Il n'y en a presque pas en Suisse, mais il est partout. Le voile intégral remplit les journaux après avoir trôné sur les affiches anti-minarets. La différence aujourd'hui, c'est que l'UDC n'est plus seule à tisonner les peurs en fabriquant des menaces. Edito du Courrier signé Rachad Armanios.
La méthode a si bien fonctionné que le pitbull Freysinger passerait pour un agneau face au président du PDC Christophe Darbellay. Celui-ci avait, dès le lendemain de la votation balayant les minarets, dégommé le niqab. La conseillère fédérale Eveline Widmer Schlumpf a, elle, rompu la collégialité en assimilant femmes en burqa et casseurs cagoulés. Le gouvernement a pourtant jugé que c'était un non-problème. L'avenir dira si la Suisse suivra la France et la Belgique dans leur mauvais réflexe prohibitionniste: car la liberté d'expression s'applique aussi à des formes d'expression qui choquent ou inquiètent. La tentation pourrait être de légiférer «préventivement» au sujet d'un phénomène qui serait forcément destiné à se multiplier. Forcément? Rappelons un précédent fondateur dans la manipulation, quand l'UDC, en 2004, tordait les statistiques pour prédire une démographie musulmane bientôt majoritaire. Le matraquage a fait ses preuves. Depuis plusieurs années, l'islam est seulement envisagé comme un problème. Les difficultés sont certes réelles: comment aménager un espace harmonieux à une population hétérogène qui, en quarante ans, est passée de 15000 personnes à 350000? Quelle place, entre ouverture et fermeté, donner aux revendications de certains de ces citoyens – heures de piscine séparées, écolières prépubères voilées, lieux de culte? Les écueils sont nombreux. D'où la nécessité d'un débat apaisé à partir des expériences du terrain et non d'un islam imaginaire. A part, bien sûr, si l'on considère qu'intégration est synonyme d'assimilation... Les musulmans et l'Etat libéral sont doublement pris en otages par ceux qui testent toujours plus les limites de la démocratie: d'un côté, par les fondamentalistes musulmans, voire les croyants conservateurs qui monopolisent la parole. De l'autre, par les populistes, tout aussi fondamentalistes que les barbus puisque, par un effet miroir, ils résument eux aussi l'islam à sa caricature. Savoir qui met de l'huile sur le feu et qui l'a bouté importe peu. Car les flammes alimentent le repli identitaire en Europe: cela se traduit par des citoyens qui se redécouvrent chrétiens au point, pour certains, de griller des saucisses de porc devant les mosquées. Ou des musulmanes qui, d'un jour à l'autre, se drapent d'un niqab. Dans ce contexte, il devient difficile, sans faire de la surenchère, de s'indigner de cette chape de plomb wahhabite qui chosifie les femmes. Expliquer que vouloir leur bien malgré elles est une autre façon de nier leur identité de sujets devient mission impossible.
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