Des demandeurs d’asile déboutés se sont révoltés samedi contre leurs conditions de détention. La tension monte. Mais les autorités restent passives. Le malaise à Frambois remet en lumière la problématique des requérants.
«Nous étions comme dans une Cocotte-Minute. La situation ne pouvait qu’exploser.» Ali*, contacté à Frambois, le centre de détention administrative où sont placés des requérants d’asile déboutés en voie d’expulsion, raconte les circonstances de l’émeute déclenchée samedi matin. Des détenus, à bout de nerfs, ont saccagé les locaux, avant d’être maîtrisés par les forces de l’ordre. Bilan: un surveillant avec une côte cassée, un deuxième avec une minerve. La direction de Frambois (GE) a porté plainte contre les deux détenus à l’origine de l’insurrection, placés depuis en isolement.
Tout a débuté samedi matin avec une casserole qui a volé dans la cafétéria de l’établissement. Boubacar* est très nerveux. Il ne digère pas une visite chez le juge de paix de Lausanne effectuée la veille, où ce dernier lui a fait savoir qu’il resterait trois mois de plus à Frambois. Excédé, Boubacar décide de tout saccager. Des surveillants tentent de le maîtriser; trois autres Africains se joignent à la rixe, dont Salomon*, déjà deux tentatives de suicide à son actif. L’établissement concordataire abrite dix-huit autres résidents. Et presque tous se mêlent à la bagarre.
Deux surveillants sont blessés. Une employée appelle la police. Boubacar et Salomon décident de se dénuder et de s’enduire d’huile. «Pour que nous ne puissions pas les interpeller. Ils en ont aussi aspergé partout sur le sol», souligne Jean-Philippe Brandt, porte-parole de la police genevoise. «Ils voulaient en fait s’immoler. Heureusement que l’huile ne brûle pas…», déclare un témoin de la scène. Dépêchée sur place avec des pompiers et une ambulance, la brigade de sécurité publique parvient à maîtriser la situation quelques heures plus tard. Sans trop de heurts. Mais les dégâts matériels sont importants.
Selon Jean-Philippe Brandt, la rixe a démarré en raison de problèmes survenus entre un groupe d’Africains au rez-de-chaussée et des Géorgiens au premier étage. «C’est faux!», s’énerve Ali. «Il n’y a pas de racisme entre nous. Les Géorgiens nous ont au contraire aidés. Quand les policiers sont arrivés, ils ont mis leurs matelas et draps dans le couloir et ont menacé d’y mettre le feu s’ils nous faisaient du mal.» En fait, raconte Ali, qui a été menotté après la bagarre, les tensions découlent de sentiments d’injustice.
«Nous les Africains, nous sommes souvent détenus pendant de longs mois à Frambois, parfois jusqu’à dix-huit, alors que les Maghrébins et ressortissants de l’Est partent généralement après deux, trois semaines. On se sent discriminés. Nous ne sommes pas des criminels, juste des gens qui cherchons l’asile. Ces détentions prolongées sont totalement injustes et arbitraires! Ici, nous mourons à petit feu», dénonce-t-il. Voilà qui remet en lumière la problématique des requérants que la Suisse peine à expulser. Et pas forcément à cause de leur attitude récalcitrante: souvent leur pays d’origine rechigne à les reprendre. Ou exige des contreparties. L’Office fédéral des migrations a récemment connu plusieurs couacs avec ses vols spéciaux controversés, depuis la mort d’un Nigérian à Kloten en mars.
La réaction des autorités genevoises? Nadine Mudry, secrétaire adjointe en charge du domaine des migrations au secrétariat général du Département de la sécurité, de la police et de l’environnement, assure que «les violences de samedi ne sont pas liées aux conditions de détention à Frambois, d’ailleurs jamais contestées». «Cette rixe est un événement isolé qui démontre que certains détenus sont prêts à tout pour ne pas être expulsés», dit-elle. Aucune mesure particulière n’est pour l’instant envisagée.
Loly Bolay, députée socialiste et présidente de la Commission des visiteurs du Grand Conseil genevois, ne compte, elle, pas rester passive. Elle s’est rendue samedi à Frambois vers 14h30, après l’intervention de la police. Avec un collègue, ils ont visionné les vidéos de surveillance et interrogé des détenus. Loly Bolay a recueilli la même version des faits que le Temps, qu’une compagne d’un détenu vient aussi corroborer. «Des Africains se sont effectivement rebellés pour protester contre leurs conditions de détention, sources de tensions», dit-elle. Elle proposera cette semaine des mesures au sein de la Commission des visiteurs.
Ces émeutes à Frambois, qui avait déjà des problèmes de personnel au bord du burn-out, étaient prévisibles, souligne une source préférant rester anonyme. Salomon a envoyé le 9 septembre un message désespéré aux autorités dans lequel il menaçait de se tuer. «Si je n’ai pas obtenu ma liberté avant treize jours, je me suicide», écrivait-il au chef du service de l’Office de la population. «Je ne veux plus continuer ce calvaire.»
Salomon a une compagne et un enfant qui vivent aujourd’hui en Allemagne. C’est en voulant les rejoindre qu’il a été arrêté en Autriche, puis expulsé vers la Suisse selon les règles de Dublin qui veut qu’un requérant soit renvoyé vers le premier pays où il a déposé une demande d’asile. Le voilà depuis plus de six mois à Frambois, avec des coûts se montant à plus de 280 francs par jour. «Trois requérants sont restés plus de quinze mois ici», précise Ali. «Frambois est une salle d’attente insupportable», résume le Collectif Droit de rester.
Valérie de Graffenried dans le Temps
*Prénoms fictifs
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