La Suisse débat du voile intégral alors que le phénomène est très marginal. Un débat construit à des fins islamophobes ou par nécessité de faire barrage au rigorisme? Les féministes n'ont pas toutes le même avis. Un article de Rachad Armanios dans le Courrier.
Interdire le voile intégral ou le tolérer? La question divise en Suisse. Pourtant, comme l'affirmait récemment la conseillère fédérale socialiste Micheline Calmy-Rey, la Suisse n'a pas de problème avec celui-ci, car très peu de femmes en portent. Celles-ci se voient surtout dans les médias. Le 24 février dernier, le Conseil fédéral, dans une réponse à une interpellation parlementaire du conseiller national PDC Christophe Darbellay, a estimé, par extrapolation des statistiques françaises et en comptant large, à moins de cent le nombre de résidentes portant ce vêtement. Nul besoin de prendre des mesures, concluait le Conseil fédéral. Entre-temps, le Grand Conseil argovien a voté une motion demandant une interdiction dans tout l'espace public suisse. Une commission prépare une initiative cantonale. La droite argovienne reprenait l'argument de Christophe Darbellay qui, au lendemain du vote bannissant les minarets, parlait d'une prison pour les femmes.
Pour les partisans de la fermeté, il s'agit de lutter également contre un symbole du fondamentalisme religieux, incompatible avec les traditions suisses et qui, en outre, pose des problèmes de sécurité, d'intégration ou encore heurte la notion de laïcité.
Astreinte ou liberté religieuse?
Mais étant donné le rapport inversement proportionnel entre l'ampleur du débat et celle du phénomène, beaucoup jugent la tournure des discussions surréaliste. Le journal Domaine public, proche du Parti socialiste, est très cru: «Le seul intérêt d'un débat malencontreusement surexposé par les médias? Dévoiler les faux culs de la droite nationaliste et démocrate-chrétienne, soudain préoccupés de protéger les droits des femmes. (...) L'appui de féministes et de progressistes (...) est plus surprenant. Comment justifier une telle interdiction au nom de la défense des droits fondamentaux, alors que cette interdiction nierait le libre choix des femmes?»
Pour Manon Schick, porte-parole d'Amnesty International Suisse, c'est une question de liberté religieuse et d'expression: une femme ne doit être forcée ni de porter un voile intégral ni de l'ôter. Dans sa réponse du 24 février, le Conseil fédéral notait que la liberté religieuse pouvait certes être restreinte et le voile intégral interdit, notamment pour préserver la sécurité et l'ordre public. Mais de façon temporaire ou limitée à certains lieux.
Renforcer l'intégration
«Etre libre, n'est-ce pas aussi d'avoir le choix de ne pas l'être aux yeux des autres?» demande à son tour Lucia Dahlab, vice-présidente des Organisations musulmanes de Genève. Et de dénoncer une forme de paternalisme et de racisme dans ce débat. «Après l'interdiction des minarets, celle du voile intégral», critique Domaine public. La Weltwoche, journal proche de l'UDC, faisait peu avant le même rapprochement, mais pour mieux titrer, en une, sur l'opportunité d'interdire l'islam en Suisse, avec un point d'interrogation très rhétorique. Micheline Calmy-Rey, qui voit dans le niqab un signe d'asservissement des femmes, craint une interdiction qui stigmatiserait un groupe de population.
«Ne pas discriminer, ne pas isoler davantage des femmes qui le sont déjà»: dans un communiqué commun, les Femmes socialistes, vertes, radicales et chrétiennes sociales jugent qu'une interdiction serait contre-productive en plus d'être populiste. Elles plaident plutôt pour l'intégration par le renforcement du dialogue et de l'égalité des chances. Obstacle potentiel à l'intégration, le niqab peut pourtant faciliter l'accès à l'espace public de femmes qui, à défaut, seraient cloîtrées chez elles, estime le Conseil fédéral.
Dans la Tribune de Genève, Saïda Keller-Messahli, présidente du Forum pour un islam progressiste, ne comprend pas la position des femmes des principaux partis suisses: «Dans le monde, des millions de femmes se battent actuellement contre la burqa ou le tchador. La droite a ouvert le débat car la gauche l'a nié. Celle-ci, tout particulièrement, pratique un relativisme culturel qui n'aide pas les femmes du monde musulman.» Et d'insister sur l'absence de fondement coranique du voile intégral. Lucia Dahlab, elle, évite de se positionner, soulignant simplement que «la majorité des courants de la pensée musulmane ne prescrit pas cette tenue».
Pour Mme Keller-Messahli, la marginalité du phénomène n'empêche pas de lutter contre, car le niqab donne un grave message d'auto-exclusion. Tandis que la féministe genevoise Mireille Valette – un peu la Caroline Fourest locale – prévient que ce phénomène se développe.
lundi 24 mai 2010
Interdire le niqab ? Parole aux femmes
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire