samedi 21 novembre 2009

Abdirashid, le mineur expulsé, raconte

© ERIC VANDEVILLE Abdirashid Ali vit depuis mrcredi en périphérie de la capitale italienne

C’est une première: Vaud a renvoyé vendredi un mineur non accompagné dans le pays où il a déposé sa première demande d’asile. En Italie. C’est le résultat des Accords de Dublin. Le jeune Somalien de plus de 17 ans, Abdirashid Ali, qui vivait à Lausanne depuis janvier, s’est retrouvé à Rome, livré à lui-même, malgré les garanties. Nous l’avons retrouvé. Un article d’Ariel F. Dumont, Rome, pour 24 Heures.

Pendant quatre jours, Abdirashid Ali a erré dans Rome. La première nuit, il a dormi à Termini, la gare centrale. Puis dans les locaux de l’ancienne ambassade de Somalie, abandonnée depuis la guerre. Pour trouver de quoi manger, cet adolescent a frappé aux portes des églises. Puis il a été contacté par un journaliste de la troisième chaîne de télévision du service public italien (Rai 3), qui l’a accompagné dans un centre d’accueil pour mineurs tenu par des jésuites. Mercredi soir, pour la première fois depuis son arrivée à Rome, Abdirashid a pu prendre une douche, se changer, manger normalement et dormir dans un lit.

Quatre heures d’attente menottes aux mains
Assis sur une chaise, serrant dans sa main un téléphone portable, son unique trésor, le jeune homme a le regard démuni de ceux qui n’ont pas d’avenir. «Il était sept heures du matin lorsque la police cantonale a frappé à la porte de l’appartement où j’habitais avec trois autres personnes» raconte Abdirashid. Les policiers lui ont demandé de s’habiller et de les suivre, direction Berne. Abdirashid a passé quatre heures menotté, derrière un grillage dans le fourgon blindé avec 3 adultes dont un Erythréen. A Berne, on les a fait monter dans un train spécial. «Ils m’ont enfermé dans un box après m’avoir retiré les menottes et m’ont donné du chocolat et des biscuits», se souvient Abdirashid.

En arrivant à Zurich, les policiers leur ont remis les menottes et les ont enfermés dans une cellule située dans le bureau de l’immigration. «Les policiers nous ont donné des vêtements propres et nous ont demandé si on voulait prendre une douche», raconte l’adolescent. Pendant la nuit, il a réfléchi, car il avait compris, même si on ne le lui avait pas dit, qu’on le réexpédiait en Italie. «En 2008, j’étais arrivée de Somalie en Italie à bord d’un petit bateau», explique Abdirashid. Du coup, il s’imaginait bien qu’on le renvoyait à la case départ. comme le prévoit le protocole de Dublin. «Si je n’avais pas été au courant de la loi, j’aurais pu penser qu’on me ramenait en Somalie où au moins, j’avais où dormir. En Italie, il n’y a pas d’avenir. On ne veut pas de nous.»

A Zurich, premier arrêt dans une cellule du bureau de l’immigration, pour remplir les papiers d’expulsion. Puis à nouveau les menottes et direction la piste d’atterrissage dans une voiture blindée. Sous le regard indifférent des passagers, les trois Africains expulsés se sont assis à l’arrière. Par le hublot, Abdirashid a regardé la Suisse qui devenait toute petite.

Revenir en Suisse
A la descente d’avion, les policiers italiens ont embarqué l’adolescent. Nouvel arrêt dans les bureaux de l’immigration, avec prise d’empreintes. Puis les policiers lui ont donné un ticket de bus pour aller dans le centre, un billet de train pour aller à Caltanissetta, en Sicile, où l’aventure européenne d’Abdirashid a commencé il y a un an. Mais pas d’argent. Complètement démuni, sans nulle part où aller, sans un morceau de pain, l’adolescent a traîné dans la gare. Il était 8 heures du soir.

Et maintenant? Abdirashid veut revenir en Suisse pour continuer à étudier et se construire un avenir. Quand il sera grand, dit-il, il veut travailler dans les communications, devenir quelqu’un et avoir la chance que la vie lui a refusée jusqu’à présent.

Le point de vue du canton

PHILIPPE LEUBA
Le chef du Département vaudois de l’intérieur, estime que le canton n’a rien à se reprocher dans l’affaire du renvoi d’Abdirashid à Rome. Il en attribue l’entière responsabilité à l’Office fédéral des migrations (ODM) qui décide des expulsions; le canton ne faisant qu’exécuter. «Le 9 novembre, nous avons eu une séance avec l’ODM qui nous a garanti que le renvoi d’un mineur non accompagné présuppose l’existence d’un réseau sur place pour l’accueillir.» Il affirme avoir reçu des assurances que l’Italie faisait le nécessaire, alors que l’ODM a renoncé à renvoyer des mineurs seuls en Grèce en raison des carences dans l’accueil.

En entendant que l’Etat italien n’avait pas reçu Abdirashid, le canton a adressé une demande d’explications à l’ODM mercredi soir, quitte à s’adresser à la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf dans un second temps, si Philippe Leuba ne reçoit pas une «réponse circonstanciée».

Il relève qu’Abdirashid a menti à son enregistrement en Suisse, omettant de signaler qu’il avait déposé une demande d’asile en Sicile le 20 octobre 2008.

Enfin, il remarque que les délais forçaient la Confédération à expulser Abdirashid dans le pays où il a déposé sa première demande d’asile avant le 26 novembre sans quoi «il aurait fallu lui accorder un permis de séjour en Suisse».

Après avoir menacé de sanctions le doyen qui a rendu public le renvoi d’Abdirashid, Philippe Leuba s’est ravisé: «Je comprends sa réaction, même si je considère qu’il a un devoir de loyauté envers son employeur, l’Etat.»

J. FD.

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