mercredi 28 juillet 2010

“Je ne pouvais plus le supporter. C’était à vomir”

Nijiati Abudureyimu décrit son job de policier à un agent de l’Office fédéral des migrations.

Dix-huit jours après son entrée illégale en Suisse, le 9 novembre 2009, Nijiati Abudureyimu est interrogé par un agent de l’Office fédéral des migrations (ODM). Voici un extrait de cet entretien dont Le Temps s’est procuré une copie, dans lequel l’ex-policier décrit son travail et évoque l’extraction d’organes sur des condamnés à mort alors qu’ils sont encore cliniquement en vie.

Question de l’agent: De quand datent les informations dont vous disposez?

Nijiati Abudureyimu: Elles datent des années 1990, précisément de1993, lorsque j’ai été transféré dans cette prison pour apporter mon aide. Il était prévu qu’il s’agirait d’une mutation provisoire. Quand je suis arrivé, un supérieur m’a averti que je devais me taire à propos de tout ce que je voyais et entendais, afin que personne de l’extérieur n’apprenne quoi que ce soit. Dans son bureau il y avait un poster au mur sur lequel figuraient les directives de travail, par exemple: «Les questions que l’on n’a pas le droit de poser ne doivent pas être posées.» On ne m’a rien dit. Mais avec le temps, quand on observe le tout, les choses deviennent claires.

– Qu’avez-vous observé concrètement?

– (Pleurs). Il est question de prélèvements d’organes sur des corps vivants. A savoir le cœur, les reins, les yeux, qui sont prélevés et vendus à bon prix.

– Pouvez-vous m’expliquer comment se passait ce que vous avez observé?

– Chaque mois, un nombre relativement élevé de personnes sont exécutées, parfois de très jeunes gens. Dans la plupart des cas, c’étaient des hommes comme moi, très vigoureux et sains, qui étaient condamnés à mort. Normalement, les peines de mort sont exécutées très rapidement. Les condamnés n’apprennent que la veille dans l’après-midi le jour de leur exécution qui intervenait le lendemain. Ils n’ont aucune possibilité de prendre un avocat. A 16 heures, quelqu’un vient du tribunal avec le document prononçant la peine de mort, l’ouverture est filmée. La personne sait ensuite de quoi il s’agit. La première fois que j’ai emmené un homme, j’ai vu à quel point il était effrayé. Il avait de la peine à tenir sur ses jambes. Le matin suivant, quand il devait être exécuté, il a demandé pourquoi il avait reçu une injection. Je ne savais rien de tout cela. J’ai appris par la suite qu’on allait lui prélever un organe. Plus tard, dans des cas similaires, j’en ai eu la confirmation.

– Avez-vous su après coup qu’il en avait été ainsi avec cet homme?

– L’ambulance qui est venue l’a confirmé, le chauffeur étant un de mes amis.

– Où a lieu l’exécution?

– En périphérie d’Urumqi, dans une région montagneuse. On ne fait que tirer sur le condamné à mort de manière à ce qu’il reste vivant. Toutes les personnes impliquées ont fait les préparatifs nécessaires. Ils embarquent violemment le prisonnier dans l’ambulance et le conduisent à vive allure à l’hôpital et c’est là qu’a lieu le prélèvement.

– Avez-vous assisté à l’une de ces exécutions dans la montagne?

– Oui, plusieurs fois.

– A quel titre?

– C’était mon travail.

– Quelle était précisément votre tâche?

– Comme personne voulait le faire, mon chef m’a envoyé là-bas.

– Répétition de la question.

– J’enlevais les bracelets aux pieds des condamnés et les ramenais pour les prochaines personnes à exécuter.

– A quelle fréquence avez-vous participé à ces exécutions?

– De une à neuf exécutions par mois au moins.

– Quand a eu lieu la dernière exécution à laquelle vous avez assisté?

– En 1997.

– Pourquoi n’étiez-vous plus en service à partir de 1998?

– Vous auriez supporté cela plus longtemps, vous? Moi, je ne pouvais plus le supporter. C’était à vomir.

– Avez-vous démissionné?

– Oui. J’ai démissionné. La police m’a ensuite observé pendant deux ans.

– Avez-vous reçu personnellement des menaces des autorités jusqu’à votre départ, indépendamment des avertissements de vos amis?

– Peu après ma démission, mon ancien supérieur m’a parlé. Il m’a averti que je devais réfléchir à deux fois avant de parler.

Stéphane Bussard dans le Temps

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