Professeur de droit constitutionnel à l’Université de Genève, Michel Hottelier souligne la contradiction: si l’initiative de l’UDC est acceptée, la Suisse n’en sera pas déliée pour autant des traités de protection des droits de l’homme qu’elle a acceptés démocratiquement aussi.
«Les gens ne sont pas des choses. On ne peut pas, en droit contemporain, en faire ce que l’on veut au seul motif que le peuple l’a décidé ainsi.» Michel Hottelier est professeur de droit constitutionnel à l’Université de Genève. Spécialiste reconnu de la Convention européenne des droits de l’homme, il ne cache pas sa déception quand il entend dire que la non-conformité d’une initiative populaire avec le droit international serait l’argument favori de ceux qui n’en ont pas d’autres.
Les juristes sont unanimes à reconnaître que l’expulsion automatique de délinquants étrangers postulée par l’initiative de l’UDC sur le renvoi – sans égard à leur situation personnelle et familiale, pas plus qu’au risque concret de récidive qu’ils représentent – contrevient au droit international. Elle contrevient aussi à la Convention européenne des droits de l’homme, au Pacte de l’ONU relatif aux droits civils et politiques, à la Convention sur les droits de l’enfant, et également à l’Accord sur la libre circulation des personnes avec l’UE. Le Conseil fédéral l’a explicitement reconnu dans le message qu’il a présenté aux Chambres sur le sujet en 2009. L’acceptation de cette initiative marquerait, dit Michel Hottelier, «le triomphe de la démocratie souverainiste» mais ne résoudrait rien.
Le Temps: Schématiquement, en quoi l’initiative de l’UDC contrevient-elle aux droits de l’homme?
Michel Hottelier: L’automatisme du renvoi qu’elle instaure la rend trop rigide. Elle ne permet pas de prendre en compte la situation individuelle et familiale de la personne concernée. Cette automaticité du renvoi peut séduire mais en pratique, elle ne résoudra rien. Cette initiative sera inapplicable dans toute une série de cas. Il faut rappeler que la Suisse a déjà été condamnée deux fois à Strasbourg pour des renvois qui violaient la Convention européenne des droits de l’homme (lire l’encadré). Le Conseil fédéral a certes énuméré les engagements internationaux que la Suisse pourrait enfreindre si l’initiative était acceptée, mais il en a fortement minimisé les conséquences. On ne peut pas présenter un texte au vote des Suisses sans expliquer clairement – beaucoup plus clairement que le fait le gouvernement – qu’il ne sera pas applicable tel quel. Les amis de la démocratie, j’en suis convaincu, n’aiment pas l’ambiguïté, surtout lorsque celle-ci est de nature à affecter la mise en œuvre d’un texte soumis au scrutin populaire.
– Les initiatives qui ne respectent pas les instruments internationaux de protection des droits de l’homme se multiplient. La particularité de celle-ci est de placer également la Suisse en porte-à-faux avec l’Accord sur la libre circulation des personnes…
– Je dirais d’abord que l’initiative n’invente rien. L’expulsion de délinquants étrangers existe déjà, mais elle est encadrée par certaines règles au niveau de la loi, de la mise en œuvre de la mesure et de son contrôle par les tribunaux. Il faut, en lui rendant hommage, voir avec quelle méticulosité le Tribunal fédéral prend en compte le droit européen quand il s’agit d’apprécier si le renvoi d’un ressortissant de l’UE qui aurait commis des délits est justifié ou non. La libre circulation des personnes repose sur l’un des fondements de l’UE: l’interdiction des discriminations fondées sur la nationalité. Je ne crois pas que la Suisse soit actuellement en mesure de jouer les fiers-à-bras vis-à-vis de l’Europe. Dans tout cela, ce qui est le plus choquant, c’est que la Suisse, librement, démocratiquement et souverainement, risque de voter un texte dans l’ignorance royale des engagements internationaux qu’elle a non moins librement, démocratiquement et souverainement acceptés. Le pays qui abrite le Haut-Commissariat pour les réfugiés, aux droits de l’homme, le siège du CICR, qui est l’Etat dépositaire des Conventions de Genève dirait à la face du monde: je viole librement, démocratiquement et souverainement les droits de l’homme.
