samedi 31 juillet 2010

Sans papiers, pas d’amour

Mieux vaut tomber amoureux d’un ressortissant de l’espace Schengen.

C’est une loi passée un peu inaperçue mais qui va enlever aux citoyens suisses, et pas seulement à eux, une part de leur liberté individuelle. Elle stipule que dès le 1er janvier prochain, les officiers d’état civil ne pourront célébrer de mariage que si les deux fiancés sont titulaires de la nationalité suisse ou d’un titre de séjour valable. La manœuvre vise à empêcher les requérants d’asile déboutés, mais aussi les étudiants étrangers arrivés au terme de leur cursus, les touristes qui s’attardent plus de trois mois ou les travailleurs au noir, de légaliser leur présence en Suisse par le mariage.

Comme si tous les sans-papiers n’avaient que des motifs coupables pour se marier.

Or, pour quelques cas suspects que les dispositions actuelles, qui datent de 2008, permettent déjà de prévenir, cette nouvelle loi aura d’amères conséquences pour les citoyens de ce pays. Ils ou elles ne pourront plus épouser la personne de leur choix. Car les alternatives, mariage dans le pays d’origine ou obtention d’un visa spécifique, restent souvent illusoires. Essayez donc de suivre votre fiancé à Mogadiscio pour l’épouser ou de proposer à la femme qui pourrait être celle de votre vie de rentrer à Bassorah pour y demander un visa.

Mieux vaut tomber amoureux d’un ressortissant de l’espace Schengen.

Sans oublier la part d’arbitraire que cachent ces nouvelles normes: un cadre japonais aura plus de chances qu’un jeune Africain de franchir les obstacles que la Suisse dresse désormais sur le chemin du mariage, quelle que soit la force des sentiments qui les unissent à leur fiancée. Du côté des conjoints helvètes, il ne sera pas négligeable de disposer de relations au sein de l’administration pour surveiller une procédure assez obscure, et de revenus confortables pour couvrir les billets d’avion, l’attente du conjoint dans son pays et les garanties financières nécessaires pour le visa. Les Suisses sont-ils prêts à accepter ces nouvelles limites? A gauche comme à droite, certains qualifient cette loi comme relevant d’un Etat totalitaire.

Editorial de Serge Michel dans le Temps

Sans papiers, pas de mariage

Dès 2011, les personnes sans statut légal ne pourront plus se marier, au nom de la lutte contre les mariages fictifs. Un couple témoigne de la difficulté à s’unir et des soupçons qui pesaient sur lui.

Julie et ModouIls n’auront plus le droit de se marier en Suisse. Dès le 1er janvier 2011, les clandestins et les requérants d’asile définitivement déboutés ne pourront plus épouser une Suissesse ou un Suisse, faute de permis de séjour ou de visa valables. Toni Brunner (UDC/SG), auteur d’une initiative déposée en 2005 pour «empêcher les mariages fictifs», a gagné une bataille. Le parlement l’a suivi, le Conseil fédéral aussi. Parmi les partis gouvernementaux, seul le PS s’y est opposé. Et lors de la procédure de consultation, cinq cantons seulement – Vaud, Genève, Neuchâtel, Berne et Schaffhouse – ont jugé la disposition trop restrictive. Et cela alors que la nouvelle loi sur les étrangers de 2008 permet déjà aux officiers de l’état civil de refuser de célébrer des unions en cas de soupçons.

Les fiancés qui ne sont pas citoyens suisses devront désormais apporter la preuve qu’ils ont le droit de séjourner en Suisse jusqu’à la date prévue du mariage: voilà ce que prévoient les nouvelles dispositions. Autre nouveauté: les autorités de l’état civil devront communiquer aux services de migration compétents l’identité des personnes qui ne peuvent pas prouver la légalité de leur présence. C’est-à-dire les dénoncer.

Ces restrictions sont contestées par certains juristes, le droit au mariage et à la famille étant garantis par la Constitution fédérale (art. 12 et 14) et la Cour européenne des droits de l’homme. Elles dénotent surtout une volonté de compliquer encore davantage l’accès au mariage pour les étrangers extra-européens. Et de rendre leur parcours plus kafkaïen.

Bien sûr, des abus existent. Selon l’Office fédéral de l’état civil, il y aurait entre 500 et 1000 mariages «suspects» par année. Le Tribunal fédéral traite, chaque année, environ 100 recours en relation avec des mariages de complaisance. Mais personne n’est en mesure d’affirmer que tous les clandestins en Suisse – ils seraient entre 100 000 et 300 000 – cherchent à se marier, avec la complicité ou non d’un tiers, dans le seul but de rester en Suisse ou d’obtenir une naturalisation facilitée. Par ailleurs, ce sont au total près de 15 000 unions mixtes qui sont célébrées par an, ce qui relativise le chiffre brandi par l’Office fédéral de l’état civil.

Lors des débats parlementaires, la gauche et une petite poignée d’élus de droite, comme Claude Ruey (PLR/VD), ont, en vain, dénoncé le caractère discriminatoire du projet. «Quand tous les fiancés étrangers sont présumés coupables, où est la proportionnalité? Une police qui met tout le monde en prison, sous prétexte que les voleurs existent, est-elle une police efficace et mesurée?» s’est interrogée Liliane Maury Pasquier (PS/GE). Elle réagissait au fait que le Conseil fédéral, dans ses arguments, a souligné que les dispositions seraient appliquées dans le respect du principe de proportionnalité. Donc en tenant compte de certains cas particuliers.

L’ancienne conseillère nationale libérale Suzette Sandoz, spécialiste du droit du mariage, est, elle aussi, choquée par un aspect de ces dispositions. «L’utilisation d’une autorité civile pour dénoncer à la police une personne même si celle-ci est en situation illégale en Suisse équivaut à la mise sur pied d’une police d’Etat comme dans les pires régimes totalitaires», a-t-elle récemment écrit dans une de ses chroniques pour par la NZZ am Sonntag.

Elle précise sa pensée au Temps. «Ce qui me gêne vraiment est que les officiers d’état civil soient poussés à la délation», souligne-t-elle. «Je peux par contre comprendre qu’ils ne célèbrent pas le mariage de personnes dont ils ne peuvent pas vérifier l’identité et l’état civil, et donc si elles sont déjà mariées. Car si c’est le cas, et même si une annulation de l’union est possible, cela provoquerait des complications juridiques importantes, notamment pour les enfants.»

Concrètement, un sans-papiers peut rentrer dans son pays, chercher les documents nécessaires et revenir légalement en Suisse, avec un visa, argumentent les défenseurs du projet. Un scénario dans les faits pas très réaliste, les clandestins étant peu enclins à prendre ce genre de risque. Autre obstacle: certains pays ne peuvent ou ne veulent pas fournir les documents exigés.

Un Suisse pourra par ailleurs continuer à épouser un étranger hors de Suisse et faire reconnaître son mariage si ce dernier a été «valablement célébré» et sans intention frauduleuse. Mais le mariage n’a aucune incidence sur l’obligation du visa qui dépend de la nationalité de l’étranger, précise Marie Avet, porte-parole de l’Office fédéral des migrations. Le conjoint étranger devra donc déposer une demande de visa auprès du consulat suisse avec les documents d’état civil pour la transcription du mariage dans le canton d’origine de l’époux. Ensuite, il obtiendra en principe un visa D qui lui permettra d’entrer en Suisse. Dès qu’il aura déclaré son arrivée à la commune, il obtiendra un permis B, renouvelable chaque année.

Autre cas de figure: la personne étrangère qui réside à l’étranger et qui souhaite se marier en Suisse. Elle devra d’abord demander un visa si sa nationalité l’oblige à le faire. Ce sésame lui sera délivré pour la durée de la procédure préparatoire du mariage. Si celle-ci n’est pas achevée au bout de trois mois, une autorisation de séjour de courte durée est accordée après l’entrée en Suisse.

Les dispositions qui entreront en vigueur dès l’an prochain ne devraient rien changer pour ces deux cas de figure. Mais elles contribuent à renforcer le soupçon qui pèse sur les étrangers. Un jeune Gambien de 20 ans aura toujours plus de peine à obtenir un visa qu’une Indienne d’âge mûr…

Une chose est sûre, en adoptant ces mesures la Suisse rejoint les rangs des pays les plus restrictifs en la matière. La France a bien durci ces dernières années sa législation, mais sans aller aussi loin. Les maires peuvent refuser de célébrer un mariage «suspect» et saisir le procureur de la République. Mais le Conseil constitutionnel s’est érigé en 2003 contre l’idée que l’irrégularité du séjour puisse être une entrave au mariage.

La nouvelle réglementation suisse se calque en revanche sur celles du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de la Norvège et du Danemark. Au Danemark, une loi de 2007 précise que le mariage ne peut être célébré que si les fiancés sont citoyens danois ou au bénéfice d’un titre de séjour valable. Idem en Norvège, avec une loi qui date de 1994 déjà.

Les règles des Pays-Bas sont plus précises. Un article du Code civil néerlandais prévoit l’obligation de présenter à l’officier de l’état civil une déclaration du chef de l’autorité compétente en matière d’étrangers sur la régularité du séjour du futur époux. Une déclaration qui n’est pas requise si les futurs époux ou pacsés ont leur résidence à l’étranger, ni pour ceux qui viennent d’un pays membre de l’UE ou de l’AELE.

Au Royaume-Uni, un résident qui ne vient pas d’un pays de l’EEE doit être titulaire d’un «visa pour mariage», d’un «visa de fiancé» ou être détenteur d’une autorisation de mariage appelée «certificate of approval» délivrée par le Home Office avant de pouvoir effectuer une déclaration de mariage. Et cela depuis 2004. Mais il y a une exception: en Angleterre et dans le pays de Galles, ces dispositions ne sont pas applicables aux mariages célébrés selon les rites de l’Eglise anglicane et qui sont précédés de la publication des bans.

Valérie de Graffenried dans le Tempss

De la difficulté d’épouser l’homme qu’on aime

Julie et Modou ont suivi la procédure qui sera la norme en 2011…

C’était en 2006, la soirée du match France-Brésil de la Coupe du monde. Les rues de Lausanne étaient pleines de supporters heureux ou déçus. Julie croise Modou dans la foule. Ils se parlent et ils se plaisent. Ils se revoient. Quelques mois plus tard, Julie déménage à Lausanne, pour vivre avec Modou. Julie est Vaudoise, étudiante. Modou est Gambien, sans ­papiers. Sa demande d’asile a été refusée mais il a évité jusque-là l’expulsion, en fournissant des renseignements inexacts.

