Savoir combien d’étrangers criminels sont et seront renvoyés n’a rien d’une sinécure. Enquête.
A l’heure actuelle, près de 400 décisions de renvoi sont prononcées en moyenne par année. Ce nombre pourrait doubler (800) si le contre-projet du Conseil fédéral à l’initiative sur le «renvoi des étrangers criminels» était accepté. Et si c’est l’initiative UDC qui l’emporte, les expulsions ordonnées pourraient s’élever à près de 1500.
Ces chiffres sont toutefois à prendre avec des «pincettes», a précisé la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf. Etablies par une enquête de l’Office fédéral des migrations (ODM), ces données n’ont pas manqué d’alimenter la polémique.
Le thème des «criminels étrangers» sera ainsi émotionnel de bout en bout: depuis l’affiche, en 2007, des «moutons noirs» jusqu’à la votation du 28 novembre prochain. Polémique? Oui. Car la guerre des chiffres annoncée a bien lieu.
Vue d’ensemble absente
Depuis trois ans déjà que le thème est à l’agenda politique, d’aucuns s’exaspèrent de l’absence d’une vue d’ensemble détaillant la pratique des cantons. Etonnamment, l’Association des services cantonaux des migrations (ASM), qui a consolidé les chiffres sur lesquels s’appuie Eveline Widmer-Schlumpf, n’est pas en mesure de donner cet élément d’information essentiel au débat.
Marge d’appréciation
«Nous voulons justement gommer les disparités entre cantons», explicite Yvan Perrin, vice-président de l’UDC Suisse, pour qui la marge d’appréciation de la loi actuelle par les cantons est trop importante. Elle apparaît même criante si l’on considère la métropole lémanique: un délinquant étranger a entre six et huit fois plus de chances d’être expulsé s’il est établi à Lausanne plutôt qu’à Genève (lire ci-contre).
Mais que changerait l’adoption du contre-projet? Pas grand-chose, selon l’UDC, qui fustige les chiffres d’une part, mais aussi la pondération faite par l’ODM, selon le principe de proportionnalité du délit, pour arriver à ces 800 personnes expulsables. L’interprétation de la loi, l’arbitraire et les disparités cantonales seraient encore à l’ordre du jour.
Pas de repères à Genève
Ce chiffre de 800 expulsions possibles ne manque d’ailleurs pas d’étonner le ministre vaudois de l’Intérieur, Philippe Leuba. En extrapolant la situation vaudoise, le libéral arrive au bas mot à 1200 expulsions pour la Suisse. «La différence entre mon estimation nationale et celle de l’ODM illustre que le canton de Vaud se montre ferme dans l’application de la loi», se félicite Philippe Leuba, qui a fait de la transparence de sa politique d’expulsion une priorité.
Au bout du lac, la Genevoise Isabel Rochat (libérale), en charge du dossier depuis une année, promet un exercice de rattrapage: «J’ai été très étonnée par l’absence de chiffres concernant les renvois pour motifs pénaux. J’ai exigé que ces lacunes statistiques soient comblées au plus vite en vue de la votation.» Polémique encore. Les 1500 renvois que permettrait l’application de l’initiative UDC ne sont, eux, quittancé par personne. Et surtout pas par l’UDC, qui ne veut pas entrer dans ce débat. «Ces chiffres? C’est beaucoup trop mal foutu pour que cela ne soit pas délibéré», résume Yvan Perrin.
La réalité des renvois
Philipp Müller, conseiller national argovien (PLR) reproche même à l’ODM d’avoir avancé des chiffres: «Il faut arrêter avec ces prévisions hasardeuses! On a beau annoncer qu’il y aura 1400 ou 700 décisions de renvoi de plus. La réalité peut être tout autre, car les gens ne quittent pas forcément le territoire suisse.»
Le «Monsieur Migration» du PLR précise: «Les mineurs, les personnes qui risquent un traitement inhumain ou encore celles qui ne sont pas réadmises dans leur pays d’origine ne sont pas expulsables, malgré la décision de renvoi. Pourtant, elles figurent dans ces statistiques.» Mais, là encore, selon l’ODM, aucun chiffre sur les renvois non réalisés n’est disponible.
Xavier Alonso et Romain Clivaz, Berne, pour 24 Heures
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