samedi 17 juillet 2010

Le droit de vivre en Suisse n’est pas qu’une question d’argent

L'Etat de Vaud se fait sermonner par la justice pour avoir refusé un permis de séjour sur la seule base de critères financiers.

Plus qu'à l'intégration et aux liens familiaux, l'administration vaudoise regarde-t-elle à la fiche de paie des étrangers avant de leur octroyer un permis de séjour? La justice vient de remettre à l'ordre le Service de la population (SPOP), qui avait refusé de donner un permis B à un couple de Kosovars sous prétexte qu'il risquait d'être à la charge de l'aide sociale. Dans un arrêt du 5 juillet dernier, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal estime que le SPOP a abusé de son pouvoir d'appréciation.
Logique administrative
L'histoire de ce couple est intéressante à plus d'un titre. Elle illustre d'abord l'absurdité de la logique purement administrative, qui conduit à fractionner le destin de familles. Les deux époux arrivent en Suisse en 1998, avec leurs cinq enfants. Leurs trois filles aînées obtiennent le statut de réfugié. La réponse est négative, en revanche, pour les parents et leurs deux fils cadets, qui doivent se contenter d'une admission provisoire... Douze ans plus tard, quatre des cinq enfants ont un permis B ou C. Mais le SPOP rechigne toujours à donner un statut un peu plus stable aux parents.
Cette affaire rappelle aussi une dure réalité du droit suisse: pour un étranger, le fait de toucher l'aide sociale est quasiment assimilé à un délit. C'est en effet un des motifs de révocation d'une autorisation de séjour, aux côtés de la condamnation à une peine de prison de longue durée et de l'atteinte grave ou répétée à la sécurité et l'ordre publics. Interdit durant la procédure d'asile, le travail devient pour le coup très pressant. En dépit du fait qu'un permis F (admission provisoire) n'est pas précisément le meilleur tremplin vers une carrière professionnelle.
Au vu de ce cadre légal, la justice vaudoise admet que la dépendance ou le risque de dépendance à l'aide sociale est un critère à prendre en compte. Mais le père travaille depuis un an et demi et les enfants apportent un soutien financier au couple, qui ne touche plus de prestations sociales.
Des critères négligés
Surtout, le SPOP est sermonné pour avoir négligé des facteurs autrement plus importants que la question de la capacité financière. «Le niveau d'intégration, la situation familiale et l'exigibilité d'un retour dans le pays de provenance (...) doivent être examinés, écrivent les juges. Une importance plus grande doit même être donnée à ces critères qui sont expressément prévus par la loi.»
La justice rappelle à l'administration que le couple a quitté le Kosovo dans «une période de graves troubles» et qu'il n'y a donc probablement plus d'attaches. C'est l'inverse s'agissant de la Suisse, où résident durablement les cinq enfants. Le tribunal en conclut que le SPOP a «abusé de son pouvoir d'appréciation».
Il le condamne à payer 800 francs de dépens et lui ordonne de délivrer un permis de séjour, «l'approbation de l'ODM (Office fédéral des migrations, ndlr) étant réservée».
La loi et la justice
Même avec un permis B, le happy end n'est pas garanti. Si le couple devait avoir besoin un jour du filet de l'aide sociale, l'administration vaudoise pourrait lui retirer son permis de séjour. Le mécanisme est certes légal, mais sa brutalité mériterait de susciter un débat politique. Lorsqu'un étranger perd son travail et peine à en retrouver un, est-il juste de le punir encore en le privant de sa terre d'accueil?

Un article de Michaël Rodriguez dans le Courrier

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