En 2008, la nouvelle loi sur les étrangers rend sa situation plus précaire encore. Pour préserver leurs chances de vivre ensemble, Julie et Modou décident de se marier. En Suisse? «C’était risqué, dit Julie. Cela pouvait réveiller la procédure d’expulsion.» Le jeune couple opte pour la Gambie. Ils atterrissent à Banjul en juin 2008 et passent devant l’officier d’état civil quelques jours plus tard. Puis sautent dans un taxi collectif pour Dakar, afin de faire enregistrer leur union à l’ambassade de Suisse la plus proche et déposer une demande de visa pour Modou, au titre de regroupement familial.

Il doit alors fournir ses empreintes digitales et expliquer dans quelles circonstances il a déjà séjourné six ans en Suisse. Modou retourne attendre en Gambie et Julie rentre chez elle, d’où elle ne cesse d’appeler l’ambassade à Dakar pour que la demande suive son cours. Or il ne semble pas y avoir de cours pour des demandes pareilles. «Il a fallu deux mois pour que les documents soient envoyés à Berne», dit-elle, dépitée.

De là, le dossier est transmis à sa commune d’origine, pour enregistrement, puis au Service de la population à Lausanne (SPOP), chargée de statuer sur la demande de visa du mari. Cinq mois s’écoulent, rien ne bouge. Julie appelle des responsables qui prétendent ne pas être là. Elle se rend à des rendez-vous qui, le jour venu, n’auraient pas été fixés. Elle fait et refait la queue au guichet et subit, au mieux, la froideur, au pire le mépris et l’agressivité des fonctionnaires.

«Ils me regardaient comme une victime dont la naïveté avait été abusée. Je ressortais à chaque fois en morceaux.» Tout est toujours flou: «Les versions sur l’état du dossier changeaient d’un fonctionnaire à l’autre, d’un jour à l’autre, se souvient-elle. C’est de ma vie qu’il s’agissait et c’étaient eux qui en disposaient.»

Des questions plutôt intimes

Le temps passe, comme entre parenthèses. Julie a pris, en se mariant, l’une des décisions les plus importantes de sa vingtaine d’années et rien ne lui permet d’être certaine de revoir son mari en Suisse. Elle l’appelle souvent. Elle craque et va deux semaines le voir en Gambie. Elle se démène pour trouver des relais qui mentionnent son cas à des responsables haut placés du SPOP.

Enfin, en décembre 2008, elle reçoit une lettre, qui lui pose trois questions, plutôt intimes. Elle se fend de longues réponses, parle d’amour et d’avenir. Et continue d’attendre. En février 2009, elle apprend par la bande que le visa attend son mari à l’ambassade suisse de Dakar depuis trois semaines. Personne n’a jugé bon de l’avertir. Modou va chercher le visa, retourne à Banjul, monte dans l’avion, reprend sa place dans l’appartement commun, trouve un travail. Happy end? «C’est plutôt un départ à zéro», estime la jeune mariée.

La vie de Modou n’était pas en danger en Gambie, comme pour d’autres déboutés de l’asile. Il n’a pas subi de pressions de sa famille ou de son entourage. «On a eu de la chance», conclut Julie.

Serge Michel dans le Temps

La Suisse a déjà accordé l’asile à des Ouïgours

Nijiati Abudureyimu, l’ex-policier chinois qui dénonce un trafic d’organes de condamnés à mort dans son pays, est de retour à Neuchâtel.

L’ex-policier chinois Nijiati Abudureyimu, qui dénonce un trafic d’organes de condamnés à mort dans son pays et dont le renvoi vers l’Italie n’a pas pu être effectué dans les délais prévus par les Accords de Dublin, a regagné vendredi le centre d’accueil pour requérants d’asile de Fontainemelon dans le canton de Neuchâtel. Si l’Office fédéral des migrations (ODM) n’obtient pas de nouveau délai de la part de l’Italie pour son renvoi, une procédure d’asile s’ouvrira. Contrairement à ce que disait le conseiller d’Etat neuchâtelois Frédéric Hainard dans nos colonnes vendredi, ce ne serait pas exceptionnel pour un Chinois ou un Ouïgour.

Selon les statistiques de l’ODM, fin 2009, 995 Chinois étaient dans le processus d’asile en Suisse; 713 d’entre eux ont obtenu une admission provisoire. Berne ne distingue pas parmi les «ethnies» chinoises. Une grande partie de ces réfugiés est toutefois d’origine tibétaine. «Le nombre d’Ouïgours en Suisse (ndlr: des musulmans du nord-ouest de la Chine) est très faible, 70 à 80 personnes, explique Manon Schick, la porte-parole d’Amnesty International qui se réfère aux chiffres donnés par le représentant de cette communauté. Cela comprend les enfants. La plupart sont des réfugiés qui ont obtenu l’asile. Ils ont fui le Xinjiang en raison de persécutions politiques.» Quant aux deux Ouïgours du Jura, ex-détenus de Guantanamo, ils ont été accueillis à titre humanitaire.

Frédéric Koller dans le Temps

Nijiati Abudureyimu: «Le trafic d'organes est un vrai business en Chine»

Ex-policier ouïgour réfugié en Suisse, Nijiati Abudureyimu raconte ses neuf années passées à travailler dans une prison chinoise qui réalisait des exécutions à la chaîne et prélevait les organes des condamnés pour les revendre. Il aimerait dénoncer les atrocités qu'il a observées devant l'ONU.

Nijiati Abudureyimu est actuellement logé au Centre pour réfugiés de Fontainemelon (NE). Il attend de pouvoir déposer une demande d'asile. Image © Sandro Campardo

Il a refusé jeudi de monter dans l'avion qui devait le renvoyer à Rome, en vertu des Accords de Dublin. De retour au Centre pour réfugiés de Fontainemelon (NE), l'ex-policier ouïgour Nijiati Abudureyimu, 41 ans, raconte son histoire, sa fuite, et son espoir d'obtenir des papiers pour témoigner des atrocités auxquelles il a assisté durant des années à Urumqi, capitale du Xinjiang, province musulmane du nord-ouest de la Chine.

Depuis quand êtes-vous en fuite?
J'ai quitté Urumqi il y a trois ans et demi pour Dubaï, où vit mon frère, où je suis resté deux mois. Mais l'insistance d'une Chinoise, qui en fait était de la police, à se renseigner sur moi, m'a effrayé, et je suis parti pour l'Europe, l'Italie, puis la Norvège, qui m'a renvoyé en Italie, d'où je suis venu en Suisse pour témoigner à l'ONU. J'attends depuis novembre 2009 de pouvoir déposer une demande d'asile ici.

Pourquoi avez-vous dû quitter votre pays?
Parce que j'ai parlé en public des exécutions de prisonniers, des prélèvements d'organes qui étaient faits sur eux, alors qu'ils n'étaient pas encore morts, le trafic qui en était fait. C'est un vrai business en Chine, où tout le monde touche sa part, le docteur qui opère, les policiers qui laissent faire, tout le monde.

Durant combien de temps et dans quelles circonstances en avez-vous été le témoin?
J'ai été membre de la police spéciale de 1989 à 1998. En 1993, mon chef m'a dit que j'étais affecté à la prison de Liu Dao Wan, un nom qui fait trembler, car énormément de monde y est condamné à mort.

Des Ouïgours?
Oui, mais aussi des Mongols, des Tibétains, des Chinois.

Avez-vous exécuté des prisonniers?
Non, Dieu merci, ce n'était pas mon rôle!

Quelle était votre tâche?
J'enregistrais leurs noms, les informais du règlement, les menais à leurs cellules. Il y a deux longs couloirs jalonnés de petites pièces où ils sont entassés à vingt. Le soir, on me communiquait les noms de ceux que je devais aller chercher le lendemain à 6 heures pour leur exécution. Ils avaient peur, certains pleuraient, d'autres urinaient dans leur pantalon, des gardes les traînaient...

Impossible de changer de poste?
Au bout d'un certain temps, j'ai dit à mon supérieur que je voulais retourner dans la police, mais il a refusé car j'avais vu trop de choses. J'y suis resté cinq ans, jusqu'en 1998. J'ai assisté à de nombreuses scènes de torture, dans la section des hommes et celle de femmes. Un appareil électrique sur les parties génitales, enfoncé dans le sexe, les décharges, les cris...

Avaient-ils un avocat?
Non! On leur lisait l'acte d'accusation, la sentence de mort, puis ils avaient 15 minutes pour téléphoner à leurs proches ou faire leurs adieux au parloir. C'est moi qui les escortais. C'est court, 15 minutes. C'était insoutenable.

Les exécutions avaient lieu dans la cour?
Non, toutes les mises à mort se font à Xi Shan, qui veut dire la «Montagne de l'Ouest», où nous les conduisions dans des bus aux vitres teintées. Ils avaient les poignets liés aux chevilles, et une corde passée au cou suffisait, d'une traction, à les empêcher de crier. Ils étaient alignés à genoux et on leur tirait une balle dans le dos, en visant le coeur. Au besoin, ils étaient achevés de trois balles.

Il y a beaucoup d'exécutions?
Tout le temps. Seul, par groupe de trois ou de douze, d'après ce que j'ai vu personnellement. Je me souviens d'un garde qui, à chaque fois, regardait le soleil qui nous suivait, qui tapait fort sur Xi Shan, en disant: «C'est Dieu! Il est fâché à cause de ce que nous faisons.»

Quand avaient lieu les prélèvements d'organes?
Certains recevaient une balle non mortelle, puis n'étaient pas achevés sur place mais ramenés à la prison, où l'opération avait lieu et où on les laissait mourir. J'ai remarqué aussi qu'un peu avant l'exécution on faisait une prise de sang pour analyses à ceux qui avaient été choisis.

Pourquoi avoir attendu neuf ans pour fuir et témoigner?
J'ai démissionné en 1998 et vécu de commerce. Mon entourage ne comprenait pas que je quitte la police, qui est un bon job en Chine. Je ne parlais pas, car le Parti communiste chinois est partout. Fin 2006, un jour où j'avais un peu trop bu de vodka, j'ai rectifié en public les propos d'un médecin sur le prix d'un rein, environ 300 000 yuans (47 00 fr.), bref, j'ai trop parlé. Peu après, un ami de la police m'a dit que j'étais fini, qu'il me fallait quitter le pays tout de suite.

Vous avez de la famille?
Ma femme était enceinte, je suis allé la voir à 1800 km de là, à Hutan où elle vit. J'ai assisté à la naissance de ma fille, les ai embrassées et je me suis enfui début janvier 2007. Je ne les ai jamais revues et ne les reverrai sans doute jamais.

