mercredi 4 novembre 2009

LES MINARETS, UN DÉBAT ENTRE FANTASME ET SYMBOLE

Le nouvelliste

3 novembre 2009 - PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTIANE IMSAND -

VOTATIONL'interdiction des minarets est-elle un faux problème ou un garde-fou contre le fondamentalisme islamique? Duel entre l'UDC Oskar Freysinger et le PDC Jacques Neirynck.

Pour «Le Nouvelliste», les conseillers nationaux Jacques Neirynck (PDC) et Oskar Freysinger (UDC) ont bien voulu se prêter au jeu de l'interview croisée avant la votation du 29 novembre sur l'initiative «Contre la construction de minarets». Un débat animé qui s'est tenu dans la Ville fédérale. BITTEL



La votation du 29 novembre sur l'interdiction des minarets suscite une discussion qui a des accents de Kulturkampf. Membre du comité d'initiative, l'UDC valaisan Oskar Freysinger veut barrer la route à l'application de la charia en Suisse. Pour le PDC vaudois Jacques Neirynck, auteur d'un livre d'entretiens avec l'intellectuel musulman Tariq Ramadan, c'est un pur fantasme. Face-à-face.
L'initiative a été lancée par un comité proche de l'UDC. M. Freysinger, quels problèmes espérez-vous résoudre avec une mesure architecturale?
FREYSINGER: L'islam est une religion qui ne fait pas de distinction entre l'Eglise et l'Etat. On pourrait la qualifier de religion politique. Dans certains pays européens, cela débouche sur des exigences de législation parallèle. Nous ne voulons pas de ça en Suisse. En s'en prenant au minaret qui est un symbole de pouvoir, notre initiative entend placer un garde-fou avant que la situation soit irréversible.
NEIRYNCK: Les problèmes politiques de la Suisse sont le déficit budgétaire, la crise et le financement des assurances sociales. Il y a en tout et pour tout quatre minarets en Suisse et les musulmans qui vivent chez nous n'ont jamais demandé l'application d'une quelconque prescription de la charia. C'est un faux problème fabriqué par l'UDC, faute de programme pour résoudre les vrais problèmes du pays. Les nazis ont fait de même quand ils ont incendié le Reichstag pour accuser les juifs, en 1933. On transforme les musulmans en boucs émissaires.
FREYSINGER: Si vous tenez à vous référer à l'histoire, je note qu'il ne faut pas sous-estimer l'impact de petites minorités très déterminées. En 1938, tout le monde croyait avoir sauvé la paix. En 1917, quelques centaines de bolcheviks ont pris la Russie en otage pour septante ans. En Suisse, la situation est encore gérable mais je constate que les frontières sont devenues très poreuses et que nous risquons de connaître la même évolution que les pays voisins. En Grande-Bretagne, il y a déjà une législation parallèle. Je ne veux pas qu'on introduise en Suisse des principes d'un autre âge, comme le refus de la mixité dans les cours de natation, au nom du multiculturalisme.
M. Neirynck, êtes-vous pour la tolérance ou la fermeté en matière de mode de vie?
NEIRYNCK: Je ne cautionne aucune exception motivée par des différences culturelles dans le domaine de la scolarité. L'école est obligatoire pour tous, quel que soit le cours. Il suffit d'appliquer le règlement. Je n'admets pas davantage qu'on introduise des distinctions entre les religions sous prétexte que l'une serait plus politique ou plus agressive que l'autre. Les chrétiens ont fait des croisades, envoyé des missionnaires et construit des églises dans le monde entier sans demander l'avis de quiconque. Ils ont aussi souvent instrumentalisé la religion à des fins politiques. Voyez aussi les conflits entre catholiques et protestants. Dans le canton de Vaud, le culte catholique a été interdit après la Réforme. Il a fallu du temps pour que les églises, puis les clochers, soient autorisés. La Suisse a réussi à sortir de cette problématique et à créer une société tolérante. Le combat des initiants est une régression au niveau du XIXe siècle.
FREYSINGER: La situation entre catholiques et protestants s'est réglée avec le temps. Nous devons aussi laisser le temps opérer avec les musulmans. Si l'islam fait son siècle des lumières, l'interdiction des minarets n'aura plus de raison d'être. Pour l'instant, on n'en est pas là. Les chrétiens portent un regard critique sur leurs textes sacrés alors que le Coran est un dogme juridique pour les musulmans. Notre initiative est un signal destiné à préserver la laïcité et l'Etat de droit.
NEIRYNCK: N'oublions pas d'où nous sommes venus. La critique historique de la Bible remonte à la fin du XIXe siècle. Les initiants ont une vision caricaturale de l'islam. C'est comme si l'on jugeait le christianisme sur la base de l'Opus Dei vu par les lunettes de Dan Brown. L'application de la charia en Suisse est un fantasme. On ne peut pas inscrire dans la Constitution une interdiction des minarets qui ne repose sur rien de concret au niveau global.
FREYSINGER: Il n'y a pas d'islam modéré, il n'y a que des musulmans qui s'adaptent. Je crains une politique de grignotage. Cela commence par les carrés musulmans dans les cimetières ou la mise en cause de la mixité pour des raisons de pudeur, puis les demandes se radicaliseront. Il y a 50 millions de musulmans en Europe. Ils seront 100 millions dans quinze ou vingt ans et ils seront dès lors en mesure de peser sur les décisions, surtout si un petit groupe d’extrémistes se montre actif. Je m’inquiète pour l’avenir. Voyez la situation dans les banlieues françaises. Il est naïf de croire que ces germes iberticides ne vont pas entrer chez nous.
Neirynck: Vous invoquez la sécurité, parlons-en! Nous n’avons pas eu d’attentat islamiste en Suisse jusqu’à présent. Si l’interdiction des minarets est prononcée, nous nous désignerons nous-mêmes ainsi que tous les citoyens suisses voyageant dans des pays musulmans comme des cibles privilégiées. C’est ce qui s’est passé pour les Danois lors de l’affaire des caricatures. Il y a aussi eu des mesures de rétorsion économique. Il ne faut pas provoquer inutilement une situation de conflit sur laquelle un parti d’extrême-droite pourrait surfer.
Freysinger: La tolérance qui est inspirée par la peur n’est pas de la tolérance. Si nous montrons à ces milieux que nous les craignons, nous avons déjà perdu.

