jeudi 27 avril 2006

L'interview de Claude Ruey dans l'Illustré

Texte: Marie-Christine Pasche Photos: Julie de Tribolet
Le libéral vaudois Claude Ruey est un des rares parlementaires de droite à s'engager contre le durcissement des lois sur l'asile et sur les étrangers, soumises au vote populaire le 24 septembre prochain. Au nom de ses convictions humanistes et chrétiennes.
Au nom de quelles valeurs personnelles luttez-vous contre le durcissement des lois sur l'asile et sur les étrangers?
Je fais de la politique, car je crois à des valeurs, la liberté, la responsabilité, le respect des personnes; des valeurs libérales, fondées sur les origines chrétiennes de ce pays, et cet attachement joue un rôle décisif dans mon engagement sur ce dossier. On a tellement calomnié, diffamé que, dans l'esprit des gens, requérant d'asile signifie abuseur. Or on trouve des criminels dans toutes les couches de la société, donc aussi parmi eux. Les requérants d'asile rien sont pas pour autant tous des criminels par définition.
Pour vous, c'est un ancien combat, puisque vous étiez conseiller d'Etat lorsque ('«exception vaudoise» a été créée?
Je me suis toujours battu pour rendre justice. Ce qui, pour moi, signifie accueillir les persécutés, tenir compte des valeurs humanitaires. Corollairement, il faut exer-
cer la justice, soit sévir, comme avec n'importe qui, si quelqu'un abuse de notre souveraineté ou viole le droit. Tout délinquant doit être puni, sans distinction. Je crois à l'autorité, ni autoritarisme qui écrase ni laxisme qui est indifférence. On doit savoir dire non sans écraser, et bien sûr savoir dire oui.
Comment expliquer que l'équation étranger = délinquant ait ainsi progressé dans les esprits?
Depuis vingt ans, un parti politique bâtit son marketing sur la crainte, assez humaine, de l'autre, il en use et en abuse. A force, on a fini par anesthésier tout le monde. Au Parlement fédéral, un certain nombre de collègues se sont laissés peu à peu aller à ce langage et à cette facilité.
Par souci de ne plus perdre de terrain électoral face à l'UDC?
Absolument, ce qui est à mon sens une grave erreur! Singer l'UDC n'est pas une bonne tactique: à la copie, on préférera toujours l'original. Je ne peux pas comprendre qu'on perde son âme en bafouant les fondements de l'Etat de droit pour jouer au Canada Dry de l'UDC!
Est-ce un devoir de résistance?
Oui, qui exige une sacrée force de conviction. Résister à une ambiance, une vague dominante dans la population est difficile. J'ai subi d'ailleurs des pressions terribles, au nom de la cohésion de la droite.
Comment expliquer cette «ambiance»?
Une partie du monde politique a eu tendance à alimenter les fantasmes d'insécurité de la population pour s'assurer des succès élec-toraux. Certains me disent que les gens en ont marre. Mais marre de quoi? De ce qu'on leur dit qui existe! Bien sûr le monde a changé, la gare de Cornavin n'est plus comme il y a vingt ans mais, que je sache, on ne s'y promène pas non plus en gilet pare-balles avec des gardes du corps!
Qu'est-ce qui vous choque le plus dans les changements de lois proposés?
En premier lieu, les mensonges sur l'asile. Les requérants seraient tous des réfugiés économiques. C'est faux. Le plus grand pourcentage vient de pays en guerre, classique ou civile. A ne pas confondre avec les sans-papiers. Or l'amalgame est fait, d'ailleurs exprès. On nous dit aussi qu'il est vain de fournir tous ces efforts pour 5% de gens reconnus en fin de procédure comme requérants d'asile. Or, en 2005, 53,9% des demandeurs ont été soit reconnus comme réfugiés, soit admis provisoirement.
Que pensez-vous de la disposition consistant à refouler les personnes qui ne présentent pas de documents de voyage?