Sont-elles en danger?
Bien sûr. Six mois après ma fuite, mon père est mort dans des circonstances peu claires. Je connais leurs méthodes, j'ai été dans la police durant dix ans... Quand je joins ma femme par téléphone, nous parlons peu. Je suis sûr qu'elle est sur écoute. Mais je ne lui dis pas que je transite de camp en camp, elle croit que je mène une vie normale.

Arrivez-vous encore à dormir?
Très mal. Nous sommes huit par chambre à Fontainemelon. En comparaison, Genève, c'est l'hôtel avec deux personnes et la TV (Centre de Frambois près de l'aéroport, ndlr). Mais je fais surtout des cauchemars, je vois la police chinoise m'arrêter. Ma vie est finie. Parfois, j'ai envie de mourir. J'y pense.

Propos recueillis par Yvan Radja dans le Matin

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Un témoin précieux, selon Amnesty International

Après l'échec du renvoi à Rome de Nijiati Abudureyimu, «une nouvelle demande de réadmission va être faite à l'Italie», selon Michael Glauser, de l'Office fédéral des migrations (ODM). Si l'Italie ne devait pas répondre, une procédure d'asile pourrait être activée en Suisse. Une procédure qui ne serait pas exceptionnelle pour un Chinois ou un Ouïgour, contrairement à ce qu'a déclaré le conseiller d'Etat neuchâtelois Frédéric Hainard, affirme Le Temps dans son édition de samedi: «Selon les chiffres de l'ODM, 995 Chinois sont en processus d'asile en Suisse, et 713 d'entre eux ont obtenu une admission provisoire.»

Porte-parole d'Amnesty International pour la Suisse, Manon Schick craint que «si l'ODM le renvoie en Chine, il soit emprisonné, ou pire encore, car le sujet est tabou. On estime à 90% les organes utilisés pour des transplantations en Chine qui sont prélevés sur des prisonniers exécutés. Les preuves sont rares, et cet ex-policier est un témoin précieux.»

S'il désire témoigner devant l'ONU à Genève, Nijiati Abudureyimu devra suivre une procédure précise, explique Xabier Celaya, de la Commission des droits de l'homme: «En général il faut qu'il y ait plainte déposée contre un Etat par une victime. Ensuite, il faut être appuyé par un pays ou par une ONG.»

Etudes cliniques de Roche en Chine
Cette problématique touche la Suisse car «Roche et Novartis testent en Chine des médicaments antirejet sans garantie que l'organe provient bien d'un donneur consentant», explique Manon Schick.

Contacté par nos soins, Roche affirme que «les deux études cliniques menées en Chine pour le médicament CellCept respectent les mêmes standards scientifiques, médicaux et éthiques que dans les autres pays, selon la porte-parole Claudia Schmitt. De plus, ce sont les cliniques qui sont responsables de l'obtention des organes. Roche n'est pas autorisé, en Chine ni dans aucun autre pays, à connaître l'identité des donneurs.» Novartis, pour sa part, «soutient des actions comme le Programme chinois de coopération pour le don et la transplantation d'organes (CODTCP), déclare la porte-parole Isabel Guerra. Ce programme favorise l'alignement de la Chine sur les standards internationaux en termes de législation et d'obtention d'organes.»

vendredi 30 juillet 2010

Discours de N. Sarkozy à Grenoble

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Mix & Remix dans l'Hebdo

Des requérants d’asile mariés ont été séparés à tort, dénonce Strasbourg

La Cour européenne des droits de l’homme condamne la Suisse pour avoir empêché deux Ethiopiennes déboutées de vivre avec leur mari en attendant leur renvoi.

Deux requérantes d’asile éthiopiennes viennent d’obtenir gain de cause: mariées, elles auraient dû pouvoir vivre avec leurs époux en attendant leur renvoi de Suisse. Dans deux arrêts publiés jeudi, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de Strasbourg condamne l’Office fédéral des migrations (ODM) pour avoir séparé ces couples pendant près de cinq ans. Ou plutôt pour avoir refusé de modifier l’attribution cantonale afin de leur permettre de vivre ensemble. Les sept juges ont à l’unanimité souligné que la Suisse avait violé l’article 8 («droit au respect de la vie privée et familiale») de la Convention européenne des droits de l’homme. Avant ces arrêts, l’ODM avait rarement été épinglé par Strasbourg.

Les deux requérantes, Zaid Agraw, 38 ans, et Rahel Mengesha Kimfe, 36 ans, seront indemnisées chacune à hauteur de 5000 euros (6843 francs) pour tort moral, en plus d’autres défraiements. Les Ethiopiennes et leurs futurs époux sont arrivés illégalement en Suisse entre 1994 et 1998, pour déposer une demande d’asile. Les deux femmes ont été attribuées administrativement aux cantons de Berne et de Saint-Gall; les hommes au canton de Vaud. Hébergés dans différents centres d’accueil alors qu’ils n’étaient pas encore mariés, aucun des quatre n’a obtenu l’asile. Mais voilà: leur expulsion s’est avérée impossible, les autorités éthiopiennes refusant de reprendre leurs concitoyens.

Retour à Saint-Gall, menottée

Les deux femmes épouseront leurs compagnons éthiopiens rencontrés dans l’intervalle, en 2002 et 2003, à Lausanne. Mais l’ODM refuse de les transférer dans le canton de Vaud au motif qu’«un changement d’attribution cantonale est exclu pour des requérants d’asile déboutés dont le délai de départ initialement fixé pour quitter la Suisse était échu». Dans la décision concernant Zaid Agraw, les autorités suisses soulignent par ailleurs que les époux savaient, au moment de se marier, qu’ils ne pourraient pas séjourner ensemble en Suisse.

Après son mariage, Rahel Mengesha a principalement vécu avec son époux à Lausanne, illégalement. Mais elle était passible d’une sanction pénale pour séjour illégal lorsqu’elle lui rendait visite. Et sa décision de ne pas séjourner dans le canton de Saint-Gall a eu des conséquences pratiques importantes, comme la suspension de l’aide sociale. Convoquée en décembre 2003 à l’hôtel de police de Lausanne, elle a été reconduite sur-le-champ à Saint-Gall, menottée. «Sans avoir pu passer par le domicile de son époux pour y préparer le voyage ou se changer», précise l’arrêt. Sa demande de regroupement familial, d’abord refusée, ne sera acceptée qu’en 2008. Pendant cinq ans, elle n’a ainsi, en théorie, pas eu le droit de vivre légalement avec son mari.

Zaid Agraw a connu un sort similaire. En 2005, elle a mis un enfant au monde, qui a vécu avec elle dans le canton de Berne. Et donc séparé du père. Elle n’a obtenu une autorisation de séjour dans le canton de Vaud qu’en 2008, l’ODM ayant considéré son droit à l’unité de la famille.

Affaire d’un mort-né en 2008

La Cour admet que les autorités suisses ont intérêt, dans une certaine mesure, à ne pas modifier le statut des demandeurs d’asile déboutés. Mais pour la CEDH, la séparation prolongée a, dans ces affaires, constitué une «restriction grave à la vie familiale». D’autant que les deux couples ne pouvaient envisager, et pour longtemps, de «développer une vie familiale en dehors du territoire suisse», l’exécution de leur renvoi s’étant révélée impossible en raison du blocage systématique de la part des autorités éthiopiennes au rapatriement de leurs concitoyens.

L’ODM va-t-il désormais changer sa pratique et permettre aux requérants qui se marient après leur arrivée en Suisse d’être attribués à un même canton? Réponse prudente du porte-parole Jonas Montani: «L’ODM va étudier le jugement de la CEDH, en incluant la décision de l’époque de notre office et un éventuel verdict du Tribunal administratif fédéral. Nous déciderons après cette analyse si un changement de pratique est nécessaire.»

Par le passé, l’ODM s’était rarement fait taper sur les doigts par la Cour européenne des droits de l’homme. En 2000, la CEDH a, dans le cadre d’un accord à l’amiable passé avec la Suisse, permis le réexamen du dossier d’une Congolaise, dont la demande d’asile avait été rejetée alors qu’elle était atteinte du sida, de l’hépatite B et de la tuberculose. Avec cet accord à l’amiable, la Suisse a pu éviter d’être épinglée.

Elle n’a par contre pas échappé à une condamnation en février 2008. La CEDH a alors donné raison à une requérante d’asile algérienne, dont l’enfant mort-né a été enterré sans cérémonie à Buchs (AG) en 1997, en son absence. La mère a déposé plainte pour abus d’autorité et atteinte à la paix des morts.

Valérie de Graffenried dans le Temps

Berne sursoit au renvoi de l’ex-policier chinois vers l’Italie

Coup de théâtre dans l’affaire Abudureyimu. Après son refus d’embarquer sur un vol à destination de Rome, il pourrait bénéficier d’une procédure d’asile. Il est de retour à Neuchâtel.

«La police m’a dit: à Rome tu seras libre. J’ai dit non, que j’utiliserai des moyens extrêmes pour ne pas y aller. Alors la police m’a dit: tu peux ne pas aller à Rome, mais tu dois retourner à Neuchâtel.» Joint par téléphone au centre de détention administratif de Frambois près de l’aéroport de Genève, Nijiati Abudureyimu avait l’espoir hier soir qu’un nouveau chapitre puisse s’ouvrir pour lui en Suisse.

Après son refus le matin même d’embarquer volontairement sur un vol à destination de Rome, l’ex-policier chinois d’origine ouïgoure qui dénonce un trafic d’organes sur les condamnés à mort dans son pays (LT du 28.07.2010) ne peut plus être renvoyé vers l’Italie, son premier pays de transit en Europe où il s’estime en danger du fait de la présence d’une forte communauté chinoise et du manque de structures d’accueil. Le délai de réadmission vers ce pays, en accord avec la procédure dite de Dublin, expirait en effet le 29 juillet.

Les portes de l’asile s’ouvrent-elles pour autant à ce témoin sensible dont l’Office fédéral des migrations (ODM) avait refusé d’examiner la requête en raison de questions de procédure? Pas encore. «Il y a désormais deux possibilités, explique Michael Glauser, le porte-parole de l’ODM. Nous allons d’abord réexaminer la possibilité de faire une demande d’un nouveau délai de renvoi auprès de l’Italie. Si elle accepte nous organiserons un nouveau vol. Si elle refuse, nous entrerons alors dans une procédure d’asile.» S’il n’obtient pas l’asile, Nijiati Abudureyimu devrait théoriquement être renvoyé vers la Chine. Débordée, l’Italie ne répond jamais aux sollicitations de la Suisse pour des réadmissions de demandeurs d’asile dans le cadre des accords de Dublin.

Le conseiller d’Etat Frédéric Hainard, responsable des questions de migrations à Neuchâtel, a décidé hier en fin de journée de placer Nijiati Abudureyimu dans l’un des deux centres d’accueil de requérants de son canton, estimant qu’il ne pouvait pas le priver davantage de sa liberté (lire ci-dessous).

