mercredi 27 octobre 2010

«La police rôde autour du terrain, les parents ont peur de conduire les enfants à l'école»

C'était l'échéance posée par le gouvernement: le 28 juillet, à la sortie d'une réunion à l'Elysée sur les «problèmes que posent les comportements de certains parmi les gens du voyage et les Roms» (sic), Brice Hortefeux annonçait le démantèlement en trois mois de la moitié des 600 campements illégaux recensés en France.

Nous y voilà. Et le gouvernement peut se targuer d'avoir rempli ses objectifs: au 13 septembre, dernier décompte public, 441 campements avaient été démantelés. Le rythme s'est-il ralenti depuis? Difficile de savoir, le ministère de l'Intérieur n'a pas donné suite à nos sollicitations.

Près de 10.000 citoyens roumains et bulgares ont été expulsés cette année. Comparé aux 12.432 sur toute l'année dernière, le tour de vis sécuritaire de l'été n'a donc pas fait gonfler, pour le moment, le nombre d'expulsions. La donne pourrait évoluer d'ici fin décembre, car les OQTF -«Obligation de quitter le territoire français» dans un délai d'un mois-, massivement distribuées cet été, sont désormais applicables.

Les associations ne désarment pas: elles ont adressé une plainte à la Commission européenne, pour alimenter son analyse sur les infractions commises par la France.

Sur le terrain, les situations dont nous avions rendu compte sur libération.fr témoignent de la main tendue par certaines collectivités locales. Mais trois mois après, le quotidien de ces Roms reste empreint de tourments policiers et de précarité.

Montreuil Au gré de la solidarité

«On va bien, à part qu'on ne sait pas ce qu'ils feront de nous demain», glisse une mère. Depuis l'expulsion de leur squat à Montreuil (Seine-Saint-Denis) le 14 août, dont la violence avait suscité une vague de réactions politiques, ce groupe de 36 Roms roumains vit ballotté au gré de la solidarité tantôt municipale, tantôt associative. Depuis une dizaine de jours, ils ont trouvé refuge dans une maison de quartier prêtée par la mairie. «A cette époque, l'an dernier, on était à la rue avec les enfants. Ici, on a l'eau, le chauffage, etc.», se réjouit tout au moins Daniel, 31 ans, père de trois enfants.

Au soir de leur expulsion, la mairie -dirigée par l'ex-ministre Verts Dominique Voynet- a ouvert un gymnase en guise d'hébergement d'urgence (relire le tchat et le reportage sur libération.fr). Mais se refuse à leur offrir une solution durable d'hébergement, faisant valoir que 350 Roms sont déjà pris en charge dans un programme d'insertion cofinancé par la commune.

Les organisations locales prennent le relais, rédigent fin août une plate-forme où elles s'engagent à soutenir les Roms. Ceux-ci sont hébergés deux semaines dans les locaux d'une première association, cinq dans ceux d'une autre. «La plate-forme travaille maintenant à leur proposer des solutions plus durables, quitte à ce que ce soit famille par famille», rapporte Claude Reznik, conseiller municipal délégué aux populations migrantes.

Daniel Lecatus, 31 ans, avec sa fille Viorica, 3 ans (E.A.)

Le 14 août, les 16 pères s'étaient vus délivrer une OQTF, pour «obligation de quitter le territoire français» sous un mois. Juste avant l'expiration du délai, ils sont retournés en Roumanie, où ils n'ont pas manqué de produire les preuves légales de leur traversée des frontières. Avant de revenir en France, quelques jours plus tard.

Le 17 août: Après le gymnase, l'inconnu pour les Roms de Montreuil

Choisy-le-Roi Entre insertion et expulsions

Une trentaine de Roms et de militants associatifs sont rassemblés devant la préfecture du Val-de-Marne (94), ce jeudi soir, 21 octobre. Avec une lettre pour le préfet. «Les mesures d'expulsion sans solution de relogement mettent des familles à la rue (...). L'hiver approchant rend cette situation encore plus insupportable», écrit le collectif Romeurope 94. Réponse du directeur de cabinet du préfet, telle que rapportée par la délégation partie le rencontrer: «La préfecture est déterminée à expulser les terrains et les personnes qui ne sont pas dans la légalité.»

