Le Tribunal administratif fédéral renvoie sèchement à l’Office fédéral des migrations le dossier d’un Libyen débouté qui réclame l’asile à la Suisse après huit ans de détention.
C’est un dossier embarrassant que les fonctionnaires de l’Office fédéral des migrations (ODM) vont devoir réexaminer. Celui d’un Libyen libéré en février dernier du camp de Guantanamo et qui demande l’asile à la Suisse. L’ODM l’avait débouté une première fois en 2008, estimant ne pas devoir accorder l’asile à un homme sans aucun lien avec la Suisse et qui, parce qu’il lui était arrivé de fréquenter en Afghanistan des membres d’organisations terroristes, était indésirable ici. Mais l’homme, arrêté en 2002 et enfermé huit ans, jusqu’en février 2010, dans la tristement célèbre base américaine de Cuba, a fait recours et vient d’obtenir une victoire partielle.
Dans un jugement diffusé vendredi auprès des médias, mais qui ne sera pas mis en ligne afin de protéger l’intéressé, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a admis le recours et renvoyé le dossier à l’ODM. Les juges l’ont sèchement fait savoir: sur de nombreux points, l’instruction des faits menée par l’ODM est très lacunaire et doit être reprise et approfondie. C’est le deuxième cas concernant un ex-détenu de Guantanamo que les juges du TAF retournent à l’ODM pour nouvel examen.
Ce ressortissant libyen avait déserté les forces armées de son pays avant de se rendre en Afghanistan, où il s’est marié, puis au Pakistan où il a été arrêté lors d’une opération menée dans le cadre de la lutte contre le terrorisme islamique après les attentats du 11 septembre 2001.
Transféré à Guantanamo, il a pu y subir au cours de sa détention des traitements qui ont altéré sa santé psychique, notent les juges. Il se trouve actuellement en Albanie, à laquelle il a été remis après sa libération au début de cette année, sur la base des accords que les Etats-Unis ont obtenus avec plusieurs pays, dont la Suisse, pour résoudre le problème majeur qu’est devenu, au fil des années, le camp de Guantanamo.
L’arrivée du Libyen en Albanie s’est produite alors que la procédure était déjà pendante devant le Tribunal administratif fédéral. Des investigations plus approfondies, et qui incombent à l’ODM et non au tribunal, souligne ce dernier, doivent maintenant être menées pour savoir si l’Albanie est en mesure de lui offrir des conditions d’accueil supportables compte tenu de son état de santé. Les informations apportées par son avocat en Suisse, et citées dans le jugement, sont peu rassurantes à cet égard, même si l’Albanie est signataire de la Convention sur les réfugiés. La prise en charge des ex-détenus de Guantanamo par Tirana serait pour le moins précaire.
La possibilité d’une audition personnelle du requérant par l’intermédiaire de l’ambassade de Suisse à Tirana devra être examinée, enjoignent les juges. Ceux-ci déplorent que l’ODM n’ait pas trouvé le moyen jusqu’ici de l’entendre personnellement, alors que par ailleurs la Suisse avait été en mesure de dépêcher à Guantanamo une délégation chargée d’examiner les dossiers de divers détenus libérables que le Conseil fédéral envisageait d’accueillir à titre humanitaire. Le Libyen ne semble pas avoir été inclus dans cette opération, qui a débouché sur la venue dans le canton du Jura de deux Ouïgours chinois.
A supposer que la poursuite de son séjour en Albanie ne paraisse pas pouvoir lui être imposée, l’ODM devra reprendre la question des risques qu’un accueil du Libyen en Suisse représenterait pour la sécurité, compte tenu des liens qu’il aurait pu entretenir avec le terrorisme islamique.
Sur ce point également, les juges invitent l’administration à plus de retenue dans ses appréciations. Des indices laissent penser que le Libyen a été la victime d’une arrestation arbitraire, après que sa tête a été mise à prix. Il est peu probable que les Américains l’auraient libéré s’ils avaient estimé qu’il représentait un danger. L’ODM ne pourra se référer sans autre précaution aux actes d’enquête des autorités militaires américaines, qui ne répondent pas aux impératifs de l’Etat de droit, souligne le TAF.
Quoi qu’il en soit, un renvoi vers la Libye n’est pas envisageable, c’est l’un des rares points sur lesquels les fonctionnaires de l’ODM et les juges sont d’accord. S’il venait à tomber aux mains du régime de Tripoli, ce déserteur risquerait d’être torturé. Le peu de garanties offertes par la Libye sur le plan du respect des droits de l’homme doit inciter à la plus grande prudence.
Denis Masmejan dans le Temps
Arrêt E-8015/2008 du 8 novembre 2010.
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