«Il s’agit manifestement de quelqu’un qui doit obtenir l’asile, estime Yves Brutsch, le porte-parole pour les questions d’asile du Centre social protestant (CSP) de Genève. S’il devait être renvoyé en Chine, il serait menacé de persécution. Il a des choses importantes à dire à la communauté internationale. C’est un cas particulier.» Yves Brutsch rappelle que même dans le cadre des accords de Dublin la Suisse peut très bien traiter la demande d’un tel requérant. «C’est une question de volonté politique», poursuit Yves Brutsch.

Michael Glauser n’était pas en mesure hier de dire si d’autres Chinois ou Ouïgours avaient par le passé bénéficié de l’asile en Suisse. Il précise toutefois que le cas de Nijiati Abudureyimu ne peut pas être comparé à celui des deux Ouïgours, anciens détenus de Guantanamo, que la Confédération avait accepté d’accueillir en début d’année à la demande des Etats-Unis. «Il s’agit de deux procédures différentes, nous expliquait-il dans un mail la semaine dernière. Le Conseil fédéral avait décidé d’accueillir à titre humanitaire deux Ouïgours de nationalité chinoise qui étaient détenus depuis plusieurs années par les Etats-Unis à Guantanamo sans avoir été accusés ni condamnés afin de contribuer à la fermeture du camp américain, camp qu’il avait précédemment jugé comme étant non conforme au droit international.»

Peut-on parler avec Nijiati Abudureyimu d’un cas humanitaire? C’est ce que l’ex-policier défend. Il est venu en Suisse, explique-t-il, pour chercher protection et pouvoir témoigner de ce qu’il a vu sur les champs d’exécution de condamnés à mort à Urumqi, le chef-lieu de la Région autonome du Xinjiang peuplée de musulmans au nord-ouest de la Chine.

«Je ne sais pas ce qui va se passer maintenant, expliquait hier soir Nijiati Abudureyimu. Mon retour à Neuchâtel est une bonne nouvelle. Mais il me faut un avocat et j’ai besoin de 3000 francs.»

Frédéric Koller dans le Temps

«Je suis favorable à ce qu’il obtienne l’asile à Neuchâtel»

Frédéric Hainard est pessimiste sur les chances de l’ex-policier chinois de rester en Suisse.

Trop heureux de pouvoir détourner l’attention des accusations d’abus de pouvoir portées contre lui (qui font l’objet d’une commission d’enquête parlementaire), le conseiller d’Etat neuchâtelois suit avec intérêt l’affaire Abudureyimu alors qu’il est en vacances.

Le Temps: pourquoi avez-vous décidé de reprendre Nijiati Abudureyimu?

Frédéric Hainard: Il n’a pas voulu embarquer dans l’avion. Le commandant de bord a donc refusé de le prendre. Il n’était plus possible d’attendre un autre vol avec un accompagnement de deux policiers. Le délai de renvoi étant dépassé, il fallait éviter qu’il reste dans un centre de détention. Je suis fâché contre l’ODM qui nous a averti trop tard sur la date butoir pour le renvoyer.

– Que va-t-il se passer?

– Le traitement du dossier relève entièrement de la compétence de l’ODM. Notre canton n’a aucun moyen d’intervenir. C’est un immense problème car il s’agit d’un cas de non-entrée en matière (NEM). Soit Berne décide de l’expulser vers la Chine. Soit, et ce serait exceptionnel, l’ex-policier bénéficie d’une décision d’admission provisoire ou du droit d’asile.

– Pourquoi exceptionnel?

– Car en général les Chinois ou les Ouïgours n’obtiennent pas l’asile en Suisse. Je suis curieux de savoir quelle sera la décision de l’ODM car il devra en assumer la responsabilité. J’attends cela avec impatience. Soit c’est le renvoi, soit c’est l’autorisation de séjour: c’est manichéen.

– Etes-vous pessimiste sur les chances du requérant?

– Sur la base des expériences passées je suis pessimiste. Mais peut-être l’ODM changera pour une fois de position. En cas de refus, Neuchâtel va se prendre dans les gencives un renvoi vers la Chine.

– Que feriez-vous si vous deviez choisir?

– A titre personnel, je suis favorable à ce qu’il obtienne l’asile à Neuchâtel. Il n’a jamais troublé l’ordre public et il semble que c’est un témoin important.

jeudi 29 juillet 2010

Trafic d’organes en Chine: Berne justifie l’expulsion du dénonciateur

Alard du Bois-Reymond, directeur de l’Office fédéral des migrations, ne voit aucun problème au transfert de Nijiati Abudureyimu. Frédéric Hainard renvoie la balle à Berne.

La publication dans nos colonnes du témoignage de Nijiati Abudureyimu, l’ex-policier chinois qui dénonce un trafic d’organes sur les condamnés à mort dans son pays (LT du 28.07.2010), suscite de nombreuses réactions, en particulier dans les milieux associatifs. Un groupe de soutien a été créé sur Facebook: «Non au renvoi de Nijiati Abudureyimu en Italie». La demande d’asile en Suisse de l’ex-policier a été refusée par Berne au titre des accords de Dublin. Le Chinois a été transféré mercredi de la prison de La Chaux-de-Fonds vers Genève en vue d’un renvoi vers l’Italie (où il se dit en danger), son premier pays d’arrivée en Europe.

Le conseiller d’Etat Frédéric Hainard, responsable des questions d’asile à Neuchâtel, canton dans lequel Nijiati Abudureyimu avait été placé par l’Office fédéral des migrations (ODM), explique qu’il est «sensible» à ce cas, mais que seul Berne peut encore intervenir pour stopper le processus de son renvoi. «Si, dans la balance, il y avait le choix entre un renvoi vers l’Italie ou vers la Chine, alors je pense que le choix de l’Italie est adéquat», explique Frédéric Hainard. Pour des raisons humanitaires, le conseiller d’Etat aurait pu différer le renvoi du requérant, pour lequel une décision de non-entrée en matière a été confirmée par le Tribunal administratif fédéral (TAF). Le risque était toutefois que l’ODM confirme son refus et que l’Italie refuse d’accueillir Nijiati Abudureyimu, le délai de son transfert n’ayant pas été respecté. La Suisse aurait alors dû théoriquement le renvoyer vers Pékin.

Alard du Bois-Reymond, directeur de l’ODM, confirme que c’est une possibilité. D’autres requérants d’asile chinois déboutés ont déjà été renvoyés vers leur pays. Chaque cas fait l’objet d’un traitement particulier et les Etats européens doivent respecter le principe de la Cour européenne des droits de l’homme selon lequel on ne peut refouler une personne en cas de mise en danger. Or Nijiati Abudureyimu affirme détenir des informations très sensibles sur le système secret d’exploitation des organes des condamnés à mort en Chine. Il règne par ailleurs dans sa province d’origine, le Xinjiang, un climat de très forte répression à l’égard de l’ethnie ouïghoure, dont il est issu.

A la lumière d’autres cas de requérants déboutés sur la base des accords de Dublin, Frédéric Hainard déplore la rigidité de l’ODM: «Je suis partisan d’une politique ferme, mais on doit être sûr que la chaîne présente des garanties suffisantes. Avec l’Italie, ce n’est pas le cas.» Le Neuchâtelois a sollicité un entretien avec la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf, qui n’a pas donné suite. Il rencontrera bientôt le directeur de l’ODM pour évoquer des situations de mineurs et de familles avec plusieurs enfants particulièrement problématiques.

«Il n’y a pas de problèmes avec l’Italie que je sache», explique Alard du Bois-Reymond, qui estime que Nijiati Abudureyimu n’est pas plus en danger dans ce pays qu’en Suisse. L’ex-policier chinois se dit menacé par des espions de Pékin, en particulier en Italie, et expliquait avant sa détention administrative, mardi, que sa famille restée au Xinjiang était l’objet de menaces régulières.

Mélanie Müller-Rossel, juriste au secteur migration du Centre social protestant (CSP) du canton de Neuchâtel, ne partage pas l’optimisme de l’ODM: «Les autorités fédérales ne tiennent pas compte de la situation en Italie en matière d’accès à une procédure d’asile et un accueil digne de ce nom, malgré les dénonciations de nombreuses ONG. Elles se contentent d’invoquer le fait que l’Italie a signé des conventions internationales. L’ODM applique de façon très carrée les accords de Dublin alors même que ces derniers prévoient une clause de souveraineté qui permet aux Etats de traiter des cas de demandes d’asile même si le requérant est d’abord passé par un pays tiers de la zone Schengen. L’ODM n’y recourt pas alors que c’est son pouvoir discrétionnaire. C’est un système très dur.»

Le CSP de Neuchâtel, qui a brièvement rencontré Nijiati Abudureyimu, lui a transmis des adresses pour une aide juridique en Italie. La juriste craint toutefois que celles-ci soient encore plus surchargées qu’en Suisse vu l’afflux massif de demandes.

Frédéric Koller dans le Temps

mercredi 28 juillet 2010

Au coeur d’un trafic d’organes, un ex-policier témoigne

Il menait les condamnés à mort au peloton d’exécution avant qu’on leur prélève des organes. Il veut témoigner. Personne n’en veut en Europe. La Suisse le renvoie en Italie.

Nijiati

Mardi matin, 8 h 06. Nijiati Abudureyimu lance un dernier appel de son téléphone portable: «La police est là avec un véhicule. Ils vont m’emmener en prison. Cela recommence comme en ­Norvège. Je n’irai pas en Italie!» Quelques minutes plus tard, son téléphone est sur répondeur automatique. Le sort de ce Chinois qui affirme que sa vie est menacée par les services secrets de son pays est une nouvelle fois scellé.

Au début du mois, le Tribunal administratif fédéral a confirmé la non-entrée en matière (NEM) notifiée plus tôt par l’Office des migrations (ODM) envers ce requérant d’asile en vertu de l’Accord de Dublin selon lequel les réfugiés doivent s’adresser aux autorités du premier pays par lequel ils ont transité pour gagner l’Europe. Pour Nijiati Abudureyimu, c’était Rome, il y a près de deux ans. La police neuchâteloise venue l’arrêter au centre d’accueil de Fontainemelon, où il résidait depuis plusieurs mois, le remettra ce mercredi à ses collègues genevois qui l’embarqueront dans les vingt-quatre heures dans un avion en direction de la capitale italienne. Un endroit où il se dit en danger de mort.

