dimanche 29 novembre 2009

Un refus lourd de conséquences


Le peuple suisse a voté hier l'interdiction des minarets en Suisse. Les conséquences de ce vote risquent de se faire sentir dès aujourd'hui.

Fabian Muhieddine - le 29 novembre 2009, 22h11
Le Matin

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Les 57,5% des Suisses! Un raz de marée pour interdire la construction de minarets en Suisse. «C'est l'expression de certaines craintes au sein de la population au sujet des courants islamistes extrémistes», a tenté d'expliquer hier Eveline Widmer-Schlumpf. La conseillère fédérale en charge du dossier a essayé de faire bonne figure: «Il faut prendre ces craintes au sérieux et continuer la discussion. Il ne faut pas oublier que la Suisse reste un pays d'ouverture.» Sa collègue Micheline Calmy-Rey, ministre des Affaires étrangères, relevait hier soir que «c'est un vote de repli, de crainte par rapport au fondamentalisme. Il est à replacer dans un contexte général de crise économique. Ce n'est pas un vote de rejet de la communauté musulmane.» Reste que les conséquences pour la Suisse risquent bien de ne pas se faire attendre. Voici un aperçu.

Pour son image

«Il est clair que la Suisse envoie un mauvais signal», a expliqué hier Eveline Widmer-Schlumpf. Et, selon elle, les ambassades et les organismes du tourisme doivent le plus rapidement possible envoyer un signal clair dans l'autre direction. Il est donc évident que l'image de la Suisse pâtira de cette élection. Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève, acquiesce: «La Suisse a basé toute sa réputation sur la tolérance et le vivre ensemble. Et, aujourd'hui, elle devient un contre-modèle pour beaucoup de pays.» En résumé: la Suisse aura du mal à s'imposer en tant que médiateur sur certains dossiers. Le Conseil d'Etat genevois s'est déjà inquiété hier pour la Genève internationale. Il craint que le monde arabo-musulman délaisse Genève ou vote contre Genève au moment de fixer de nouvelles organisations internationales.

Pour ses échanges commerciaux

L'argent des pays arabes va-t-il quitter Genève? Philippe Kenel, avocat spécialisé dans les affaires, le craint. «Il faut se demander ce que recherchent les clients arabes dans les banques suisses: la sécurité juridique d'un pays, la stabilité économique et évidemment une hospitalité ouverte à leur culture.» Le problème, c'est que c'est sur cette clientèle que la Suisse comptait pour son avenir puisque la clientèle fiscale européenne s'amenuise à cause de la réforme du secret bancaire. Hasni Abidi a de son côté déjà répertorié plusieurs appels au boycott des produits suisses sur Internet. «A l'avenir, la Suisse risque d'être de moins en moins sollicitée par les pays arabes», commente-t-il.

Pour ses touristes

Pour Thomas Steiner, directeur de la Haute Ecole suisse de tourisme à Sierre (VS), les conséquences ont déjà commencé: «Les pays arabes ont déjà été choqués et leurs ressortissants viennent moins volontiers en Suisse», constate-t-il.

Et pour les Suisses qui souhaitent voyager dans les pays musulmans? «Difficile de répondre, continue le spécialiste, mais ça risque de dépendre de la publicité qui sera faite dans les pays arabes autour de ce vote.» Hasni Abidi se veut plus rassurant: «Les Danois n'ont rien eu à craindre malgré l'affaire des caricatures. Les Suisses ne seront pas plus touchés.»

Pour ses musulmans

Comme beaucoup des 400 000 musulmans de Suisse, Hafid Ouardiri était hier abasourdi. «Qu'est-ce que je vais dire à mes enfants? Moi qui leur avais dit de ne pas s'inquiéter», se demande cet ancien porte-parole de la mosquée de Genève. Le sentiment qui semble être le plus fort au sein de la communauté musulmane, c'est le rejet. «Jusqu'où iront-ils? Feront-ils une initiative pour nous mettre dans des camps de concentration?» ajoute Hafid Ouardiri. Mais il a une autre crainte: que l'extrémisme de l'UDC fanatise une catégorie de musulmans en Suisse. «Les fanatiques pourront désormais dire: «Vous voyez bien que la voie du dialogue et de l'intégration ne mène à rien.»

Pour ses relations avec les pays arabes

«Tout va dépendre de comment la Suisse va présenter le résultat du vote», estime Hasni Abidi. Raymond Loretan, ancien ambassadeur suisse, confirme: «Dès aujourd'hui, la Suisse officielle doit lancer une vaste campagne d'explications dans les pays musulmans.» Et il y a du travail. Hasard du calendrier: les pèlerins musulmans faisaient hier le voyage entre Médine et La Mecque. «Ils étaient donc des millions à suivre les votations en direct», explique Hasni Abidi. Et Al-Jazira n'est pas tendre. Le journaliste de la chaîne arabe d'information demandait hier à Eveline Widmer-Schlumpf si la Suisse n'avait pas classé les musulmans dans la catégorie des citoyens de seconde zone. Selon nos informations, certaines ambassades suisses sur terre musulmane commençaient hier à se barricader.

INTERVIEW

OSKAR FREYSINGER, conseiller national (UDC/VS) et père romand de l'initiative antiminarets

«Je vais contacter la police pour une surveillance légère»

A ce qu'il paraît, vous n'êtes pas très rassuré...

Non. Je ne suis pas tranquille. Je vais téléphoner au chef de la police valaisanne pour voir si on peut mettre en place une surveillance légère. Ma maison a déjà brûlé une fois. Je suis convaincu que la plupart des musulmans de Suisse sont modérés, mais il y a toujours des fous.

En tout cas, vous avez réussi à déjouer tous les pronostics avec votre initiative.

Moi-même, je n'aurais pas parié un kopek. Je pensais avoir 45% tout au plus. Et, en fait, c'est la déferlante. Cela prouve que, pour les gens, il y a un gros problème en Suisse.

Et maintenant, alors?
Rien. Les musulmans pourront continuer à pratiquer leur religion. Nous ne nous sommes attaqués qu'au volet politico-judiciaire symbolisé par le minaret.

Vous n'avez pas l'impression d'avoir jeté de l'huile sur le feu?

Pas du tout. La démocratie a fonctionné. Et le peuple s'est prononcé... Cette votation devrait être un exemple pour les pays arabes.

Justement. Ne craignez-vous pas plutôt la réaction des pays arabes?

Non. Ce n'est pas comme dans l'affaire des caricatures de Mahomet. Nous ne nous sommes pas attaqués à un symbole de la religion mais à un élément accessoire secondaire. C'est un message fort aux musulmans de Suisse: «Vous profitez de grande liberté chez nous, n'abusez pas en essayant d'y introduire des éléments liberticides.»

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