La Suisse use et abuse des possibilités de renvoi offertes par l'accord européen. L'Observatoire du droit d'asile et des étrangers s'en émeut vivement.
Une photographie édifiante des conséquences humaines de la législation suisse en matière d'immigration. Procédures arbitraires, expéditives, interprétations systématiquement restrictives: le troisième rapport1 de l'Observatoire romand du droit d'asile et des étrangers (ODAE), présenté hier, met en lumière des dizaines de cas concrets de violation des droits des migrants. «Ces données sont vérifiées et reflètent une réalité globale. Ce ne sont pas quelques histoires qu'on donnerait en pâture aux médias», précise Philippe Nussbaum, président de l'association. Sur le front de l'asile, en attendant les nouveaux tours de vis qui se profilent, c'est sans doute le système Dublin qui constitue l'une des préoccupations majeures du moment. En vertu de ces accords européens, auxquels la Confédération a souscrit, les requérants ayant déjà déposé un dossier dans autre pays membre sont renvoyés vers ce dernier sans examen de leur demande. Or la Suisse en profite beaucoup grâce à sa situation géographique au coeur du continent. Trop, estime l'ODAE, qui parle d'«abus». De décembre 2008 à août 2010, ce sont plus de 4700 personnes qui ont ainsi été renvoyées, alors que seuls 550 candidats à l'asile ont fait le chemin inverse depuis un Etat Dublin.
L'enfer grec
Pressé d'exploiter pleinement les possibilités de l'accord, l'Office fédéral des migrations (ODM) a mis en place une procédure illégale, qui a finalement dû être modifiée à la suite d'un arrêt rendu par le Tribunal administratif fédéral au début de l'année. «Jusqu'en février dernier, les décisions Dublin n'étaient notifiées qu'au moment de leur renvoi», rappelle Aldo Brina, coordinateur de l'ODAE. Une violation crasse du droit de recours. Quant aux mandataires, ils étaient parfois informés du départ forcé des semaines après son exécution.
Si cette pratique a été modifiée à contrecoeur par les autorités, les renvois Dublin posent un problème de fond, dans la mesure où plusieurs pays membres ne garantissent pas une véritable procédure d'asile ni aucune aide à ces personnes, qui peuvent se retrouver directement en détention. La Grèce est peut-être le pire des exemples. L'Organisation suisse d'aide aux réfugiés vient d'ailleurs d'appeler la Confédération à imiter la Grande-Bretagne, la Norvège et la Belgique et à geler tout renvoi vers cet Etat. dans l'attente d'une décision de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de justice de l'Union européenne sur la légalité de ce type de mesure (lire aussi en page 6). Elle en a la possibilité via la «clause de souveraineté» prévue dans l'accord, mais n'en use quasiment jamais.
Droits humains: l'exception
Outre la Grèce, les conditions d'accueil et de traitement des requêtes sont également déplorables en Italie et à Malte. A ce titre, l'ODAE relate notamment le parcours chaotique d'une famille somalienne, récemment renvoyée vers l'île méditerranéenne. Le père y avait transité officiellement avec trois des six enfants et déposé une demande d'asile avant d'arriver en Suisse. La mère et le reste de la fratrie ont eux réussi à gagner notre pays en traversant clandestinement l'Italie. Puisque le système Dublin aurait impliqué une nouvelle séparation, l'ODM et la justice administrative ont ordonné le rapatriement des huit personnes à Malte. Dans ce genre de cas, les accords stipulent en effet que l'Etat responsable est celui où le membre le plus âgé de la famille a effectué ses premières démarches.
Pour l'ODAE, les abus en matière d'immigration, qu'il s'agisse d'asile ou de motivations économiques, sont clairement à mettre du côté des autorités fédérales. «L'image d'un pays trop généreux, trompé par les migrants, ne tient pas», estime Aldo Brina. Professeure au Centre universitaire de droit des migrations à Neuchâtel, Cesla Amarelle résume la situation en une formule: «Dès que les étrangers sont concernés, le respect des droits de l'homme passent du principe à l'exception.»
Olivier Chavaz dans le Courrier
Note : 1) Disponible sur www.odae-romand.ch
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