Xinjiang Lundi, sur une terrasse neuchâteloise, Nijiati Abudureyimu, ex-membre de l’équipe numéro 1 du détachement numéro 1 du régiment numéro 1 de la police spéciale d’Urumqi, expliquait au Temps son étonnant parcours. Celui d’un sbire qui a durant quatre ans (de 1993 à 1997) accompagné des condamnés à mort du chef-lieu de la Région autonome du Xinjiang (région musulmane du nord-ouest de la Chine) au peloton d’exécution. Celui surtout d’un homme qui affirme détenir des ­informations ultra-confidentielles sur la façon dont certains de ces mêmes condamnés subissaient des prélèvements d’organes destinés à un vaste marché très lucratif pour les autorités locales (lire sa déposition à l’ODM, ci-dessous).

Si ce trafic n’est pas inconnu des spécialistes de la Chine, il est très mal documenté. Officiellement, Pékin affirme respecter les normes internationales en matière de don d’organe et nie tout commerce de ce genre. En août 2009, toutefois, le très officiel China Daily citait des experts affirmant que deux tiers des dons d’organes en Chine provenaient en réalité de condamnés à mort.

Rongé par ce passé, révolté contre le Parti communiste chinois qui organise ce système, Nijiati Abudureyimu veut témoigner. Il voulait se rendre à Genève pour raconter son histoire devant l’ONU, pas pour être refoulé de Suisse. «Ce n’est pas l’asile que je cherche. Je ne suis pas un nationaliste ouïgour. Je suis un musulman qui croit en Dieu. Et quand je le rejoindrai, je veux pouvoir lui dire: j’ai tout tenté pour faire savoir au monde ce qui se passe dans les prisons chinoises.»

Ethan Gutmann, chercheur à la Fondation américaine pour la défense des démocraties qui a longuement enquêté sur la question des prélèvements d’organes sur des prisonniers du mouvement sectaire Falungong, interdit en Chine, estime qu’il s’agit d’un témoin central. «Tout témoin provenant de l’appareil sécuritaire est extrêmement rare et précieux, particulièrement s’il provient d’une région sensible comme le Xinjiang et s’il a des informations sur un sujet aussi sensible que les prélèvements d’organes.»

Le chercheur américain affirme détenir le récit d’un docteur ouïgour, également de la région d’Urumqi, qui corrobore les dires de Nijiati Abudureyimu. Un spécialiste européen du Xinjiang, qui préfère ne pas être cité dans le cadre de cet article, estime également que ce récit est plausible. Il arrive souvent que les familles de l’un des condamnés à mort ne puissent pas récupérer son cadavre. Elles évoquent alors deux possibilités: les autorités veulent cacher les actes de tortures ou il s’agit de trafic d’organes. Mais les preuves formelles sont inexistantes.

Alerté par Le Temps sur le contenu particulier du témoignage de Nijiati Abudureyimu et des risques qu’il encoure, l’ODM se retranche derrière la procédure administrative courante. «Puisque l’Italie est l’Etat compétent devant mener la procédure d’asile dans le cas présent, tous les moyens de preuve et documents déposés vont être remis à disposition des autorités italiennes», explique son porte-parole Michael Glauser.

Pour Nijiati Abudureyimu, l’Italie est pourtant synonyme d’«enfer». Pour le comprendre, il faut reprendre le fil de l’histoire depuis son commencement. Après avoir travaillé dix ans pour la brigade spéciale de la police d’Urumqi, l’agent de l’Etat chinois donne sa démission. Il vit par la suite de commerce jusqu’au jour où, sous le coup de l’alcool dans un restaurant, il rétorque qu’un rein coûte 300 000 yuans (47 000 francs) et non pas 30 000 yuans comme l’affirme un médecin.

D’anciens contacts à la police lui conseillent alors de fuir le pays et lui fournissent un passeport. Il s’installe dans un premier temps chez un cousin à Dubaï en 2007. Menacé par des espions chinois, dit-il, il décide d’émigrer en Europe. L’Italie lui délivre un visa Schengen et il achète un billet d’avion pour la Norvège. Le 12 septembre 2008, il transite par Rome où il passe une nuit avant de gagner Oslo.

En Norvège, il est placé dans différents centres de réfugiés sans obtenir d’assistance légale malgré le dépôt d’une première demande d’asile. Au contraire, il se retrouve menacé par d’autres Ouïgours placés dans le même camp qu’il décrit comme des agents de Pékin. La preuve? Deux mois après ces menaces, son père meurt dans des circonstances étranges. Les autorités norvégiennes, toujours selon le principe de Dublin, renvoient Nijiati Abudureyimu vers l’Italie en juin 2009. Là, il croupit durant cinq mois d’un camp d’accueil à l’autre, sans aucune aide, tout en déposant une deuxième demande d’asile. Un jour, en Sicile, il observe un Chinois qui le prend en photo avec son téléphone portable. Persuadé d’être à nouveau traqué par les services chinois, il décide de s’enfuir vers la Suisse où il arrive le 9 novembre 2009 et dépose sa troisième demande d’asile.

Pourquoi l’Italie serait-elle plus dangereuse? «Rien qu’à Rome il y a 300 000 Chinois et je suis le seul Ouïgour. Comment n’y aurait-il pas d’espions, bien sûr qu’il y en a!» Paranoïaque, Nijiati Abudureyimu? Certainement. L’homme, extrêmement nerveux, vit sous ­anxiolytiques et reconnaît avoir «plongé dans l’alcool pour surmonter toute cette pression». Mais après avoir travaillé dix ans pour les services de sécurité de la République populaire, il a sans doute de bonnes raisons de l’être. Ethan Gutmann, qui a pu le rencontrer l’an dernier en Italie, ne doute pas que «sa sécurité physique est en question».

A ce jour, l’Italie n’a toujours pas répondu à la requête de l’ODM «aux fins d’admission du requérant en vertu de l’article 16.1c du règlement Dublin». Ce n’est pas une exception. L’Italie ne répond jamais, mais cela est considéré par Berne comme un accord «implicite». Le tribunal administratif fédéral reconnaît pour sa part que le «système italien d’assistance aux requérants d’asile se trouve critiqué au sujet des conditions de séjour», mais refuse toute dérogation. Débordés de demandes d’aide, Caritas et le Centre social protestant de Neuchâtel n’ont pas pu apporter d’aide juridique à Nijiati Abudureyimu. Thierry Müller, le chef de l’Office social de l’asile du canton de Neuchâtel, explique que seul Frédéric Hainard pourrait encore agir en faveur de l’ex-policier. En vacances, le conseiller d’Etat neuchâtelois n’était pas joignable hier.

Nijiati Abudureyimu accuse ces pays européens qui se font les complices de Pékin en se renvoyant la balle. «S’ils viennent me chercher, les policiers pourront envoyer mon cadavre en Italie. C’est très simple pour moi, j’ai été formé à cela», nous expliquait-il lundi en faisant le geste de se trancher la gorge.

Frédéric Koller dans le Temps

“Je ne pouvais plus le supporter. C’était à vomir”

Nijiati Abudureyimu décrit son job de policier à un agent de l’Office fédéral des migrations.

Dix-huit jours après son entrée illégale en Suisse, le 9 novembre 2009, Nijiati Abudureyimu est interrogé par un agent de l’Office fédéral des migrations (ODM). Voici un extrait de cet entretien dont Le Temps s’est procuré une copie, dans lequel l’ex-policier décrit son travail et évoque l’extraction d’organes sur des condamnés à mort alors qu’ils sont encore cliniquement en vie.

Question de l’agent: De quand datent les informations dont vous disposez?

Nijiati Abudureyimu: Elles datent des années 1990, précisément de1993, lorsque j’ai été transféré dans cette prison pour apporter mon aide. Il était prévu qu’il s’agirait d’une mutation provisoire. Quand je suis arrivé, un supérieur m’a averti que je devais me taire à propos de tout ce que je voyais et entendais, afin que personne de l’extérieur n’apprenne quoi que ce soit. Dans son bureau il y avait un poster au mur sur lequel figuraient les directives de travail, par exemple: «Les questions que l’on n’a pas le droit de poser ne doivent pas être posées.» On ne m’a rien dit. Mais avec le temps, quand on observe le tout, les choses deviennent claires.

– Qu’avez-vous observé concrètement?

– (Pleurs). Il est question de prélèvements d’organes sur des corps vivants. A savoir le cœur, les reins, les yeux, qui sont prélevés et vendus à bon prix.

– Pouvez-vous m’expliquer comment se passait ce que vous avez observé?

– Chaque mois, un nombre relativement élevé de personnes sont exécutées, parfois de très jeunes gens. Dans la plupart des cas, c’étaient des hommes comme moi, très vigoureux et sains, qui étaient condamnés à mort. Normalement, les peines de mort sont exécutées très rapidement. Les condamnés n’apprennent que la veille dans l’après-midi le jour de leur exécution qui intervenait le lendemain. Ils n’ont aucune possibilité de prendre un avocat. A 16 heures, quelqu’un vient du tribunal avec le document prononçant la peine de mort, l’ouverture est filmée. La personne sait ensuite de quoi il s’agit. La première fois que j’ai emmené un homme, j’ai vu à quel point il était effrayé. Il avait de la peine à tenir sur ses jambes. Le matin suivant, quand il devait être exécuté, il a demandé pourquoi il avait reçu une injection. Je ne savais rien de tout cela. J’ai appris par la suite qu’on allait lui prélever un organe. Plus tard, dans des cas similaires, j’en ai eu la confirmation.

– Avez-vous su après coup qu’il en avait été ainsi avec cet homme?

– L’ambulance qui est venue l’a confirmé, le chauffeur étant un de mes amis.

– Où a lieu l’exécution?

– En périphérie d’Urumqi, dans une région montagneuse. On ne fait que tirer sur le condamné à mort de manière à ce qu’il reste vivant. Toutes les personnes impliquées ont fait les préparatifs nécessaires. Ils embarquent violemment le prisonnier dans l’ambulance et le conduisent à vive allure à l’hôpital et c’est là qu’a lieu le prélèvement.

– Avez-vous assisté à l’une de ces exécutions dans la montagne?

– Oui, plusieurs fois.

– A quel titre?

– C’était mon travail.

– Quelle était précisément votre tâche?

– Comme personne voulait le faire, mon chef m’a envoyé là-bas.

– Répétition de la question.

– J’enlevais les bracelets aux pieds des condamnés et les ramenais pour les prochaines personnes à exécuter.

– A quelle fréquence avez-vous participé à ces exécutions?

– De une à neuf exécutions par mois au moins.

– Quand a eu lieu la dernière exécution à laquelle vous avez assisté?

– En 1997.

– Pourquoi n’étiez-vous plus en service à partir de 1998?

– Vous auriez supporté cela plus longtemps, vous? Moi, je ne pouvais plus le supporter. C’était à vomir.

– Avez-vous démissionné?

