Les Suisses interdiront-ils la construction de nouveaux minarets, tel que celui-ci, à Zurich?
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Marc Thibodeau |
À l'initiative d'un parti de droite populiste, les Suisses sont appelés à se prononcer la semaine prochaine sur une modification constitutionnelle qui aurait pour effet d'interdire la construction de nouveaux minarets. Les ténors de la formation craignent l'islamisation rampante du pays helvète, leurs opposants crient à la xénophobie. Notre correspondant Marc Thibodeau s'est rendu sur place.
Zurich Est-ce que l'érection d'un minaret constitue un geste politique pour témoigner de la montée en puissance de l'islam? Ou s'agit-il simplement d'un repère visuel destiné à signaler l'existence d'un lieu de prière?
La question, plus susceptible en temps normal de passionner le théologien que l'homme de la rue, suscite de vigoureux débats en Suisse, où la population est appelée à voter dans 10 jours sur une modification constitutionnelle visant à interdire la construction de nouveaux minarets.
«Dans notre famille, ça soulève beaucoup de passions. Personnellement, je ne sais pas trop quoi en penser, je suis comme paralysée... Mais mon mari dit qu'il faut mettre des limites, qu'il faut que ce soit fait par écrit», souligne Karen, 42 ans, croisée il y a quelques jours à Balgrist, dans l'est de Zurich, à quelques mètres de la mosquée Mahmoud.
Le modeste bâtiment, coincé entre un centre de physiothérapie et une pâtisserie, ne paie pas de mine. Son minaret, le premier érigé en Suisse, dans les années 60, est une fine tour pointue d'une quinzaine de mètres. Il est dominé visuellement par le massif clocher de l'église protestante située de l'autre côté de la rue.
«Je n'ai pas de problème avec le minaret, je le vois tous les jours de ma fenêtre en me levant. Les gens ont le droit de vivre leur religion. Mais je me demande ce que l'avenir nous réserve», souligne la mère de famille, qui se dit d'obédience... bouddhiste.
Excision et mariages forcés
L'imam de la mosquée Mahmoud, Sadaqad Ahmad, qui reçoit dans une salle où se trouvent plusieurs exemplaires du Coran couverts de dorures, souligne que les résidants du quartier n'ont jamais manifesté la moindre irritation envers l'établissement ou son minaret.
«Ce n'est pas un symbole de victoire ou de puissance», indique le religieux d'origine pakistanaise, qui a décidé de tenir en novembre trois journées portes ouvertes pour répondre aux questions des curieux.
«Les gens sont très respectueux. Seuls quelques visiteurs se sont montrés agressifs», souligne l'imam, qui accuse l'UDC d'agir de manière discriminatoire envers les musulmans. Il croit que la formation risquerait de se faire désavouer par la Cour européenne des droits de l'homme en cas de victoire puisque la modification proposée est en contradiction avec le «droit à la liberté religieuse».
Le conseiller UDC Ulrich Schluer, l'un des instigateurs de l'initiative populaire, assure que la construction de minarets «n'a rien de religieux».
«C'est quelque chose de politique qui vise à faire changer les choses. Les islamistes veulent établir un ordre parallèle, un ordre de droit différent, et nous ne voulons pas de ça en Suisse», souligne M. Schluer, qui évoque pêle-mêle en entrevue l'excision, la charia et les mariages forcés pour étayer ses craintes et son sentiment d'urgence.
Le fait que la Suisse ne compte que quatre minarets ne change rien à la pertinence de l'initiative, selon l'élu de 65 ans, rencontré dans un hôtel chic du centre de Zurich. «Si l'on veut éviter qu'un ordre parallèle s'instaure, il faut agir au début du mouvement», dit-il.
La peur de l'immigré
Karl Grünberg, de l'organisation SOS-Racisme, estime que l'UDC tente de faire des gains politiques en capitalisant sur la peur de l'immigré, présenté «comme une menace à l'identité nationale».
Patrick Haenni, un chercheur suisse qui vient de chapeauter un ouvrage sur les «minarets de la discorde», souligne que le pays a toujours su «digérer» d'importants afflux d'immigrants même si ces périodes s'accompagnaient parfois de flambées ponctuelles de racisme.
Bien que la communauté musulmane ait fortement augmenté en 30 ans, «il n'y a pas de montée en tension notable à l'échelle locale», souligne le spécialiste, qui accuse l'UDC de vouloir «instrumentaliser» la question de l'islam.
Le stratagème a ses limites, à en juger par les derniers sondages, qui donnent 20 points d'avance au camp du non.
Le gouvernement, qui appelle la population à rejeter l'interdiction des minarets, multiplie les interventions. Mardi, le président helvétique, Hans-Rudolf Merz, a rappelé dans un message vidéo que la «tolérance religieuse avait une longue tradition au pays». Il a assuré du même souffle que l'appel du muezzin - qui, dans les pays musulmans, monte au minaret pour appeler à la prière - «ne retentira pas» en Suisse.
Cette perspective sourit à Karen, la voisine de la mosquée Mahmoud. «Je n'aimerais pas ça pour le bruit mais aussi pour le principe. Peut-être effectivement que c'est simplement parce que ce n'est pas ma culture», souligne-t-elle alors que résonnent les cloches de l'église.
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