jeudi 27 avril 2006

Le chef de service du SPOP exprime ses regrets


Lire l'article de Philippe Maspoli (photo de Philippe Maeder)
Henri Rothen reconnaît l’inexistence d’«antécédents pénaux».
Un requérant débouté et renvoyé de force retire sa plainte pour calomnie.
La voie est ouverte pour une nouvelle tentative de régularisation.


Le 12 avril 2005, Anel Me­kic, 23 ans aujourd’hui, et son frère Abid, 25 ans, deux Monténégrins arrivés en Suisse en 1999, étaient renvoyés de force. Ils étaient les premiers à subir cette mesure parmi les fameux 523 que Berne refusait de régulariser à l’encontre de la volonté du canton de Vaud. Hier, ils se trouvaient au Tribunal de police de Lausanne, Anel comme plaignant, Abid comme témoin. Et pour quelques jours, ils ont pu retrouver leur famille restée à Vevey.
L’accusé, c’est Henri Rothen, le chef du Service cantonal de la population (SPOP). En mars 2005, en pleine «crise des 523», des députés dénonçaient le haut fonctionnaire. Ils lui repro­chaient d’avoir évoqué les «lourds antécédents judiciaires» des deux frères. Or, Anel a un casier judiciaire vierge, tout au plus a-t-il été interrogé par la police pour une affaire de vol dont il n’était pas responsable. Seul Abid a été condamné pour des infractions à la Loi sur la circulation routière.

«Propos évasifs»
La phrase précise prononcée par Henri Rothen — qui a béné­ficié d’un non-lieu du juge d’ins­truction et a été renvoyé au tri­bunal à la suite d’un recours — figure dans l’acte d’accusation: «Ce ne sont pas de simples in­fractions à la LCR, c’est plus lourd.» «J’ai fait un amalgame entre les deux cas. Je devais par­ler de manière évasive pour ne pas donner trop d’informations. Mais ça reste une négligence», reconnaît-il.
Le président Pierre-Henri Winzap a mis une forte pression dans le but d'amener les prota­gonistes à la conciliation. «Je ne vois pas d’intention de nuire ni de mobile. Mais le 11 février 2005, vous avez envoyé une let­tre affirmant qu’il n’y avait pas d’antécédents judiciaires. Cela contredit vos propos du 15 mars. Il n’y a peut-être pas de connota­tion pénale, mais vous avez com­mis une erreur. Dans un dossier aussi sensible, un chef de service doit être sûr de ce qu’il dit», lance-t-il au responsable du SPOP.
Il avertit aussi Anel Mekic: «Vous avez tort de penser que c’est par la faute de M. Rothen que vous avez dû quitter la Suisse.» Au moment où le chef du SPOP tenait les propos incri­minés, les deux frères étaient déjà en détention administra­tive. Majeurs et célibataires, ils ne pouvaient bénéficier du répit accordé aux femmes seules et aux familles. Les propos répercu­tés dans les médias ont toutefois amené certains défenseurs des requérants à baisser les bras.
Le président voulait une conci­liation et il l’a obtenue. Henri Rothen présente ses regrets, re­connaît qu’Anel n’a pas d’antécé­dents pénaux et verse 400 francs à Terre des Hommes. Il devra s’acquitter d’une partie des frais de justice, en payant 760 francs. En échange, Anel retire sa plainte pénale.
A la sortie de l’audience, Henri Rothen saluait la solution trou­vée: «Cette affaire a pris une tournure disproportionnée». Quant à Anel Mekic, il se déclare «content que son innocence soit reconnue».

Interview de Anel Mekic
Au Monténégro, il n’y a pas de travail

»La jeune Anita Mekic, 15 ans, n’arrête pas de sourire. Ses grands frères sont revenus. Et pour rien au monde, elle n’aurait manqué le procès. «A l’école, on me demandait si c’était vrai qu’ils étaient délinquants. Je ne répondais pas. Mais maintenant, les gens sauront qu’ils sont innocents.» Mardi soir à Vevey, toute la famille était là pour accueillir les leurs. Au sortir de l’audience, Anel Mekic respire.
Mais l’inquiétude demeure. Les visas des deux frères leur autorisent quelques jours en Suisse avant le vol de retour.
Leur vie au Monténégro?
«Difficile. On vit chez un ami, à une centaine de kilomètres de Podgorica, explique le cadet. Il n’y a pas d’usine, pas de garage, rien qui pourrait nous donner du travail. Et les allocations chômage, ça n’existe pas!» La famille restée en Suisse leur envoie de l’argent. Paradoxe: lorsqu’ils étaient à Vevey, c’est leurs salaires qui permettaient de faire bouillir la marmite familiale. «Là-bas, c’est triste. Les jeunes quittent les villages pour aller travailler en Europe.» L’espoir demeure pour les deux requérants. La Coordination Asile, appuyée par la gauche, va demander leur réintégration dans le groupe des «523», assortie d’une nouvelle demande de permis et d’un effet suspensif sur leur renvoi. Sur les 523 déboutés, 224 sont à ce jour en attente d’une régularisation.
Quarante-huit personnes ont quitté la Suisse, dont 4 sous mesures de contrainte.

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