– Oui. J’ai démissionné. La police m’a ensuite observé pendant deux ans.

– Avez-vous reçu personnellement des menaces des autorités jusqu’à votre départ, indépendamment des avertissements de vos amis?

– Peu après ma démission, mon ancien supérieur m’a parlé. Il m’a averti que je devais réfléchir à deux fois avant de parler.

Stéphane Bussard dans le Temps

mercredi 21 juillet 2010

Alsace: tombes juives profanées

Vingt-sept tombes du cimetière israélite de Wolfisheim (Bas-Rhin) ont été profanées, a-t-on appris mercredi. Il s'agit du troisième acte de vandalisme de ce type dans la région depuis le début de l'année.

profanation tombes juives alsace

Les faits se sont produits entre dimanche et mercredi. A Wolfisheim, dans le Bas-Rhin, 27 tombes appartenant au cimetière israélite de la ville ont été profanées. Aucune inscription n'a été découverte, mais plusieurs stèles ont été renversées ou brisées, révèlent Les Dernières nouvelles d'Alsace, mercredi, sur son site internet. Toujours dans les colonnes du quotidien alsacien, un responsable local de la communauté juive précise que "les tombes les plus anciennes dressées verticalement avec des pierres assez faciles à faire tomber" ont été principalement abîmées. Des sépultures d'enfants n'ont pas été épargnées par cet acte de vandalisme, commis dans une nécropole qui compte entre 120 et 130 stèles.

Pour l'heure, aucune piste n'est privilégiée par les enquêteurs de la brigade de recherche de la gendarmerie de Strasbourg, chargés de l'enquête. Des relevés ont été effectués, alors que ce saccage est peut-être à mettre en relation avec d'autres dégradations commises dans la région ces derniers mois. Le 29 juin dernier, 18 tombes musulmanes avaient été profanées au cimetière de la Robertsau, près de Strasbourg. Aucun tag ou inscription n'avait été retrouvé. En début d'année, plus de trente tombes juives avaient été abîmées dans le cimetière d'un quartier strasbourgeois. Là, une croix gammée avait été dessinée sur 18 stèles.

Interrogé par France Bleu Alsace, Pierre Lévy, le délégué régional du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) a témoigné mercredi d'"un spectacle à la fois impressionnant et triste". Parlant d'un "saccage méthodique", le responsable a qualifié cet acte de "choc pour la communauté juive mais aussi pour tous".

Trouvé dans le Journal du Dimanche

samedi 17 juillet 2010

L’étranger, bouc émissaire d’une Europe affaiblie par la crise

Le dernier rapport de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (Ecri) met en exergue une augmentation des comportements xénophobes. En cause, la crise économique mondiale dont les conséquences sur les groupes vulnérables en Europe sont néfastes.

Avoid shooting blacks Rosarno L’Ecri dépeint un tableau assez sombre de la situation. Les étrangers sont plus facilement montrés du doigt, accusés de tous les maux, et notamment d’être en partie responsables de la montée du chômage et des déficits des organismes de prestation sociale.    « Nous constatons une augmentation générale des attitudes xénophobes et intolérantes, accompagnées d'attaques verbales virulentes et d'incidents violents », relate sans ambages l'instance du Conseil de l'Europe, dans son bilan annuel publié le 8 juillet.

L'Ecri se dit ainsi très préoccupé par la dégradation du climat et pointe notamment « le racisme anti-Noirs (qui) reste présent dans les États membres et se manifeste souvent sous des formes extrêmes, telles que les attaques organisées contre des personnes ou des communautés entières ». Et de préciser, en ce lendemain de Coupe du monde de football organisée en Afrique : « Les injures liées à la couleur de peau sont fréquentes dans le cadre des activités sportives. »

Musulmans mal vus

Les politiques nationales figurent également au banc des accusés. « La crise économique a contribué au durcissement du ton du débat sur l'immigration. Les migrants, les réfugiés et les demandeurs d'asile sont souvent tenus pour responsables de la dégradation des conditions de sécurité, du chômage et des déficits des systèmes de santé », assure l'Ecri.

Le débat sur le voile ou l'affaire Lies Hebbadj (mis en examen pour fraude aux aides sociales) en France, par exemple, peuvent participer à stigmatiser une communauté. D'ailleurs, « la perception négative des musulmans qui s'exprime souvent dans le cadre de débats sur les « valeurs », a toujours une incidence profonde sur la vie quotidienne », écrit l'organisme. L'antisémitisme, l'antitsiganisme, la brutalité policière et le délit de sale gueule sont d'autres travers persistants à l'intérieur de l'Union européenne.

Michael Pauron dans JeuneAfrique

Une trop stricte application de l’accord de Dublin dénoncée

Deux organismes de défense des requérants sont montés au créneau vendredi à Genève pour dénoncer "l'application mécanique et rigide" de l'accord de Dublin par la Suisse. Les autorités disposent d'une marge de manoeuvre humanitaire mais refusent de l'utiliser, dénoncent-ils.

Le transfert de requérants d'asile vers le premier Etat Dublin par lequel ils sont passés n'est pas du tout impératif, a relevé Yves Brutsch, chargé d'information du Centre social protestant (CSP). Il insiste sur l'existence d'une clause de souveraineté permettant à tout Etat de se déterminer "responsable" du dossier d'un requérant d'asile.

Cette clause permettrait d'éviter des drames humains, selon M. Brutsch. Pourtant, depuis l'entrée en vigueur de l'accord en décembre 2008, les autorités dégagent presque systématiquement en touche, a relevé Aldo Brina, coordinateur de l'Observatoire romand du droit d'asile et des étrangers (ODAE). Et de citer le nombre de 3486 requérants en 2009 tombant sous le coup d'une non-entrée en matière relevant de Dublin, sur un total de 17'326 requêtes.

La proportion est inquiétante, souligne M. Brina. Pourtant l'Office des migrations (ODM) juge "positif" le bilan de Dublin puisque la Suisse a pu transférer nettement plus de personnes qu'elle n'en a repris. Cette appréciation scandalise M. Brina. Selon lui, ces chiffres ne signifient pas que la situation des requérants s'est améliorée, mais que la Suisse se décharge simplement sur d'autres Etats.

Recours rejetés

Le CSP et l'ODAE ont été saisis de nombreux cas de renvois Dublin qui posaient des problèmes humanitaires importants. Les règles de cet accord sont appliquées sans considération pour la vulnérabilité des personnes, comme les mineurs, les familles avec des enfants en bas âge ou les malades graves, relève M.Brina.

Le CSP qui défend les droits des requérants a du reste perdu ses recours devant le Tribunal administratif fédéral (TAF). Les juges estiment généralement que les autres Etats membres de Dublin sont aussi signataires de conventions sur les droits de l'homme et des réfugiés. Il n'y aurait donc pas de raison de ne pas renvoyer les requérants dans ces Etats.

ATS

Le droit de vivre en Suisse n’est pas qu’une question d’argent

L'Etat de Vaud se fait sermonner par la justice pour avoir refusé un permis de séjour sur la seule base de critères financiers.

Plus qu'à l'intégration et aux liens familiaux, l'administration vaudoise regarde-t-elle à la fiche de paie des étrangers avant de leur octroyer un permis de séjour? La justice vient de remettre à l'ordre le Service de la population (SPOP), qui avait refusé de donner un permis B à un couple de Kosovars sous prétexte qu'il risquait d'être à la charge de l'aide sociale. Dans un arrêt du 5 juillet dernier, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal estime que le SPOP a abusé de son pouvoir d'appréciation.
Logique administrative
L'histoire de ce couple est intéressante à plus d'un titre. Elle illustre d'abord l'absurdité de la logique purement administrative, qui conduit à fractionner le destin de familles. Les deux époux arrivent en Suisse en 1998, avec leurs cinq enfants. Leurs trois filles aînées obtiennent le statut de réfugié. La réponse est négative, en revanche, pour les parents et leurs deux fils cadets, qui doivent se contenter d'une admission provisoire... Douze ans plus tard, quatre des cinq enfants ont un permis B ou C. Mais le SPOP rechigne toujours à donner un statut un peu plus stable aux parents.
Cette affaire rappelle aussi une dure réalité du droit suisse: pour un étranger, le fait de toucher l'aide sociale est quasiment assimilé à un délit. C'est en effet un des motifs de révocation d'une autorisation de séjour, aux côtés de la condamnation à une peine de prison de longue durée et de l'atteinte grave ou répétée à la sécurité et l'ordre publics. Interdit durant la procédure d'asile, le travail devient pour le coup très pressant. En dépit du fait qu'un permis F (admission provisoire) n'est pas précisément le meilleur tremplin vers une carrière professionnelle.
Au vu de ce cadre légal, la justice vaudoise admet que la dépendance ou le risque de dépendance à l'aide sociale est un critère à prendre en compte. Mais le père travaille depuis un an et demi et les enfants apportent un soutien financier au couple, qui ne touche plus de prestations sociales.
Des critères négligés
Surtout, le SPOP est sermonné pour avoir négligé des facteurs autrement plus importants que la question de la capacité financière. «Le niveau d'intégration, la situation familiale et l'exigibilité d'un retour dans le pays de provenance (...) doivent être examinés, écrivent les juges. Une importance plus grande doit même être donnée à ces critères qui sont expressément prévus par la loi.»
La justice rappelle à l'administration que le couple a quitté le Kosovo dans «une période de graves troubles» et qu'il n'y a donc probablement plus d'attaches. C'est l'inverse s'agissant de la Suisse, où résident durablement les cinq enfants. Le tribunal en conclut que le SPOP a «abusé de son pouvoir d'appréciation».
Il le condamne à payer 800 francs de dépens et lui ordonne de délivrer un permis de séjour, «l'approbation de l'ODM (Office fédéral des migrations, ndlr) étant réservée».
La loi et la justice
Même avec un permis B, le happy end n'est pas garanti. Si le couple devait avoir besoin un jour du filet de l'aide sociale, l'administration vaudoise pourrait lui retirer son permis de séjour. Le mécanisme est certes légal, mais sa brutalité mériterait de susciter un débat politique. Lorsqu'un étranger perd son travail et peine à en retrouver un, est-il juste de le punir encore en le privant de sa terre d'accueil?

Un article de Michaël Rodriguez dans le Courrier

Augmentation des décès de clandestins cherchant à entrer aux Etats-Unis

Le bilan des clandestins morts dans le désert alors qu'ils tentaient de gagner l'Arizona à partir du Mexique a connu une augmentation dramatique depuis le début du mois, en raison de la chaleur torride qui s'est emparée de la région, a annoncé le médecin-légiste du comté de Pima.

