samedi 31 juillet 2010

De la difficulté d’épouser l’homme qu’on aime

Julie et Modou ont suivi la procédure qui sera la norme en 2011…

C’était en 2006, la soirée du match France-Brésil de la Coupe du monde. Les rues de Lausanne étaient pleines de supporters heureux ou déçus. Julie croise Modou dans la foule. Ils se parlent et ils se plaisent. Ils se revoient. Quelques mois plus tard, Julie déménage à Lausanne, pour vivre avec Modou. Julie est Vaudoise, étudiante. Modou est Gambien, sans ­papiers. Sa demande d’asile a été refusée mais il a évité jusque-là l’expulsion, en fournissant des renseignements inexacts.

En 2008, la nouvelle loi sur les étrangers rend sa situation plus précaire encore. Pour préserver leurs chances de vivre ensemble, Julie et Modou décident de se marier. En Suisse? «C’était risqué, dit Julie. Cela pouvait réveiller la procédure d’expulsion.» Le jeune couple opte pour la Gambie. Ils atterrissent à Banjul en juin 2008 et passent devant l’officier d’état civil quelques jours plus tard. Puis sautent dans un taxi collectif pour Dakar, afin de faire enregistrer leur union à l’ambassade de Suisse la plus proche et déposer une demande de visa pour Modou, au titre de regroupement familial.

Il doit alors fournir ses empreintes digitales et expliquer dans quelles circonstances il a déjà séjourné six ans en Suisse. Modou retourne attendre en Gambie et Julie rentre chez elle, d’où elle ne cesse d’appeler l’ambassade à Dakar pour que la demande suive son cours. Or il ne semble pas y avoir de cours pour des demandes pareilles. «Il a fallu deux mois pour que les documents soient envoyés à Berne», dit-elle, dépitée.

De là, le dossier est transmis à sa commune d’origine, pour enregistrement, puis au Service de la population à Lausanne (SPOP), chargée de statuer sur la demande de visa du mari. Cinq mois s’écoulent, rien ne bouge. Julie appelle des responsables qui prétendent ne pas être là. Elle se rend à des rendez-vous qui, le jour venu, n’auraient pas été fixés. Elle fait et refait la queue au guichet et subit, au mieux, la froideur, au pire le mépris et l’agressivité des fonctionnaires.

«Ils me regardaient comme une victime dont la naïveté avait été abusée. Je ressortais à chaque fois en morceaux.» Tout est toujours flou: «Les versions sur l’état du dossier changeaient d’un fonctionnaire à l’autre, d’un jour à l’autre, se souvient-elle. C’est de ma vie qu’il s’agissait et c’étaient eux qui en disposaient.»

Des questions plutôt intimes

Le temps passe, comme entre parenthèses. Julie a pris, en se mariant, l’une des décisions les plus importantes de sa vingtaine d’années et rien ne lui permet d’être certaine de revoir son mari en Suisse. Elle l’appelle souvent. Elle craque et va deux semaines le voir en Gambie. Elle se démène pour trouver des relais qui mentionnent son cas à des responsables haut placés du SPOP.

Enfin, en décembre 2008, elle reçoit une lettre, qui lui pose trois questions, plutôt intimes. Elle se fend de longues réponses, parle d’amour et d’avenir. Et continue d’attendre. En février 2009, elle apprend par la bande que le visa attend son mari à l’ambassade suisse de Dakar depuis trois semaines. Personne n’a jugé bon de l’avertir. Modou va chercher le visa, retourne à Banjul, monte dans l’avion, reprend sa place dans l’appartement commun, trouve un travail. Happy end? «C’est plutôt un départ à zéro», estime la jeune mariée.

La vie de Modou n’était pas en danger en Gambie, comme pour d’autres déboutés de l’asile. Il n’a pas subi de pressions de sa famille ou de son entourage. «On a eu de la chance», conclut Julie.

Serge Michel dans le Temps

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