Voici l'éditorial très poignant de Didier Estoppey dans Le COurrier
J'ai cru que j'allais vomir.» Françoise Kopf, coordinatrice de l'association IGA SOS Racisme à Soleure, peine à se remettre de la scène dont elle dit avoir eu connaissance mardi dernier. Alertée par des requérants d'asile frappés de non-matière (NEM), elle s'est rendue à l'Office de la sécurité sociale, où ces refusés de l'asile étaient allés chercher, comme tous les quinze jours, le modeste pécule censé leur permettre de survivre (21 francs par jour, dont 8 pour la nourriture et 13 pour le logement). «Une vingtaine de requérants ont été contraints par huit policiers de s'entasser, une heure durant, dans un local de W.-C. pour handicapés. Sans aucune raison, puisque les personnes que souhaitait interpeller la police l'avaient déjà été auparavant. Le seul but de cette opération était de montrer à ces gens qu'ils sont des moins que rien. Ils ont d'ailleurs été profondément humiliés. Et si certains n'avaient réussi à calmer le jeu, les choses auraient pu mal tourner.»
Mais peut-être Françoise Kopf a-t-elle fait un mauvais rêve. Pour la police soleuroise, il ne s'est en effet rien passé. «Ce que raconte MmeKopf n'est pas vrai, affirme ainsi laconiquement Hans von Rohr, numéro deux de la police cantonale. D'ailleurs, cette dame n'était pas là.» Les propos sont moins catégoriques à l'Office de la sécurité sociale. Son responsable confirme que des policiers sont venus interpeller cinq requérants. Mais n'a rien vu de ce qui se serait passé du côté des toilettes.
Les dénégations officielles font sourire Mme Kopf: «J'ai une vingtaine de témoignages signés. J'ai moi-même parlé à plusieurs policiers, dont le chef de l'opération. Qui m'a affirmé que les requérants n'avaient pas été enfermés, puisque la porte des W.-C. était restée ouverte... J'ai aussi vu la police emmener dans son fourgon, avant de le relâcher, un requérant qui avait eu l'audace de protester contre ces traitements inhumains. Dans ce canton dont un responsable de la police des étrangers m'a dit un jour que les requérants n'étaient pas des êtres humains mais des parasites, il ne faut malheureusement plus s'étonner de rien.»
Les contrevérités des uns ou des autres pourraient faire encore parler un peu d'elles. Alerté, Amnesty International a en effet décidé d'enquêter sur le cas et de demander une entrevue avec la police soleuroise. La Commission fédérale contre le racisme s'est elle aussi émue de l'affaire.
Quel que soit le sort que connaîtront finalement ces allégations, ce n'est pas la première fois que Soleure défraie la chronique à cause du traitement que réserve ce canton à ses requérants frappés de non-entrée en matière. Il avait refusé purement et simplement de leur verser le moindre centime, jusqu'à ce qu'un jugement du Tribunal fédéral, en mars dernier, ne l'y contraigne. Les modiques sommes qui leur sont versées n'en font pas moins l'objet d'un «racket» sous forme d'amendes pour séjour illégal qui pleuvent sur les requérants, ceux-ci se voyant ensuite confisquer leur pécule ou leur téléphone portable, dénonce IGA SOS Racisme. «Nous avons aussi déposé une cinquantaine de demandes individuelles pour que le canton, qui n'a rien prévu pour loger ces requérants, assume ses devoirs, souligne MmeKopf. On nous a promis une réponse, qui tarde. Peut-être bien qu'elle vient de tomber, sous forme de représailles, avec cette affaire des toilettes...»
La militante dénonce aussi une multiplication des séjours en prison pour les NEM, dont certains souhaiteraient d'ailleurs rentrer chez eux, sans pouvoir obtenir les papiers nécessaires. L'Office de la sécurité sociale confirme d'ailleurs la présence occasionnelle de policiers dans ses locaux, à l'heure où les requérants viennent chercher leur aide minimale d'urgence. Tout ce qui peut être entrepris pour décourager les «parasites» de s'accrocher en Suisse semble donc bel et bien avoir été tenté. A moins d'aller jusqu'à tirer la chasse.
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