son fondateur, il peine désormais à joindre les deux bouts.
Situé dans une cour discrète, c'est sans doute le plus petit musée helvétique: 30 m2 en duplex. Dans une exiguïté foisonnante, le Musée de l'immigration invite le visiteur sur les traces de ceux qui, depuis les travailleurs italiens dans les années cinquante, ont élu domicile en Suisse. Des générations d'immigrés arrivées de tous horizons que symbolisent ici les multiples valises parsemant le sol. Photographies, correspondances, coupures de presse, objets d'art ou bibelots complètent le patrimoine exposé: tous ces fragments de vie témoignent de trajectoires individuelles le plus souvent anonymes. C'est pour entretenir leur mémoire qu'Ernesto Ricou a fondé le musée voici cinq ans. Il est lui-même lusitano-suisse, issu d'une famille aux origines huguenotes établie à Château-d'OEx au XVIIe siècle, qui a ensuite essaimé au Portugal et au Brésil. «L'immigration, le déracinement, l'enracinement, j'ai tout cela en moi», dit cet enseignant en dessin et restaurateur d'art, qui a travaillé plusieurs années à Porto.
Ramuz, maître à penser
Son projet est né d'un travail pédagogique sur Charles-Ferdinand Ramuz. «A travers son roman «La beauté sur la terre», il anticipait tous les problèmes que nous connaissons aujourd'hui avec le racisme et l'intolérance», dit Ernesto Ricou. Cette histoire d'une jeune fille métisse qui, dans les années 30, débarque dans un village vaudois constitue un plaidoyer pour l'intégration et le respect mutuel des cultures. On retrouve d'ailleurs la figure tutélaire de l'écrivain vaudois un peu partout: textes, photos, dessins, buste. Autre saute-frontière célébré ici: l'écrivain et diplomate du XIXe siècle Eça de Queiros, «le Ramuz portugais», dixit l'animateur des lieux.
A l'instar de ses maîtres à penser, Ernesto Ricou est mû par «la recherche inlassable d'harmonie et de dialogue intercommunautaires». C'est dans cet esprit que le musée, en lien avec l'atelier CasaMundo qui le jouxte, encourage les résidants étrangers à venir présenter l'histoire et la culture de leur lieu d'origine, par le biais d'expositions ou de conférences. Ces rencontres permettent aussi de jeter un regard nouveau sur les diasporas établies chez nous, souvent méconnues. En octobre dernier, un étudiant a par exemple retracé le parcours de la communauté vietnamienne à Lausanne.
Ernesto Ricou insiste sur la valorisation du patrimoine immatériel et de l'identité propres à chaque culture d'origine. Mais pour lui, l'intégration passe aussi par une reconnaissance en même temps qu'une appropriation de la culture du pays d'accueil. Le message qu'il délivre aux élèves étrangers des classes qu'il reçoit est ainsi une invitation à acquérir de nouvelles façons d'être et de faire: «Garde ton identité, ta culture, mais apprécie les trésors qu'on te présente, va au-delà des clichés!»
Pas toujours évident, peut-on lui objecter, dans un pays qui considère plus souvent l'immigration comme un problème que comme une richesse. «Je garde un grand espoir. La Suisse a fait des progrès énormes dans la compréhension et le respect des immigrés», dit celui qui décrit l'Helvétie comme «terre sainte d'accueil».
Soutien sollicité
Le musée et l'association reposent sur un engagement bénévole. En dépit de quelques appuis financiers ponctuels, ils peinent cependant à couvrir les frais fixes. «La grande peur, c'est le loyer pour les locaux de CasaMundo, qui nous coûte 1040 francs par mois. On a en caisse l'équivalent de deux loyers. Pour ce qui est du musée, c'est moi qui paie, mais ici le prix de la location n'est que de 100 francs par mois», déclare Ernesto Ricou. L'animateur rêve aussi de pouvoir développer certains projets éducatifs.
Non sans embarras, il a donc sollicité un soutien auprès de la ville de Lausanne. Message reçu? «Nous saluons le travail qui est fait par M. Ricou et son association avec peu de moyens, souligne Michel Cambrosio Redmer, chef du Service du travail et de l'intégration. Nous leur avons déjà accordé une aide par le passé et il n'est pas impossible qu'on leur donne à nouveau un coup de pouce.» La décision devrait tomber dans les prochaines semaines.
Arnaud Crevoisier dans le Courrier
Musée de l'immigration, av. de Tivoli 14
Ouvert les mercredis (10 h-12 h; 14 h-18 h) et samedis (14 h-18 h)
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