Elle découle du principe que tous ceux qui se présentent à la frontière sans papiers seraient des tricheurs. Dans le passé, les mêmes autorités fédérales rejetaient certaines demandes, car justement la personne avait des papiers, ce qui «prouvait qu'elle n'était pas persécutée». Tout cela relève de la parfaite hypocrisie. Punissons ceux qui cachent ou jettent leurs passeports, mais ne mettons pas tout le monde en prison sous prétexte qu'il existe des voleurs dans la société.
Et celle qui consiste à supprimer l'aide sociale aux requérants déboutés?
On le voit sur le terrain avec les NEM (non-entrée en matière) vivant déjà sous ce régime. Ce sont des bénévoles, issus de milieux associatifs ou d'Eglise qui les aident à survivre. Comment feront-ils pour continuer lorsqu'on renverra à l'aide d'urgence des gens qui actuellement travaillent, vont à l'école, vivent dans un 1ogement décent? Car décréter un retour ne suffit pas à son exécution dans les jours qui suivent! Une bonne partie d'entre eux restera puisque leur pays ne les accepte pas. Dans ce cas, la Suisse les garde. Ils seront à la rue, créant une situation délicate pour la sécurité.
Comment avez-vous réagi lorsque Christoph Blocher s'est t permis de juger de décision du Tribunal fédéral?
Un ministre de la Justice qui abreuve la cour suprême de commentaires acerbes, c'est scandaleux! Le même ministre se permet d'ailleurs de mentir devant le Parlement concernant des étrangers... C'est malheureusement toujours le même procesus utilisé régulièrement par l'UDC alémanique.
C'est-à-dire?
Recourir au mensonge, à la calomnnie, à la diffamation pour alimenter les fantasmes. Une fois que c'est dit, et même si on rrectifie, il en reste toujours quelque chose.
Et la loi sur les étrangers?
Comment accepter un texte qui interdit le regroupement familial après l'âge de 12 ans! L'obtention d'un permis C sera plus difficile. Jusqu'ici, on y avait droit, sauf si on démontrait que la personne avait commis des infractions. Désormais, seul celui qui peut prouver en être digne y aura accès. Ces dispositions vont à l'encontre des intérêts delà Suisse. Si les citoyens ne veulent pas travailler jusqu'à 70 ans, ils doivent accepter qu'il y ait des jeunes et des étrangers qui vont contribuer à payer notre AVS.
N'est-il pas nécessaire de modifier la loi?
On est d'accord, notre législation est à la fois paranoïaque et schizophrène. Paranoïaque, car elle est imprégnée de la peur de l'étranger. Et schizophrène, car on accepte les emplois au noir, dans ragriculture, l'hôtellerie, la restauration ou les ménages. Ces travailleurs paient l'AVS, des impôts: ceux qu'on interdit sont en fait quand même admis. Franchement pas très sain! Cela signifie probablement que les besoins du pays en personnel sont réels dans ces branches et qu'on se bouche les yeux en refusant de trouver des solutions. Une nouvelle loi devrait en proposer! Et éviter aussi les situations de dumping salarial.
A mon avis, la réglementation devrait simplement prévoir que ceux qui ont un travail stable et convenablement rémunéré soient autorisés à séjourner s'ils riont pas de problèmes avec la loi.
Que pensez-vous de Christoph Blocher au Conseil fédéral?
J'ai voté pour lui, car nous ne pouvions pas ignorer les suffrages populaires pour l'UDC. Avec l'idée qu'il nous montre ce qu'il savait faire. Aujourd'hui je suis déçu, pas tellement par sa gestion, mais parce que le ministre ne respecte pas les institutions, contrairement à ce que le candidat avait promis devant le groupe parlementaire. Je pensais que c'était un patriote qui respectait nos institutions et le sens de ces dernières. En réalité, je crois que seul le pouvoir le guide. Je me sens floué.
Ruth Dreifuss se lance dans cette campagne en évoquant un «combat des consciences». Cette définition vous convient-elle?
Tout à fait. Si je n'étais pas réélu pour avoir adopté ces positions-là, j'en serais même assez fier. Il s'agit vraiment de conscience, de l'honneur de ce pays et des valeurs chrétiennes sursir lesquelles il est fondé. Cela
dépasse tous les aléas de la politique.

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