Oui, les immigrés illégaux viennent nombreux tenter leur chance en Europe de l’Ouest. Mais non, la majorité n’arrive pas du continent noir. Non, la tolérance zéro ne peut être efficace. Et non, le renvoi ne résout rien. Analyse choc d’un expert des flux migratoires.
ATTENTE Des immigrés clandestins patientent sur l’île de Lampedusa,
au sud de la Sicile, après leur interception par les garde-côtes.
LAMPEDUSA, LE 16 JUILLET 2007
AFP
Une cinquantaine d’Africains sont portés disparus après le naufrage de leur embarcation au large des Canaries. Hier, quatre autres personnes ont péri en mer en tentant de gagner l’île italienne de Lampedusa. Comme chaque été, des dizaines de candidats à l’immigration meurent dans la traversée qui devait les amener sur les terres européennes. Et comme chaque été, les images des migrants sans permis ayant atteint leur but, débarquant épuisés et affamés, font la une des médias. En réaction, l’Union européenne renforce le contrôle de ses frontières et des côtes africaines. Pour Philippe Sanmarco
( photo DR), directeur du centre géostratégique de l’Ecole normale supérieur d’Ulm à Paris, ces Africains sont surtout utilisés par les dirigeants du Vieux-Continent pour nourrir, à des fins électoralistes, de faux débats sur l’immigration. Alors qu’ils ne constituent qu’un phénomène marginal sur l’ensemble des flux migratoires. Interview.
– Vous affirmez que l’arrivée de boat people africains est un phénomène marginal?
– Statistiquement, il l’est. On en parle beaucoup, mais quantitativement, il représente peu de monde sur l’ensemble des immigrants «illégaux». Quelques milliers d’Africains arrivent en bateau sur les côtes du sud du continent, mais des dizaines de milliers de personnes sans permis arrivent d’Europe de l’Est en toute discrétion. En Italie, par exemple, 30 à 40% des «sans-papiers» viennent des Balkans. Au Portugal, plus de la moitié des immigrés clandestins sont arrivés de Russie, de Moldavie ou d’Ukraine. En Espagne, la grande majorité des illégaux sont des Sud-Américains descendus tranquillement de leur avion ( n.d.l.r.: on estime que 130 000 Latino-Américains arrivent chaque année à l’aéroport de Madrid avec un visa de touriste avant de s’évanouir dans la nature).
– Pourquoi l’attention publique et les médias se focalisent-ils sur les Africains?
– Parce que les migrants subsahariens débarquant sur les plages sont les seuls qu’on voit arriver. Et qui plus est, de manière spectaculaire et souvent dramatique. Les images des boat people et les noyés frappent la conscience collective.
– La «fermeture des frontières», prônée par de nombreux pays européens, est-elle
réalisable?
– Absolument pas. Il s’agit d’une rhétorique électoraliste. Pour être réellement cohérents avec ce discours, les dirigeants devraient faire construire des «murs de Berlin» tout autour de l’Europe. Ils devraient aussi ordonner aux gardes-côtes de tirer à vue et de couler les embarcations des migrants devant l’oeil des caméras, afin de dissuader les candidats au départ. Mais cela n’arrivera heureusement pas. Nos sociétés démocratiques ne le toléreraient jamais. Il faut avant tout comprendre que tant que les conditions socio-économiques de la majorité de la planète ne s’amélioreront pas, l’immigration continuera. Il va donc falloir s’y habituer. Mais les politiciens peinent à expliquer cela à une opinion publique composée d’électeurs inquiets.
– Aucune politique ne peut stopper le flux migratoire?
– Pas les politiques actuelles, en tout cas. Dans les faits, en envoyant plus d’embarcations militaires patrouiller en Méditerranée ou au large des côtes africaines, on sauve plus de gens. Ces migrants sont alors considérés au regard du droit maritime comme des naufragés. Ils sont donc parqués, puis envoyés vers des grandes villes européennes avec un bout de papier où il est écrit qu’ils doivent rentrer chez eux. Ce qu’ils ne font évidemment pas.
– Et les renvois dans les pays d’origine?
– Ils posent aussi de gros problèmes, car ils impliquent l’accord de ces pays. Pour cela, les gouvernements européens doivent négocier avec des régimes peu démocratiques et corrompus. Ces derniers se retrouvent alors dans une situation de force pour réclamer quelque chose en échange. Ce faisant, nous renforçons des régimes autoritaires. Du coup, nous renforçons aussi la conviction des candidats au départ. Ceux-ci quittent en effet leur pays car ils n’y voient pas de perspectives de bien-être ni de liberté. Quant aux régularisations de masse, elles améliorent le quotidien de ceux qui en bénéficient, mais n’ont aucun effet sur le flux migratoire.
– Les migrants illégaux sont souvent présentés comme des profiteurs. Vous le réfutez?
– Bien sûr. C’est une vision particulièrement hypocrite. D’abord parce que les Européens ont eux-mêmes beaucoup migré au XIXe siècle et au début du XXe à la recherche d’un avenir meilleur. Mais il faut surtout se rendre compte que ces gens risquent leur vie, ils sont donc courageux. Ils viennent travailler dur et envoyer de l’argent à leurs familles restées au pays, ils sont donc entreprenants et solidaires. Enfin, ils ne se résignent pas à la vie dans des pays corrompus et sans libertés individuelles. Autant de qualités que nous prônons et magnifions chez nous. Il ne faut pas oublier non plus que de nombreuses études ont prouvé que l’Espagne et l’Italie doivent leur croissance aux immigrés. Tout comme les EtatsUnis, d’ailleurs.