– Comment expliquer cette contradiction?
– On a de la peine à comprendre en Suisse que l’Etat contemporain est davantage qu’un Etat démocratique, qu’il est aussi un Etat de droit, et que les droits fondamentaux ont précisément été créés pour encadrer la loi de la majorité. Les droits démocratiques, qui relèvent également des droits de l’homme, ne peuvent par conséquent être envisagés dans une relation d’antinomie par rapport à ceux-ci. Je ne peux qu’assister impuissant à ce triomphe de la démocratie souverainiste, mais qui n’apportera aucune réponse aux problèmes d’application que soulèvera ce texte s’il est adopté. Si la Suisse est condamnée à Strasbourg, elle devra se plier.
– Quel remède pour éviter d’en arriver là?
– L’invalidation des initiatives doit, bien sûr, rester l’ultima ratio. Mais la pratique actuelle n’est pas satisfaisante. Elle repose sur une norme constitutionnelle conçue dans un contexte qui remonte à une vingtaine d’années. Depuis, la Convention européenne des droits de l’homme et son système de protection par la Cour de Strasbourg ont profondément évolué. Des efforts considérables ont été déployés pour que le respect des droits garantis par la Convention soit assuré au mieux par les Etats parties eux-mêmes. Les autorités suisses, dont il convient de saluer l’engagement, ont joué et continuent de jouer un rôle particulièrement actif dans ce processus. Le Tribunal fédéral a reconnu la place particulière qui revient aux droits de l’homme et adapté sa jurisprudence en conséquence. Notre Cour suprême tend à reconnaître aujourd’hui, ce qui n’était pas encore pleinement le cas dans les années 90, la primauté des droits fondamentaux reconnus par un traité international en vigueur en Suisse sur toute norme nationale contraire. L’Accord sur la libre circulation des personnes avec l’UE est également postérieur à cette période.
– Pour autant, la Constitution ne permet d’invalider une initiative pour non-respect du droit international que si elle est incompatible avec ce fameux jus cogens (droit impératif, ndlr). Que préconisez-vous?
– En substance, dans l’hypothèse où l’incompatibilité est avérée et insurmontable, il y a deux possibilités. Soit on estime que la Constitution doit être révisée afin de permettre l’invalidation des initiatives incompatibles avec les droits de l’homme et on la modifie en conséquence. Soit on pense que l’interprétation de la Constitution peut et doit évoluer en raison du changement de contexte dont j’ai parlé. Dans ce cas, c’est au parlement de prendre ses responsabilités, et d’invalider, comme il l’a par exemple fait en 1996 à propos de l’initiative populaire «Pour une politique d’asile raisonnable», l’initiative qui de toute façon ne pourrait pas, à terme, être appliquée dans la teneur où elle a été votée. Il y a là une voie médiane qui mérite à mon sens d’être explorée.
Propos recueillis par Denis Masmejan dans le Temps
2 commentaires:
si l'initiative udc est acceptée, ce n'est pas l'europe qui va venir nous dire comment faire la loi chez nous.
"Ce n'est pas l'Europe qui va venir nous dire comment faire la loi chez nous"?... Mais en attendant, la Suisse a des engagements à respecter en ce qui concerne le respect des droits de l'homme et des droits fondamentaux!... C'est inscrit dans nos textes de loi!... Alors c'est bien joli ces initiatives populaires, mais la démocratie a ses limites quand des partis tels que l'UDC véhiculent des idées racistes et discriminantes à l'égard de certaines populations, en utilisant la méconnaissance de la masse et l'émotionnel pour manipuler la population. Cela nuit à l'image de notre pays face à la communauté internationale. Je suis suisse mais cette Suisse là n'est pas la mienne!...
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