A la veille des portes ouvertes des mosquées qui ont eu lieu samedi, «La Liberté» a invité de le préfet de la Gruyère Maurice Ropraz à visiter le Centre culturel islamique albanais lors de la prière du vendredi soir. Dans son entretien avec l'imam des lieux, Ramadan Shabani, M. Ropraz a parlé liberté de culte mais aussi respect de la Constitution. Texte et photo de Sid Ahmed Hammouche dans la Liberté.
Maurice Ropraz s'accroupit devant la petite porte du Centre culturel islamique albanais de la Gruyère. Il se déchausse sous le regard surpris et interrogateur d'une dizaine d'hommes qui viennent de terminer la prière du vendredi dans le petit local. Ils sortent de la seule mosquée gruérienne, située à la sortie de Bulle direction Vevey, dans un grand bâtiment industriel et commercial.«Que fait le préfet ici?», chuchote un jeune homme à son voisin. Ce dernier hausse les épaules alors que des salamalecs commencent à fuser et que Maurice Ropraz, décontracté, dépose ses souliers noirs bien cirés sur les étagères en bois, en face d'un petit lavabo où les fidèles avaient fait leurs ablutions. «C'est une visite surprise», déclare le préfet, tout sourire. La première depuis l'ouverture du centre en 2005.
Une agréable surprise
«Mais c'est une agréable surprise», lui rétorque Sulejman Sulejmani, 39 ans, trésorier du Centre culturel islamique albanais de la Gruyère. «Vous êtes le bienvenu, monsieur le préfet», ajoute ce Bullois d'origine kosovare qui emmène le visiteur surprise vers la salle de prière. Une demi-douzaine de personnes discutent avec l'imam tandis que deux hommes prient, à deux pas, en ce jour de Djamouaa.Quant à Maurice Ropraz qui a répondu favorablement à l'invitation de «La Liberté» d'aller à la rencontre des musulmans de la Gruyère, il découvre les lieux. Il observe le minbar en bois, cette sorte d'escabeau, escaladé une fois par semaine par l'imam pour donner la Khoutba, le sermon du vendredi. Maurice Ropraz pose devant le mihrab, un sanctuaire décoré avec une arcature qui indique la qibla, vers laquelle se prosternent les fidèles pendant la prière, cinq fois par jour. Le mihrab est peint en vert. «Aux couleurs de l'UDC, quoi», ironise un croyant en quittant les lieux.Maurice Ropraz sourit. Gêné? Non! Le préfet sait très bien que le vote sur les minarets est sensible. Mais il redoute que la campagne électorale de l'UDC sur la votation pour l'interdiction des minarets, qui sera soumise au peuple le 29 novembre, ne laisse des traces, des fractures dans une communauté musulmane bien intégrée en Gruyère. «On crée des amalgames entre islamistes intégristes et islam», déclare cet avocat de formation à Sulejman Sulejmani.C'est alors que l'imam, drapé dans un manteau noir, approche Maurice Ropraz. Rapides salutations pour une première rencontre avant que les deux hommes, accompagnés par cinq Albanais, ne s'assoient à une table à l'entrée de la salle de prière. Débute alors un dialogue entre le représentant de l'Etat de Fribourg en Gruyère et Ramadan Shabani, 32 ans, Kosovar installé en suisse depuis 7 ans, employé chez Cremo et imam bénévole.
Pas de consigne de vote
«Est-ce que le minaret est important pour la pratique des musulmans?», interroge Maurice Ropraz après lui avoir expliqué qu'il est un catholique pratiquant. «Non», lui répond l'imam. «C'est un symbole pour indiquer un lieu de prière. Avec ou sans, nous pouvons pratiquer notre religion. Mais ne comptez pas sur moi pour donner des consignes de vote durant mes prêches. Ici, c'est une mosquée, on parle de dieu, pas de politique. Que la Suisse accepte ou refuse les minarets, nous nous continuerons de faire la prière sans problème.» «Et qu'avez-vous évoqué aujourd'hui lors du prêche?», relance Maurice Ropraz. «J'ai parlé du pèlerinage à la Mecque, qui commencera bientôt», dit le jeune Albanais qui a étudié la théologie musulmane au Kosovo et qui parle un arabe châtié. «Mon rôle est d'enseigner les bases de l'islam. Je mène la prière du vendredi et je donne des cours d'éducation religieuse aux enfants le dimanche. Et j'enseigne les préceptes de l'islam tout en insistant pour que les musulmans d'ici pratiquent leur foi et appliquent la loi suisse.»Ces mots rassurent le préfet qui insiste sur la liberté du culte, mais sur le devoir civique de chaque habitant de ce pays de respecter la constitution et la laïcité. «Nous sommes des Suisses comme les autres» rétorque Ramadan Surduli, menuisier, la cinquantaine et qui travaille depuis plus 30 ans dans la région. De son côté, Gashi Hisen, 65 ans, abonde: «Je suis arrivé du Kosovo il y a 25 ans. Et à chaque prière du vendredi, je loue la Suisse qui m'a rendu ma dignité. N'oubliez pas non plus que la majo-rité des musulmans d'ici vient d'Europe, des Balkans principalement ou de la Turquie. Nous sommes issus d'un Islam européen. Nous c'est Allah, vous c'est Dieu. Finalement, on adore le même créateur du monde.»Pour le préfet, tout ce débat sur les minarets n'a pas de sens. «En réalité, les partisans de l'initiative ont ouvert un faux débat. Les musulmans vivent bien en Suisse. C'est une richesse pour nous. Il y a quatre minarets et je ne m'attends pas à les voir se multiplier. Les musulmans comprennent aussi que ce n'est pas dans leur intérêt de construire à chaque coin de rue un minaret dans le pays. Je serais très triste si la Suisse était le premier pays à inscrire l'interdiction des minarets dans la constitution. C'est vraiment l'introduction des lois d'exception et ça serait grave.»Autour de la table, les hommes opinent du chef et précisent que l'Association albanaise de la Gruyère n'a pas de projet de construction de minaret. Comme pris au piège d'un débat qui les dépasse. Après deux heures de discussion, Maurice Ropraz, rassuré, prend congé tout en promettant de revenir les voir un de ces jours. «Les portes sont ouvertes à tout le monde», lui lance Sulejman Sulejmani, aux anges, ému par la visite du préfet. Un vendredi. Jour de prière. En Gruyère comme ailleurs dans le monde.
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