Est-ce que vous reconnaissez que la construction des minarets est secondaire et que ce n’est pas vraiment ce qui vous préoccupe?
Freysinger: Oui, mais c’est un symbole externe de prise du pouvoir territorial. Si c’était juste un élément décoratif, les musulmans qui veulent vraiment s’intégrer pourraient y renoncer. Je note que le minaret pourrait avoir un rôle utilitaire s’il était équipé de haut-parleurs pour l’appel à la prière. Actuellement ce n’est pas le cas en Suisse mais il y a plusieurs endroits en Europe où l’appel à la prière est autorisé.
Neirynck: Quand je suis à la campagne et que j’entends sonner des cloches, j’ai parfois une prière. Les cloches me rappellent que je suis chrétien. Quand je suis en voyage dans un pays musulman et que j’entends l’appel du muezzin, je me dis qu’il parle au nom du même Dieu. Nous sommes tous héritiers d’Abraham.
Cela dépasse infiniment les pauvres constructions humaines et les instrumentalisations de ces religions. Lorsque j’ai écrit mon livre avec Tariq Ramadan, j’ai senti que nous faisions une prière en commun pour le Dieu qui nous réunit et qui ne nous divise pas. Si je défends les musulmans en Suisse, c’est en tant que croyant catholique pratiquant.
Freysinger: Je me garde de toute confrontation théologique. Je constate simplement si Dieu est vraisemblablement le même pour tous, les hommes l’instrumentalisent et qu’actuellement l’islam l’interprète de manière plutôt agressive.

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