samedi 9 septembre 2006

Les Chambres fédérales ont su faire bien plus fort que l'UDC

Lire l'article de Didier Estoppey
LOI SUR L'ASILE - Le peuple suisse rejetait de justesse, en 2002, une initiative de l'UDC. Mais le texte censé lui servir de contre-projet, sur lequel on votera le 24 septembre, va sur de nombreux points bien au-delà.

L'affaire paraît désormais relever de l'histoire ancienne. Elle remonte pourtant à moins de quatre ans. Souvenez-vous: nous étions le 24 novembre 2002. Le peuple suisse rejetait de justesse l'initiative de l'UDC «contre les abus dans le droit d'asile». Battue pour une poignée de voix, l'UDC elle-même n'a pas trop insisté pour qu'on recompte les suffrages, trop heureuse de pouvoir continuer à jouer les martyrs plutôt que d'avoir à assumer la responsabilité d'une initiative que tout le monde donnait pour inapplicable.
La droite bourgeoise, quant à elle, qui faisait encore mine de vouloir dresser un cordon sanitaire autour de l'UDC, poussait des soupirs de soulagement. Elle avait promis, en lieu et place de l'initiative qu'elle combattait, une révision de la loi sur l'asile. Celle-là même sur laquelle le peuple suisse est appelé à voter le 24 septembre.


Un seul point non repris

Il n'est pas inintéressant, quatre ans après, de se repencher sur l'initiative honnie et de la comparer au projet de loi qui lui sert de contre-projet. Le texte de l'UDC se déclinait en six points. Le premier était également le plus contesté: «L'autorité n'entre pas en matière sur une demande d'asile présentée par une personne entrée en Suisse au départ d'un Etat tiers réputé sûr (...)». Une exigence qui aurait pu exclure, de facto, tous les requérants n'ayant pas choisi l'avion pour arriver en Suisse... Mais qui aurait posé de gros problèmes quant à la réadmission, par les pays voisins, des candidats à l'asile y ayant transité. Ce point est le seul à ne pas être repris dans la nouvelle loi sur l'asile. «L'initiative fermait la porte de l'asile à la plupart des candidats, observe Yves Brutsch, du Centre social protestant (CSP). Mais la question de l'exigibilité de leur renvoi n'aurait pas moins continué à se poser. Son acceptation aurait débouché sur une multiplication des admissions provisoires ou des clandestins». La nouvelle loi, en refusant la filière asile, à quelques exceptions près, à tout candidat se présentant à nos frontières sans papiers d'identité –une exigence que ne contenait pas le texte de l'UDC– pourrait déboucher elle aussi sur une multiplication des non-entrées en matières. Sans résoudre pour autant, elle non plus, la question de l'exigibilité et de la faisabilité du renvoi.


Cinq points repris ou «améliorés»

Deux autres points de l'initiative sont repris tels quels dans la nouvelle loi: la possibilité de sanctionner les compagnies aériennes manquant à leur devoir de contrôler les papiers de leurs passagers, et la désignation par les cantons des dispensateurs de soins médicaux et dentaires aux requérants.
Trois points, enfin, ont été repris dans la nouvelle loi tout en subissant de notables «améliorations». L'UDC demandait l'élaboration par le Conseil fédéral d'une liste des Etats tiers réputés sûrs. En citant comme un des critères de cette bonne réputation le respect de la Convention européenne des droits de l'homme. La même liste apparaît dans la nouvelle loi, mais sans aucune référence à ladite convention.
L'initiative prévoyait deuxièmement pour les requérants des prestations d'assistance uniformes pour l'ensemble de la Suisse, en dérogation aux normes générales, et en principe fournies en nature. La nouvelle loi reprend les mêmes principes, sans imposer toutefois aucune uniformité aux cantons, qui continueront à bénéficier de forfaits fédéraux. Avec une certaine latitude laissée à ceux qui voudront continuer à se montrer un peu plus généreux. Mais aussi un chèque un blanc à ceux qui, comme certains cantons alémaniques, réalisent des économies sur les forfaits qui leur sont versés. La nouvelle loi perpétuera ainsi l'inégalité de traitement dont sont déjà victimes les requérants selon le canton auquel ils ont été attribués.


«Aide d'urgence»

Last but not least: l'initiative introduisait déjà l'une des modifications les plus décriées de la nouvelle loi, à savoir la suppression de l'aide sociale aux requérants déboutés, ainsi bien sûr qu'à ceux frappés de non-entrée en matière pour lesquels cette coupe est déjà en vigueur. En lieu et place, la nouvelle loi prévoit une «aide d'urgence», en principe fournie en nature. L'UDC voulait également soumettre à ce minimum vital «les requérants accueillis provisoirement qui ont gravement violé leurs obligations de collaborer», une clause que ne reprend pas la nouvelle loi. Celle-ci stipule par contre, contrairement à l'UDC, que l'aide d'urgence sera allouée «sur demande».
Il faut rappeler aussi que l'UDC atténuait cette clause d'exclusion en parlant de requérants «dont le renvoi est possible, admissible et acceptable». Des termes qui ouvrent la porte à quantité d'interprétations, et sur lesquels la nouvelle loi a préféré rester totalement silencieuse.


Nombreuses innovations

Au-delà des six modifications de la loi rejetées du bout des lèvres en 2002, le Conseil fédéral et les Chambres ont introduit, dans leur «contre-projet», quantité d'innovations auxquelles l'UDC elle-même n'avait pas songé à l'époque. A commencer par les fameux articles, inscrits dans la Loi sur les étrangers mais concernant avant tout les requérants d'asile, permettant de prolonger les mesures de contrainte jusqu'à un maximum de deux ans de détention administrative en vue du renvoi des récalcitrants. Il faut rappeler aussi la non-entrée en matière pour les requérants qui ne peuvent présenter leurs papiers d'identité dans les 48 heures (lire ci-dessous); un durcissement assorti d'une réduction du délai de recours contre les décisions de non-entrée en matière, qui passe à cinq jours.
Au-delà des mesures les plus critiquées, la nouvelle loi fourmille de nouvelles dispositions, qui occupent une vingtaine de pages dans la brochure du Conseil fédéral, et qui sont craintes comme autant de chausse-trappes par les défenseurs du droit d'asile. L'UDC ne se contente pas de dicter le la de la politique fédérale: vu la qualité du projet venu remplacer son initiative, elle semble passée maîtresse dans l'art de transformer les défaites en victoires. I

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