Chez nos voisins britanniques, les gens du voyage -en majorité des Irlandais (« Irish travellers »)- ne sont pas mieux traités qu'en France. On ne les renvoie pas au pays, car la plupart sont des sujets de Sa Majesté, mais on les expulse de leurs propres terrains.
Mardi 7 septembre, Catherine McCann est encore en peignoir quand le premier camion déboulle sur son terrain. A quelques mètres de sa caravane, la compagnie d'huissiers Constant & Co, spécialisée dans l'expulsion des gens du voyage, installe un premier préfabriqué destiné aux employés de sa compagnie. A bout de nerfs, Catherine fume cigarette sur cigarette.
« Ça fait huit ans que ça dure. J'ai eu beau acheter mon terrain, je n'ai pas le droit d'y vivre. »
Catherine et les six autres familles -entre 50 et 60 habitants- de Hovefields, à Basildon dans l'Essex, ont reçu un avis d'expulsion de la mairie il y a un mois. La date butoir est passée, ils sont contraints de quitter, par la force, les terrains qui leur appartiennent. « Je suis bouleversée », raconte Margaret, la sœur de Catherine, assise sur la banquette de sa caravane.
« Maintenant qu'ils sont là, ils vont détruire nos terrains au bulldozer les uns après les autres pour qu'on ne revienne pas. » (Voir la vidéo)
Travellers' Eviction in Basildon from elisabeth blanchet on Vimeo.
« Ne nous traitez pas comme des chiens ! »
L'atmosphère est tendue à Hovefields. « Ce matin, avant que la presse arrive, un huissier a donné un coup de poing au visage de mon oncle », raconte John, un « traveller » d'une vingtaine d'années.
« Il lui a cassé le nez. Il ne voulait pas quitter son terrain. Le même huissier s'en est aussi pris à Donna, notre voisine, il lui a carrément arraché une touffe de cheveux. »
Des défenseurs des droits de l'homme sont présents, ils s'allongent sur le chemin boueux qui mène aux terrains pour empêcher l'accès des bulldozers. Les huissiers les déplacent de force. « Ils n'ont pas le droit de toucher aux gens, seuls les officiers de police y sont autorisés », crie une voix, surenchérie par celle de Catherine, bouleversée :
« Ne me touchez pas ! Montrez-nous du respect ! Ne nous traitez pas comme des chiens ! Est-ce que j'ai l'air d'un chien ? »
En vain, car l'opération continue et se solde par l'arrestation de deux manifestants et l'invasion inéluctable des bulldozers.
« On nous propose des appartements en HLM »
Les expulsions de gens du voyage sont monnaie courante en Grande-Bretagne, et le scénario classique : les familles achètent des terrains, demandent des permis de construire aux mairies, qui de manière quasi systématique, leur refusent.
Les « travellers » ont beau continuer à vivre dans leurs caravanes et n'avoir construit aucun bâtiment, ils sont considérés comme hors-la-loi par les autorités. Ces dernières sont censées leur proposer des alternatives de logement.
« On nous propose des appartements en HLM, mais ce n'est pas notre mode de vie. On veut rester ensemble, les uns à côté des autres et continuer à vivre dans nos caravanes », explique Margaret.
Les larmes lui montent aux yeux et son regard se fige vers l'extérieur. Elle chuchotte : « J'aime ma vie de “traveller” ».
Entre 15 000 et 30 000 Irish « travellers »
Qui sont les gens du voyage au Royaume-Uni ? Il existe plusieurs communautés (« English travellers », « Scottish travellers », Roms) mais la majorité d'entre eux sont d'origine irlandaise.
Depuis des décennies, ils arpentent les routes du Royaume-Uni et sont originaires des quatre coins d'Irlande. Ce serait la grande famine du milieu du XIXe siècle qui aurait poussé leurs ancêtres à prendre la route à la recherche de travaux temporaires.
Le voyage est devenu leur mode de vie et les routes du Royaume-Uni, plus propices au travail que celles d'Irlande, leur territoire de prédilection. C'est ainsi qu'aujourd'hui on dénombre qu'entre 15 000 et 30 000 Irish « travellers » résident en Grande-Bretagne. Leur nombre est cependant difficile à évaluer : il se base essentiellement sur les enfants scolarisés.
Les Gypsies britanniques ne perdent pas leurs traditions
Reconnu comme un groupe ethnique en Grande-Bretagne, il est aussi considéré comme celui souffrant le plus de discrimination. Comme à Hovefields, de nombreuses familles ont acheté leurs terrains et vivent sous la menace perpétuelle de l'expulsion.
La majorité vit dans des camps aménagés par les mairies, semi-sédentarisés : les enfants sont scolarisés dans des écoles du quartier et les familles ont accès aux centres de santé locaux. Les places dans ces sites sont de plus en plus rares, d'autant plus que les fonds, que les travaillistes avaient prévus d'allouer pour leur expansion, ont été annulés par le nouveau gouvernement de coalition au printemps dernier.
Mais qu'ils soient semi-sédentarisés ou non, les Gypsies britanniques ne perdent pas leurs traditions. La caravane est toujours amarrée à la voiture, prête au voyage, aux rassemblements familiaux et aux événements tels que les foires aux chevaux, comme celle d'Appleby dans le Nord-Ouest du pays.
Ce soir, c'est le chemin des bas-côtés des routes et des parkings de supermarchés que les expulsés de Hovefields vont prendre.
Répétition générale avant la « grande expulsion »
Un des huissiers ose demander à l'un des enfants pourquoi il n'est pas à l'école aujourd'hui. A quoi bon ? Il ne sait même pas où il sera demain.
Le coup de force que viennent de subir les sept familles de Hovefields n'a malheureusement que des allures d'exercice préparatoire et de répétition générale avant la « grande expulsion ». A quelques kilomètres de Basildon, les mille « travellers » de Dale Farm -la plus grande communauté de gens du voyage du Royaume-Uni- sont en effet les prochains sur la liste des huissiers. L'expulsion, prévue dans les trois semaines à venir, sera la plus importante de toute l'histoire du Royaume-Uni.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire