mercredi 9 août 2006

Tant de destins différents

24 Heures nous retrace les parcours de quatre familles de requérants qui font partie des «523». La première sous le titre "Elle peut rester, il doit s’en aller: requérants jumeaux séparés"

PARTAGÉE Fatmire, qui n’a pas souhaité montrer son visage,
est déchirée entre la joie de pouvoir rester et la tristesse de voir son frère jumeau contraint de partir.
(THIERRY GROBET)

Début juillet, 79 cas du groupe dit des «523» ont été réglés. 63 ont été accep­tés, 16 rejetés, tandis que 146 person­nes attendent que Berne statue sur leur sort. Après avoir évoqué leur désarroi, notamment dans le calendrier de l’Avent fin 2005, 24 heures a rencontré quatre familles régularisées, entre joie, stress ou encore déchirement comme pour Fatmire Kuqi, acceptée alors que son frère doit quitter la Suisse.

Elle tient la lettre fébrile­ment dans sa main droite, ne pouvant s’empêcher de sourire à chaque fois qu’elle la regarde. Daté du jour de son 27e anniversaire, le document en­voyé par l’Office fédéral des mi­grations (ODM) confirme que Fat­mire Kuqi se verra délivrer pro­chainement un livret B. Cette nouvelle, la jeune Kosovare qui réside à Yverdon en rêvait depuis des mois, voire des années. «On avait même prévu de faire une fête si cela arrivait un jour, mais…»

Pressentiment
A peine le coeur de Fatmire a-t-il eu le temps de s’emplir de joie que l’inquiétude revenait au galop. Ce matin de juillet, sa lettre est seule dans la boîte. Son frère jumeau aurait pourtant dû en re­cevoir une, lui aussi. Le lende­main, c’est elle qui récupère le courrier destiné à Bujar avec un funeste pressentiment. «Jamais jusqu’à ce moment, je n’avais ima­giné que nos réponses seraient différentes.» Le verdict de l’ODM est pourtant bel et bien négatif pour son frère. Il fait partie des 16 personnes dont le renvoi est confirmé. Le jeune homme est alors convoqué au Service de la population (SPOP) pour étudier les modalités d’un départ rapide. «J’ai essayé de lui cacher la nou­velle le plus longtemps possible, mais il a trouvé la lettre», se rappelle-t-elle amèrement. Depuis ce jour, Fatmire est tiraillée entre ces sentiments antagonistes que sont la joie et la tristesse.

Jamais séparés
Pour elle, la séparation est ini­maginable. «Même durant la guerre on est restés ensemble!» Impossible pour Fatmire de ne pas culpabiliser: pourquoi a-t-elle le droit de rester auprès du reste de la famille (deux frères naturali­sés suisses et des parents bénéfi­ciant d’un livret F) et pas lui? Leurs dossiers sont pourtant très semblables, tous deux sont arrivés en Suisse en 1998. Outre leur sexe, la seule chose qui les différencie sur le fond, c’est la vie profession­nelle. Fatmire a rapidement trouvé du travail. Bujar, cumu­lant des difficultés d’équilibre personnel, une absence de forma­tion et un livret N, n’a jamais trouvé d’employeur. «Je sais que c’est uniquement grâce à mon patron que je peux rester et je le remercie pour tout ce qu’il a fait pour moi», lance la jeune fille, soutenue depuis des mois par le chef des ressources humaines d’Hilcona SA à Orbe, Yvon Jean­bourquin.
Arrivée au terme de son par­cours du combattant, elle tient aussi à remercier ses deux par­rains, le pasteur Xavier Paillard et le nouveau municipal d’Yverdon, Cédric Pillonel. Tous deux conti­nuent à suivre les jumeaux, pro­mettant à leurs parents de tout faire pour aider Bujar. «Je l’ai accompagné au SPOP. Le rendez­vous a été très dur. Ils n’ont pu donner aucun motif pour la déci­sion, n’en ayant pas été informés par Berne, et ont expliqué qu’il n’y avait pas de possibilité de re­cours. » Xavier Paillard ne peut pourtant pas s’empêcher d’espé­rer encore. «Les autorités doivent se rendre compte de la cruauté de la situation et du désarroi qu’elle provoque dans cette famille très unie.»

CAROLE PANTET

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