Autre déconfiture: la préfecture ne reconnaît pas non plus «la pertinence du projet social mis en place à Choisy-le-Roi», rapporte le conseiller municipal venu se joindre à la délégation. Comme à Montreuil, la mairie a ouvert un gymnase pour les 70 Roms roumains à la rue après l'évacuation de leur terrain le 12 août. Un projet d'insertion a été mis en place, un terrain a été aménagé, avec caravanes, sanitaires et accompagnement social. Les enfants vont à l'école, une première pour la plupart.

Pas de quoi freiner la volonté gouvernementale: le 12 octobre, la police a arrêté l'un de ces Roms, Doru Novacovici, alors qu'il téléphonait en Roumanie depuis une cabine. Sous le coup d'une OQTF, il a été placé en rétention et expulsé quatre jours plus tard. «Il est déjà rentré», indique sa femme.

Mais l'épisode «a jeté un froid», rapporte Pierre La France, militant RESF. «La police rôde autour du terrain. C'est nous qui devons conduire les enfants à l'école, parce que les parents ont peur, témoigne Ksenija Car, militante choisyenne. S'ils ne peuvent pas sortir, c'est évident que le projet d'insertion va capoter.»

Le 12 août: Un camp de Roms évacué en région parisienne

Villeneuve-le-Roi L'hiver à l'air libre

Le campement de Villeneuve-le-Roi, le 20 août. (Stéphane LAGOUTTE/M.Y.O.P)

Ils ont bien failli ne pas passer l'été, ils y passeront finalement l'hiver. Sur un petit terrain boisé en bordure de Seine, dans cette commune du Val-de-Marne, une quarantaine de Roumains, Roms pour la plupart, s'apprête à passer la saison froide en cabanes.

Avant le tour de vis sécuritaire du gouvernement, le Conseil général (PCF) avait demandé l'évacuation du terrain. Il a retiré sa plainte fin août, promettant de travailler à «des solutions dignes d'hébergement».

Mais l'urgence va durer. Le Conseil général admet que les associations, mobilisées sur le projet de Choisy, sont un peu à court de ressources pour les Roms de Villeneuve. «On songe à solliciter les fonds européens destinés à l'insertion des Roms», indique le cabinet du président Christian Favier. Le projet, en gros: les hommes suivraient une formation aux métiers du bâtiment en construisant eux-mêmes leur logement, sur une friche urbaine.

En attendant, des dons et l'aide de la Croix-Rouge ont permis l'achat de chauffages au pétrole pour quasiment chaque famille. «On a essayé d'isoler un peu mieux les cabanes, parce qu'il fait très froid maintenant», raconte Nicolae, joint par téléphone.

Quatre enfants ont été inscrits à l'école la semaine dernière. «Ça va lentement, car nous ne sommes pas soutenus par la mairie», déplore Christèle Maïcon, de l'association Imediat.

Et puis l'un des habitants a fait son retour au campement, il y a deux semaines. Après deux mois de prison, sur les trois ferme auxquels il a été condamné fin août. Motif: «provocation de mineurs à commettre un délit», celui de mendicité. Sans nouvelles pendant deux semaines, sa famille a d'abord cru qu'il était mort. Quant aux mineurs en question, «ils ont reconnu qu'ils ne mendiaient pas avec mon beau-père, raconte Nicolae. Il a fait deux mois de prison pour rien».

Diaporama : Dans les cabanes des Roms de Villeneuve-le-Roi

Grand Angle: Roms, vies ouvertes

Stéphane Lagoutte/M.Y.O.P

Un article signé Elodie Auffray dans Libération

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