Selon le Dr Bruce Parks, son bureau a reçu 38 cadavres de clandestins depuis le 1er juillet. Si ce rythme continue, le bilan devrait passer le record de 68 morts qui remonte à juillet 2005. Dans les colonnes de l'"Arizona Daily Star", il s'est dit effrayé par ce chiffre, et a ajouté qu'il ne pensait pas pouvoir le revoir un jour. Ces temps-ci, ses services récupèrent un à quatre cadavres par jour, la plupart décédés depuis peu.

Depuis 2001, plus de 1.750 hommes, femmes et enfants sont morts dans le désert.

AP

Migrations, le poids de l’histoire

Les migrations sont tout simplement une des façons dont les peuples évoluent. Editorial signé Sylvie Arsever dans le Temps.

Les pays développés, souligne l’OCDE dans un rapport publié mardi, ont trop limité l’immigration. Pour leur santé économique et démographique, ils gagneraient à se montrer plus souples et surtout à augmenter les efforts visant à garder les migrants qui ont trouvé à s’insérer dans l’économie: intégration, naturalisation – et garantie d’une protection égale en période de crise. Ce programme dicté par le bon sens est aussi de nature, à terme, à désamorcer les angoisses identitaires sur lesquelles surfent aussi bien les mouvements xénophobes que les intégrismes religieux en tout genre. Mais il est douteux qu’il soit suivi: pratiquement tous les partis européens se retrouvent aujourd’hui otages de mouvements populistes qui font un barrage très efficace à toute mesure favorisant l’accueil des migrants.

L’histoire des migrations – dont Le Temps a feuilleté quelques pages la semaine écoulée – est faite de craintes semblables, nées à une époque où on migrait le plus souvent les armes à la main. Les invasions barbares, sur le modèle desquelles ont aussi été imaginées les migrations préhistoriques, les exodes forcés pour cause de religion ou, avec les traites négrières, d’exploitation économique, nous ont laissé des souvenirs sanglants et parfois coupables qui ont jeté une ombre angoissante sur les migrations économiques de grande ampleur commencées au XIXe siècle avec le développement des transports.

Mais cette histoire est aussi porteuse de quelques vérités rassurantes: les rencontres entre peuples que favorisent les migrations, même conquérantes, ne sont pas faites que de chocs des civilisations et, a posteriori, il est souvent difficile d’y discerner un vainqueur et un vaincu. Les valeurs dont nous craignons la perte au contact des nouveaux migrants extra-européens sont elles-mêmes le produit de métissages culturels dont nous avons parfois perdu jusqu’au souvenir. Finalement, les migrations sont tout simplement une des façons dont les peuples évoluent. Et la question est peut-être de savoir si la vieille Europe a encore le désir d’évoluer.

Un monde de migrants

L’époque contemporaine voit les migrations avant tout comme des menaces pour l’ordre politique. Mais si le mouvement était naturel? Et si les peuples n’étaient pas ce qu’on croit ? Réflexion signée Sylvie Arsever dans le Temps.

monde en migration

Les Africains qui se pressent, au péril de leur vie, aux portes de l’Italie et de l’Espagne; les Néerlandais qui tentent de sauvegarder leur modèle de société tolérante en la barricadant; les milliers de Darfouris, de Tamouls ou d’Irakiens chassés de chez eux par les combats, l’insécurité et les persécutions… Un nombre écrasant de nos contemporains sont concernés par la migration – désirée, crainte, salvatrice ou inévitable mais toujours hasardeuse, lourde de dangers ou riche d’opportunités. On a dit du XXe siècle que c’était le siècle des réfugiés. Un enjeu majeur du XXIe apparaît déjà de savoir comment y seront traitées les conséquences humaines de la mondialisation de l’économie.

Les représentations avec lesquelles nous affrontons ce défi sont à la fois héroïques, de l’expansion des idiomes indo-européens aux conquêtes coloniales; dramatiques lorsqu’on songe aux exils bibliques ou aux persécutions religieuses du XVIe et du XVIIe siècle; et figurées comme l’occasion d’affrontements décisifs où les civilisations jouent leur destin, sur l’image de la chute de l’Empire romain en mains barbares, vignette centrale de théories du déclin occidental aux relents parfois ouvertement racistes.

Cette vision s’est forgée en bonne part au XIXe siècle autour de l’idée alors nouvelle de peuple, un groupe humain homogène dont le génie propre, forgé de génération en génération, le voue à se choisir un destin commun – et distinct – en formant une nation. Un groupe dont, au début du XXe siècle, la base biologique sera mise en rapport direct avec ses performances: angoisses démographiques françaises, stérilisations de marginaux en Suède ou en Suisse témoignent du même souci de préserver la «race», socle de la nation, que l’on retrouve, sous une forme délirante, aux fondements de l’antisémitisme nazi.

Au moment où l’invention du peuple débouche sur la naissance de l’Italie et de l’Allemagne, les migrations européennes en direction des Etats-Unis explosent: près d’un demi-million de nouveaux arrivés chaque année entre 1847 et 1930 pour une population qui passe dans la même période de 23 à 123 millions d’individus.

Les mesures restrictives prises face à cet afflux visent explicitement à préserver le génie des premiers colons – les Anglo-Saxons protestants – des influences pernicieuses des vagues ultérieures – Chinois, Italiens, juifs de l’Est… Etendues à l’Europe, elles rendront de plus en plus difficile à ces derniers d’échapper aux politiques antisémites qui se mettent en place au lendemain de la Première Guerre mondiale.

Elles reposent sur un présupposé implicite destiné à une belle postérité: un monde normal est un monde où chacun reste chez soi, derrière ses frontières. La migration est une irruption peu souhaitée dans cette normalité, qu’il s’agit, pour le bien de tous, de maintenir à un niveau aussi bas que possible. C’est encore la philosophie qui sous-tend notre actuelle loi sur les étrangers, dont la première mouture date de 1924.

Le voyage, à travers les âges cette fois, auquel nous avons convié les lecteurs du Temps la semaine écoulée, amène à relativiser fortement cette conception, sinon à la démentir. Dès son origine, l’humanité est en mouvement. Les langues et les gènes ont voyagé, souvent ensemble dès la préhistoire, sur des distances qui défient l’imagination.

Les empires mis en place aux époques historiques n’ont cessé d’absorber des nouveaux venus, conquis ou, déjà, migrants économiques attirés par leur prospérité se présentant parfois les armes à la main. De l’Antiquité tardive à l’an mil, l’Europe occidentale en voie de constitution a été confrontée à des vagues régulières de compétiteurs venus du Nord et de l’Est, conquérants désireux, plutôt que d’annexer de nouveaux territoires, de s’y imposer, de préférence dans une position dominante – et de s’y fondre.

C’est encore une forme de migrations – les Croisades – qui salue la montée en puissance de la papauté à partir du XIe siècle; les reconquêtes chrétiennes en Espagne musulmane en provoqueront d’autres – les expulsions massives de juifs et de morisques – qui préfigurent la constitution, au XVIIe siècle, d’Etats religieusement homogènes, soumis à la foi du prince. Et promoteurs d’autres migrations forcées pour lesquels s’invente le terme, destiné à un riche avenir, de refuge.

Les départs pour cause de religion alimentent également les migrations vers le Nouveau Monde, où ils se combinent toujours plus étroitement avec l’attrait d’une vie meilleure dans une imbrication de motivations idéologiques, politiques, et économiques que les autorités qui s’efforcent aujourd’hui encore de réglementer les flux n’ont toujours pas réussi à démêler.

Ces mouvements de grande ampleur se déroulent sur un fond lui aussi en mouvement: transhumances saisonnières, vagabondages de démunis à la poursuite d’une subsistance, pérégrinations de colporteurs, de clercs à la recherche d’un maître ou d’étudiants en quête d’expériences et de diplômes, migrations professionnelles en tout genre, au nombre desquelles il faut compter le service étranger qui a mis des soldats suisses à disposition de pratiquement tous les souverains européens. Autant d’occasions d’influences réciproques, de métissages, et parfois aussi de solides incompréhensions, de préjugés et de persécutions.

Ceux qui partent ne sont jamais exactement ceux qui arrivent. La migration, souvent poursuivie sur plusieurs générations, modifie ceux qui la vivent. Les contacts, même violents, avec d’autres civilisations influencent peu ou prou. Si certains chocs, comme celui imposé par les conquistadors aux Américains du XVIe siècle, sont assassins, il n’est pas rare que des vaincus remodèlent de fond en comble la culture de leurs vainqueurs. On le savait. Mais l’historiographie des dernières décennies a apporté un élément nouveau autrement perturbant: le mouvement, historique cette fois, ne se fait pas toujours dans le sens qu’on croit.

Un peuple n’est pas une famille élargie qui diversifie sa culture au fil de son expansion sur des terres étrangères. Mais un conglomérat de groupes et d’individus d’origines diverses qui, à un moment donné, se définissent une identité commune – par l’adoption des valeurs tribales d’une minorité dirigeante, par la constitution de mythes originels communs, par la soumission à une même loi ou par la conversion religieuse.

Ce phénomène, dit de l’ethnogenèse, a d’abord été mis en évidence à travers l’étude des peuples dits barbares qui, du IIIe au Xe siècle de notre ère, ont déferlé sur le territoire de l’Empire romain d’Occident, où ils ont fondé des royaumes plus ou moins durables, contribué à nommer de nombreuses régions – Normandie, Bourgogne, Lombardie, Bavière, Saxe notamment – et servi de lointains précurseurs à des Etats dont certains – France, Danemark, Allemagne… – ont également conservé leur nom.

Les transformations et les assimilations auxquelles ces peuples n’ont cessé de procéder remettent en question l’image d’un affrontement fatal entre un Empire cosmopolite et décadent et de pures tribus nordiques venues renouveler son sang corrompu. Elles retentissent aussi sur d’autres sujets.

Peut-on par exemple continuer à se représenter les migrations qui ont créé le bloc indo-européen à la préhistoire comme l’expansion d’un unique modèle linguistique et culturel à partir d’un tronc commun? Même si l’émergence d’Etats modernes a sans doute restreint la plasticité identitaire, des peuples ont-ils jamais cessé de s’imaginer – par exemple, dans certaines banlieues du XXe et du XXIe siècle – ou de se recréer sous des formes nouvelles – comme certains mouvements indigènes pourraient donner à le penser…? De quel peuple font partie les Italo- et les Sino-Américains d’aujourd’hui? Les questions posées pour le peuple juif par l’historien israélien Shlomo Sand (LT des 11.04 et 28.12.2009) peuvent être reprises pour tous.

La virulence des réactions suscitées, dans un contexte politique certes particulièrement explosif par l’ouvrage de ce dernier, Comment le peuple juif fut inventé, le montre. Un fossé s’est creusé entre les notions d’une partie croissante des historiens et des anthropologues et les évidences héritées des nationalismes qui continuent de dominer le débat public.

