vendredi 20 juillet 2007

Clandestins africains: vrai drame et faux débats

Oui, les immigrés illégaux viennent nombreux tenter leur chance en Europe de l’Ouest. Mais non, la majorité n’arrive pas du continent noir. Non, la tolérance zéro ne peut être efficace. Et non, le renvoi ne résout rien. Analyse choc d’un expert des flux migratoires.


ATTENTE Des immigrés clandestins patientent sur l’île de Lampedusa,
au sud de la Sicile, après leur interception par les garde-côtes.

LAMPEDUSA, LE 16 JUILLET 2007

AFP


Une cinquantaine d’Afri­cains sont portés dispa­rus après le naufrage de leur embarcation au large des Canaries. Hier, quatre autres per­sonnes ont péri en mer en ten­tant de gagner l’île italienne de Lampedusa. Comme chaque été, des dizaines de candidats à l’im­migration meurent dans la tra­versée qui devait les amener sur les terres européennes. Et comme chaque été, les images des migrants sans permis ayant atteint leur but, débarquant épui­sés et affamés, font la une des médias. En réaction, l’Union européenne renforce le contrôle de ses frontières et des côtes africaines. Pour Philippe San­marco



( photo DR), directeur du centre géostratégique de l’Ecole normale supérieur d’Ulm à Paris, ces Africains sont surtout utilisés par les dirigeants du Vieux-Conti­nent pour nourrir, à des fins électoralistes, de faux débats sur l’immigration. Alors qu’ils ne constituent qu’un phénomène marginal sur l’ensemble des flux migratoires. Interview.
– Vous affirmez que l’arrivée de boat people africains est un phénomène marginal?
– Statistiquement, il l’est. On en parle beaucoup, mais quantitati­vement, il représente peu de monde sur l’ensemble des immi­grants «illégaux». Quelques mil­liers d’Africains arrivent en ba­teau sur les côtes du sud du continent, mais des dizaines de milliers de personnes sans per­mis arrivent d’Europe de l’Est en toute discrétion. En Italie, par exemple, 30 à 40% des «sans-papiers» viennent des Balkans. Au Portugal, plus de la moitié des immigrés clandestins sont arrivés de Russie, de Mol­davie ou d’Ukraine. En Espagne, la grande majorité des illégaux sont des Sud-Américains des­cendus tranquillement de leur avion ( n.d.l.r.: on estime que 130 000 Latino-Américains ar­rivent chaque année à l’aéroport de Madrid avec un visa de tou­riste avant de s’évanouir dans la nature).
– Pourquoi l’attention publique et les médias se focalisent-ils sur les Africains?
– Parce que les migrants subsa­hariens débarquant sur les plages sont les seuls qu’on voit arriver. Et qui plus est, de manière spectaculaire et souvent dramatique. Les images des boat people et les noyés frappent la cons­cience collective.
– La «fermeture des frontières», prônée par de nom­breux pays européens, est-elle
réalisable?
– Absolument pas. Il s’agit d’une rhétorique électoraliste. Pour être réellement cohérents avec ce discours, les dirigeants devraient faire construire des «murs de Berlin» tout autour de l’Europe. Ils devraient aussi ordonner aux gardes-côtes de tirer à vue et de couler les embarcations des mi­grants devant l’oeil des caméras, afin de dissuader les candidats au départ. Mais cela n’arrivera heureusement pas. Nos sociétés démocratiques ne le toléreraient jamais. Il faut avant tout com­prendre que tant que les condi­tions socio-économiques de la majorité de la planète ne s’amé­lioreront pas, l’immigration con­tinuera. Il va donc falloir s’y habituer. Mais les politiciens pei­nent à expliquer cela à une opi­nion publique composée d’élec­teurs inquiets.
– Aucune politique ne peut stopper le flux migratoire?
– Pas les politiques ac­tuelles, en tout cas. Dans les faits, en envoyant plus d’embarcations mili­taires patrouiller en Mé­diterranée ou au large des côtes africaines, on sauve plus de gens. Ces migrants sont alors con­sidérés au regard du droit maritime comme des nau­fragés. Ils sont donc parqués, puis envoyés vers des grandes villes européennes avec un bout de papier où il est écrit qu’ils doivent rentrer chez eux. Ce qu’ils ne font évidemment pas.
– Et les renvois dans les pays d’origine?
– Ils posent aussi de gros problè­mes, car ils impliquent l’accord de ces pays. Pour cela, les gou­vernements européens doivent négocier avec des régimes peu démocratiques et corrompus. Ces derniers se retrouvent alors dans une situation de force pour réclamer quelque chose en échange. Ce faisant, nous ren­forçons des régimes autoritaires. Du coup, nous renforçons aussi la conviction des candidats au départ. Ceux-ci quittent en effet leur pays car ils n’y voient pas de perspectives de bien-être ni de liberté. Quant aux régularisa­tions de masse, elles améliorent le quotidien de ceux qui en bénéficient, mais n’ont aucun effet sur le flux migratoire.
– Les migrants illégaux sont souvent présentés comme des profiteurs. Vous le réfutez?
– Bien sûr. C’est une vision parti­culièrement hypocrite. D’abord parce que les Européens ont eux-mêmes beaucoup migré au XIXe siècle et au début du XXe à la recherche d’un avenir meilleur. Mais il faut surtout se rendre compte que ces gens ris­quent leur vie, ils sont donc courageux. Ils viennent travailler dur et envoyer de l’argent à leurs familles restées au pays, ils sont donc entreprenants et solidaires. Enfin, ils ne se résignent pas à la vie dans des pays corrompus et sans libertés individuelles. Autant de qualités que nous prô­nons et magnifions chez nous. Il ne faut pas oublier non plus que de nombreuses études ont prouvé que l’Espagne et l’Italie doivent leur croissance aux im­migrés. Tout comme les Etats­Unis, d’ailleurs.

GUSTAVO KUHN pour le quotidien 24 Heures

Aucun commentaire: