mardi 9 novembre 2010

Afflux de clandestins à la frontière sud de la Suisse

La pression migratoire aux confins de l’UE se répercute directement à la frontière sud de la Suisse, au Tessin. Entre afflux de clandestins et tourisme de la criminalité, les garde-frontières sont souvent débordés. Surtout en fin de semaine. Reportage à Chiasso.

réfugiés tessin par jacek pulawski

Si la frontière verte qui sépare le canton du Tessin de l’Italie (Lombardie et Piémont) est longue de plusieurs dizaines de kilomètres, c’est dans un véritable mouchoir de poche, de 5 à 10 km, que se déroulent plus de la moitié des passages illégaux pour entrer en Suisse.
Dans un périmètre qui comprend à la fois la gare ferroviaire, le centre d’enregistrement pour requérants d’asile, plusieurs douanes routières, la bretelle d’autoroute de l’A2 (Bâle-Chiasso) et un centre-ville, les garde-frontières de la région IV du Tessin patrouillent jour et nuit pour surveiller les entrées sur le territoire helvétique par le sud.
«Les passages par les montagnes environnantes sont plutôt rares. Ils sont généralement le fait de passeurs qui tentent de gagner le plus d’argent possible en faisant croire à des malheureux que c’est le seul moyen d’arriver en Suisse», explique le sergent Michele Corti des gardes-frontières au Tessin, en désignant le paysage montagneux qui entoure la région de Chiasso.

Passeurs et voleurs

De fait, dans les collines juchées au-dessus de la gare, plusieurs sentiers, bien connus des passeurs, mais aussi de certaines bandes de voleurs originaires de l’Est, installés dans la grande périphérie de Milan et de Turin, sont surveillés en permanence.
Ces étroits passages, discrets mais visiblement utilisés, traversent parfois même des jardins potagers et des cours d’immeubles ou enclos de maisonnettes. C’est le cas dans le quartier du «Sasso» et de celui de Budella, qui font partie des passages privilégiés par les clandestins.
Ces endroits sont aussi surveillés par des caméras infrarouges, dont les images sont en permanence retransmises sur la dizaine d’écrans de la centrale des garde-frontières à Chiasso. De là, les agents peuvent aisément repérer les silhouettes humaines qui tentent de se frayer un passage pour arriver en Suisse.
Il est 21 heures 20, la zone est étrangement calme. Dans le principal immeuble locatif du «Sasso», des personnes âgées installées devant la télé lèvent un coin de rideau pour saluer la patrouille et échanger quelques mots avec eux. «Il n’est pas rare que des comportements suspects nous soient signalés par les habitants du coin», souligne Michele Corti, qui loue cette collaboration avec les habitants de la région.

Course-poursuite

Au même moment, l’un de ses hommes le prévient par radio du mouvement suspect d’une voiture allemande, gris métallisé. «Il s’agit du modèle de prédilection des ‘Sinti’, nomades basés dans la grande banlieue turinoise, et qui multiplient leurs incursions au Tessin pour y commettre des cambriolages», prévient le coéquipier du sergent.
Les deux hommes sautent dans leur véhicule et démarrent en trombe, toutes sirènes dehors, en direction de Vacallo. La voiture grise est retrouvée. Fausse alerte. Ses occupants sont un couple de fêtards. Ce qui ne manque d’ailleurs pas de surprendre les garde-frontières, tant les indices et le comportement suspect des passagers de l’auto correspondent à leurs «clients» habituels.

La tendance du rail

«Ces derniers mois, l’essentiel des passages a lieu durant les fins de semaines et de préférence par train», explique le porte-parole des garde-frontière, Davide Bassi, qui estime que d’ici la fin de l’année, le nombre de clandestins interceptés aura dépassé d’au moins 25% le chiffre enregistré en 2009.
«Ils montent dans le train à Milan et descendent à Chiasso en connaissant déjà le chemin du centre d’enregistrement, tout près de la gare», renchérit Michele Corti. Il pointe son doigt vers un grand complexe bleuâtre de l’Office fédéral des migrations (ODM).
Il est 23 heures 43. Un grincement assourdissant annonce l’arrivée de la rame, cabossée et souillées de graffitis, qui arrive toutes les heures en provenance de la capitale lombarde. Parmi les passagers, un Africain est intercepté par les garde-frontières.
Le jeune homme hésite un moment, affirme d’abord qu’il voulait se rendre en Allemagne. Il finit par admettre qu’il a l’intention de demander l’asile en Suisse. Départ pour le petit office des garde-frontière, dans la zone douanière de la gare. Une procédure que les agents appliquent désormais plusieurs fois par jour. Parfois même plusieurs dizaines de fois au cours d’un seul week-end.

Jeunes Afghans

Pendant ce temps, quatre jeunes Afghans, visiblement frigorifiés, errent dans le hall de la gare. Ils sont munis d’un document établi par le centre de requérants de Zoug, visiblement débordé et qui a envoyé le groupe au sud des Alpes.
Seul l’un des quatre jeunes de 18 à 20 ans bredouille deux ou trois mots d’anglais. Tous quatre, ainsi que le demandeur africain, sont finalement accompagnés au centre d’enregistrement où ils sont pris en charge par des collaborateurs de l’ODM.
Deux heures 30. Pour la patrouille, la nuit est loin d’être terminée. Michele Corti et son collègue reprennent la route. Chemin faisant, le sergent explique que la nuit précédente a été beaucoup plus mouvementée: «Nous avons notamment eu l’arrivée de plusieurs groupes d’Irakiens», explique-t-il. La patrouille continue de sillonner la région, en croisant régulièrement des collègues et en s’arrêtant en centrale pour faire le point avec des collègues.
Vers 4 heures 20, les deux garde-frontière prennent en chasse une luxueuse voiture de sport allemande, immatriculée en Roumanie. Le bolide finit par s’arrêter. Au volant, une prostituée de 22 ans. Elle vient de terminer sa nuit de travail dans l’un des nombreux lupanars du sud du Tessin.
Michele Corti lui rend ses papiers. Sa nuit de travail aussi touche à sa fin. Il prend le chemin de la centrale, où il retrouvera ses hommes pour établir un rapport et prendre congé de son équipe.

Nicole della Pietra, Chiasso, sur swissinfo.ch


Réfugiés au Tessin

Le quotidien des requérants d'asile.

Durant plusieurs mois, Jacek Pulawski a photographié le quotidien des requérants d'asile au centre de Chiasso, à la frontière avec l'Italie. Ce travail lui a valu de recevoir le Swiss Press Photo 2009.

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