GUSTAVO KUHN pour le quotidien 24 Heures
ATTENTE Des immigrés clandestins patientent sur l’île de Lampedusa,
au sud de la Sicile, après leur interception par les garde-côtes.
LAMPEDUSA, LE 16 JUILLET 2007
AFP
Une cinquantaine d’Africains sont portés disparus après le naufrage de leur embarcation au large des Canaries. Hier, quatre autres personnes ont péri en mer en tentant de gagner l’île italienne de Lampedusa. Comme chaque été, des dizaines de candidats à l’immigration meurent dans la traversée qui devait les amener sur les terres européennes. Et comme chaque été, les images des migrants sans permis ayant atteint leur but, débarquant épuisés et affamés, font la une des médias. En réaction, l’Union européenne renforce le contrôle de ses frontières et des côtes africaines. Pour Philippe Sanmarco
( photo DR), directeur du centre géostratégique de l’Ecole normale supérieur d’Ulm à Paris, ces Africains sont surtout utilisés par les dirigeants du Vieux-Continent pour nourrir, à des fins électoralistes, de faux débats sur l’immigration. Alors qu’ils ne constituent qu’un phénomène marginal sur l’ensemble des flux migratoires. Interview.
– Vous affirmez que l’arrivée de boat people africains est un phénomène marginal?
– Statistiquement, il l’est. On en parle beaucoup, mais quantitativement, il représente peu de monde sur l’ensemble des immigrants «illégaux». Quelques milliers d’Africains arrivent en bateau sur les côtes du sud du continent, mais des dizaines de milliers de personnes sans permis arrivent d’Europe de l’Est en toute discrétion. En Italie, par exemple, 30 à 40% des «sans-papiers» viennent des Balkans. Au Portugal, plus de la moitié des immigrés clandestins sont arrivés de Russie, de Moldavie ou d’Ukraine. En Espagne, la grande majorité des illégaux sont des Sud-Américains descendus tranquillement de leur avion ( n.d.l.r.: on estime que 130 000 Latino-Américains arrivent chaque année à l’aéroport de Madrid avec un visa de touriste avant de s’évanouir dans la nature).
– Pourquoi l’attention publique et les médias se focalisent-ils sur les Africains?
– Parce que les migrants subsahariens débarquant sur les plages sont les seuls qu’on voit arriver. Et qui plus est, de manière spectaculaire et souvent dramatique. Les images des boat people et les noyés frappent la conscience collective.
– La «fermeture des frontières», prônée par de nombreux pays européens, est-elle
réalisable?
– Absolument pas. Il s’agit d’une rhétorique électoraliste. Pour être réellement cohérents avec ce discours, les dirigeants devraient faire construire des «murs de Berlin» tout autour de l’Europe. Ils devraient aussi ordonner aux gardes-côtes de tirer à vue et de couler les embarcations des migrants devant l’oeil des caméras, afin de dissuader les candidats au départ. Mais cela n’arrivera heureusement pas. Nos sociétés démocratiques ne le toléreraient jamais. Il faut avant tout comprendre que tant que les conditions socio-économiques de la majorité de la planète ne s’amélioreront pas, l’immigration continuera. Il va donc falloir s’y habituer. Mais les politiciens peinent à expliquer cela à une opinion publique composée d’électeurs inquiets.
– Aucune politique ne peut stopper le flux migratoire?
– Pas les politiques actuelles, en tout cas. Dans les faits, en envoyant plus d’embarcations militaires patrouiller en Méditerranée ou au large des côtes africaines, on sauve plus de gens. Ces migrants sont alors considérés au regard du droit maritime comme des naufragés. Ils sont donc parqués, puis envoyés vers des grandes villes européennes avec un bout de papier où il est écrit qu’ils doivent rentrer chez eux. Ce qu’ils ne font évidemment pas.
– Et les renvois dans les pays d’origine?
– Ils posent aussi de gros problèmes, car ils impliquent l’accord de ces pays. Pour cela, les gouvernements européens doivent négocier avec des régimes peu démocratiques et corrompus. Ces derniers se retrouvent alors dans une situation de force pour réclamer quelque chose en échange. Ce faisant, nous renforçons des régimes autoritaires. Du coup, nous renforçons aussi la conviction des candidats au départ. Ceux-ci quittent en effet leur pays car ils n’y voient pas de perspectives de bien-être ni de liberté. Quant aux régularisations de masse, elles améliorent le quotidien de ceux qui en bénéficient, mais n’ont aucun effet sur le flux migratoire.
– Les migrants illégaux sont souvent présentés comme des profiteurs. Vous le réfutez?
– Bien sûr. C’est une vision particulièrement hypocrite. D’abord parce que les Européens ont eux-mêmes beaucoup migré au XIXe siècle et au début du XXe à la recherche d’un avenir meilleur. Mais il faut surtout se rendre compte que ces gens risquent leur vie, ils sont donc courageux. Ils viennent travailler dur et envoyer de l’argent à leurs familles restées au pays, ils sont donc entreprenants et solidaires. Enfin, ils ne se résignent pas à la vie dans des pays corrompus et sans libertés individuelles. Autant de qualités que nous prônons et magnifions chez nous. Il ne faut pas oublier non plus que de nombreuses études ont prouvé que l’Espagne et l’Italie doivent leur croissance aux immigrés. Tout comme les EtatsUnis, d’ailleurs.
GUSTAVO KUHN pour le quotidien 24 Heures
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