En matière de migrations, ce dernier semble aujourd’hui tétanisé par une double impossibilité. Celle, d’une part, de freiner les flux importants générés par les insécurités et les inégalités économiques dans un monde globalisé. Et d’autre part, celle de limiter les dégâts politiques causés par la prolifération d’extrémismes construits sur l’exploitation des angoisses identitaires suscitées, de part et d’autre, par ces flux.

Quant au regard des spécialistes, il n’est sans doute pas entièrement dénué de biais idéologiques – développés notamment en réaction à l’horreur des crimes commis par les nazis au nom de la race. Mais il s’appuie aussi sur des travaux approfondis et des connaissances nouvelles qui, toutes, apportent à la vision de l’histoire où s’alimente notre imaginaire des retouches qu’il ne devrait plus être possible d’ignorer. Car si le mouvement est perpétuel et si les peuples ne cessent de se créer et de se recréer, peut-être peut-on aborder la question politique sous l’angle positif: comment faire pour que les migrations du XXIe siècle soient profitables à tous?

Croisade contre l’Islam

Pour porter son message islamophobe dans le reste de l’Occident, le député d’extrême droite Geert Wilders annonce qu’il va créer une alliance dans cinq pays.

«Stop islam, défense de la liberté.» Ce message, le député islamophobe néerlandais Geert Wilders veut qu’il soit porté d’abord dans cinq autres pays occidentaux – Les Etats-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne – par des formations qu’il positionne entre les conservateurs et l’extrême droite. Il exclut ainsi, avec un brin de provocation, toute alliance avec le «British national party, qui est un parti raciste». Le chef du PVV surfe dans son pays sur la crise économique pour demander l’arrêt de l’émigration musulmane, considérant l’islam comme «une religion fasciste».

Pas de charia à l’Ouest

Ce discours désignant un bouc émissaire aux difficultés du moment lui a permis de remporter plusieurs succès électoraux cette année dans son pays. Aux municipales à Almere et à La Haye, comme aux législatives, portant le nombre des députés de sa formation de neuf à 24. A priori écarté de la formation du prochain gouvernement néerlandais, le politicien, poursuivi pour incitation à la haine raciale, vise désormais l’international. Au parlement, il a annoncé que l’alliance qu’il comptait former d’ici à la fin de l’année aura pour corpus commun «l’interdiction dans les pays occidentaux de l’immigration en provenance de pays musulmans et de la charia». Il espère ainsi que d’autres députés seront élus dans ces pays sur ce programme radical.

Ayhan Tonca, porte-parole des musulmans néerlandais, craint que le discours islamophobe de Wilders ne trouve un terreau fertile en Europe et en appelle «aux personnes bien intentionnées pour s’opposer à son message».

Olivier Bot dans 24 Heures

vendredi 16 juillet 2010

Quatre raisons pour ne pas interdire le port du voile intégral

Cécile Laborde Cécile Laborde, professeure de théorie politique à l’Université de Londres, estime que bannir la burqa, comme l’ont décidé les députés belges et français, est une erreur à la fois politique et morale. Cette mesure ne fera de plus qu’aviver l’extrémisme musulman qu’ils entendent combattre. Propos recueillis par Cécile Laborde dans le Temps.

Le 13 juillet dernier, l’Assemblée nationale française a adopté, en première lecture, et à une écrasante majorité – l’opposition s’étant abstenue –, un projet de loi visant à interdire dans l’espace public le port du voile intégral. Quelques semaines plus tôt, les députés belges, en pleine crise gouvernementale, parvenaient sans peine à oublier leurs divisions pour prendre une mesure similaire, à la quasi-unanimité.

Ainsi, dans plusieurs pays d’Europe, les inquiétudes concernant l’intégration des immigrés et des musulmans se sont récemment cristallisées autour du port du voile intégral – dissimulant le visage – par un petit nombre de femmes musulmanes. Ce voile est couramment appelé burqa, dans une confusion savamment entretenue avec le mouvement taliban afghan, mais il s’agit en fait souvent du niqab – un vêtement intégral restrictif revendiqué par les salafistes, inspirés par un islam fondamentaliste venu d’Arabie saoudite.

Le niqab est ainsi brandi, à la fois par ses adeptes et par ses critiques, comme l’étendard d’un puritanisme réactionnaire, anti-occidental et néo-patriarcal, qui remet profondément en question le mouvement séculaire d’émancipation des femmes en Europe. Faut-il dès lors en interdire le port dans les lieux publics, au nom de l’égalité entre les sexes et la dignité de la femme? Quatre types de considérations incitent à la circonspection.

Deux raisons de principe, d’abord. La première est que l’interdiction par la loi est une arme qu’on ne saurait, dans une démocratie libérale, utiliser qu’avec prudence. C’est l’une des vertus d’une société libérale et démocratique qu’elle tolère sur le plan légal ce qu’elle réprouve par ailleurs sur le plan moral. On peut ainsi être révulsé par le port du niqab, tout comme on peut d’ailleurs déplorer la publication de dessins violemment islamophobes et blasphématoires. Mais la réprobation morale ne suffit pas à justifier l’interdiction légale. Ce sont les pays non libéraux – l’Arabie saoudite et l’Afghanistan, par exemple – qui entretiennent la confusion entre la loi et les mœurs publiques. La coercition par la loi, dans les démocraties libérales, ne peut être justifiée que si un acte porte atteinte à un droit fondamental ou fait du tort aux personnes qui en sont les victimes.

Mais, en deuxième lieu, le principe de liberté ou de dignité de la femme n’est-il pas, précisément, ce principe juridique supérieur, qui permet de condamner par le droit ce que la morale ordinaire réprouve, tolère, ou accepte? Encore faudrait-il appréhender précisément en quoi le port d’un vêtement est une entrave à la liberté. Il n’est pas sûr qu’il bafoue la liberté conçue comme une série d’options ou de choix disponibles pour les individus: le port d’un voile intégral n’empêche pas l’exercice de la plupart des libertés ordinaires, telles la conduite d’une voiture ou la poursuite d’études supérieures. Il est plus plausible d’avancer que le port du niqab bafoue la liberté conçue comme un statut: il est le symbole d’un statut inférieur de la femme en tant que femme. Dans ce cas pourtant, l’interdiction d’un simple symbole est-elle le meilleur moyen de combattre le déni de liberté comme statut? Si les femmes portant le voile intégral sont (par ailleurs) opprimées, l’interdiction du symbole de l’oppression équivaut-elle véritablement à la libération de l’oppression? Et que penser des cas (une grande majorité dans le petit groupe de femmes concernées par la loi, selon les rares études disponibles) où les personnes ont choisi, en connaissance de cause, de porter le niqab? Généralement, les législateurs européens se sont peu interrogés sur le paradoxe du paternalisme, souligné il y a longtemps par J.S. Mill: il n’est pas légitime de forcer, par la loi, les personnes (adultes et saines d’esprit) à être libres. Comme la Cour européenne des droits de l’homme l’a souligné, le principe de dignité des personnes est difficilement opposable à celles qui exercent, de manière autonome, leur libre arbitre, même paradoxalement pour affirmer leur propre conception (inégalitaire) de la dignité de la femme.

A ces raisons de principe s’ajoutent des raisons plus conjoncturelles et prudentielles, qui semblent décisives dans le contexte actuel. En interdisant le niqab, on espère s’attaquer à la fois à la radicalisation islamiste et à la dégradation de la condition féminine qu’elle implique. Il n’est pas sûr, toutefois, que les effets d’une telle loi ne soient pas contre-productifs. D’une part, l’interdiction du niqab dans les lieux publics risque de cantonner les femmes victimes de l’oppression dans leurs foyers, les rendant encore plus invisibles.

D’autre part, la fièvre prohibitionniste qui dévore l’Europe ne fait que cautionner la contestation islamiste, qui se nourrit d’un sentiment paranoïaque de victimisation des musulmans par l’Occident. D’où la tentation, pour beaucoup de femmes musulmanes éduquées, autonomes, et parfois récemment converties, de revendiquer le port du niqab comme une expression de religiosité radicale, provocatrice, qui oppose une piété puritaine aux normes occidentales de la féminité comme dévoilement du corps. Un tel «retournement de stigmate» n’est pas inconnu dans l’histoire: ainsi le hidjab, symbole de l’oppression des femmes dans l’Algérie coloniale, devint lors de la guerre d’indépendance contre la France un étendard de la résistance anti-impérialiste.

C’est dire que l’interdiction légale de symboles a peu de chance d’obtenir les effets désirés – que ce soit l’émancipation laïque des femmes ou la lutte contre le radicalisme religieux. La signification même de l’interdiction, d’ailleurs, est elle-même exclusivement symbolique et rhétorique. Elle sert d’abord à rassurer l’opinion européenne sur la volonté et la capacité qu’ont les élites politiques de défendre leurs «valeurs» et leurs «principes» face aux dangers de l’islamisme. Ainsi la rhétorique de la liberté des femmes, l’égalité entre les sexes, la laïcité fonctionne-t-elle comme mantra incantatoire et rassurant, quoique difficile à concrétiser en principe juridique opératoire.

Toutefois, certains principes de droit, bien que largement inopérants comme justifications de l’interdiction du niqab dans tout l’espace public, peuvent justifier des restrictions plus limitées et moins contestables par les tribunaux. Ainsi la laïcité (dans les pays où elle est reconnue) peut-elle justifier des restrictions dans le port de signes religieux, notamment pour les représentants de l’Etat, au nom de la séparation entre Etat et religion. La vulnérabilité des enfants mineurs pourrait aussi justifier l’interdiction du port du niqab pour les élèves des écoles publiques (le paternalisme est plus facilement justifiable concernant les enfants que concernant les adultes). Et l’ordre public et le bon fonctionnement des administrations en général peuvent aussi requérir qu’usagers et citoyens, dans certaines situations prescrites, ne dissimulent pas leur visage – notamment à des fins d’identification faciale.

Mais pour toutes ces interdictions ponctuelles, nul n’est besoin de recourir à la rhétorique de la mobilisation de la société dans la défense de ses principes fondamentaux menacés par l’islamisme. Plus efficace, dans la lutte contre ce dernier, serait de s’attaquer aux causes de la radicalisation d’une minorité de musulmans d’Europe, et notamment à l’exclusion socio-économique, politique et culturelle qui en est le terreau. Mais brandir la loi et les symboles est d’évidence plus aisé pour une classe politique européenne en panne d’idées et en butte à la pression populiste et xénophobe.

A lire: «Français, encore un effort pour être républicains!»
(Seuil, 2010).