L’expulsion, jeudi soir, d’un camp de Roms par des riverains laisse des questions sans réponses. Surtout, elle ne doit pas être réduite à l’indignation qu’elle suscite.
L’affaire suscite de très vives réactions ce vendredi. A Marseille, un groupe de riverains « excédés » par le camp de Roms installés à proximité de chez eux, auraient « pris les choses en main eux-mêmes » et expulsé manu militari les importuns, avant d’incendier le campement vide sous les yeux impassibles de la police.
Ratonnade, pogrom, milice... Les qualificatifs sont caractéristiques d’un emballement médiatique exemplaire, réduisant tout ce qu’il touche à la répétition d’atrocités passées, face à laquelle seule l’indignation est légitime. Pourtant, comme tout autre événement, cette histoire mérite d’être examinée pour ce qu’elle est, un ensemble complexe de faits. Certains ont été déformés et amplifiés.
Tout part d’une brève de La Provence, qui donne le ton. Elle est publiée jeudi soir à 21h54 :
« Inquiétant signe des temps. Ce soir, vers 19h30, une cinquantaine d’habitants à proximité de la cité des Créneaux ; dans les quartiers Nord de Marseille, se sont rassemblés pour procéder eux-mêmes à l’évacuation d’un camp de Roms qui s’étaient installés sur un terrain vague quatre jours plus tôt.
Après le départ de la quarantaine de personnes, les riverains ont aussi incendié tout ce qui restait du campement illicite. La police n’a pu que constater les faits, sans relever d’infraction. Ceux qui ont organisé cette expulsion reprochaient aux Roms plusieurs cambriolages qui s’étaient produits à proximité immédiate du campement. »
Appel à l’imaginaire
L’information est rapidement reprise dans une dépêche AFP vendredi matin. Ces faits sont très graves et le contexte les dramatise un peu plus :
- Ils entrent en résonance avec les affrontements violents qui ont eu lieu entre Roms et nationaux ailleurs en Europe. Chacun a en tête des images d’affrontements en Italie, en Grèce ou en Hongrie ces dernières années.
- Plusieurs tentatives d’incendies de camps de Roms, souvent nocturnes, sont à déplorer en France ces dernières années. Comme à Vaulx-en-Velin en mars.
- Les faits se déroulent à Marseille, ce qui autorise un parallèle rapide avec « la ratonnade oubliée » de 1973.
- L’incendie qui a suivi l’intimidation des Roms renforce le sentiment d’une expédition punitive. L’épisode convoque l’imaginaire des milices.
- La police semble avoir assisté à toute la scène sans rien faire et sans interpeller les auteurs de l’incendie.
Les communiqués des associations emploient des mots très forts : « punition collective », « expulsion violente préméditée », « exactions racistes ». Il est encore tôt pour comprendre ce qui s’est passé. Mais la situation semble à la fois plus complexe et plus banale que tout ce qui précède.
Ce qu’on sait
- Le terrain occupé
Les Roms se sont installés le 23 septembre dans le quartier des Créneaux. Cette cité HLM composée de quatre tours est en cours de démolition : trois sont déjà détruites, une dernière subsiste. Les derniers habitants refusent d’en partir. C’est dans l’espace vide, libéré par la destruction des immeubles, que se sont installés les Roms. A proximité immédiate des derniers habitants de la cité, et non loin des pavillons où ont été relogés les anciens locataires, partis contre leur gré. D’après un journaliste de La Marseillaise sur place, il faut bien garder en tête une situation de « revanche ». « Tous les habitants m’ont dit : nous on nous vire, et les Roms on ne les vire pas. »
- Les habitants avaient prévenu leur maire
La maire du XVe arrondissement de Marseille, Samia Ghali, a reçu les riverains jeudi matin. Ils avaient demandé son aide pour accélérer l’expulsion du camp. La maire dit avoir prévenu « la police du quartier » et « le bailleur ».
- La police était sur place
D’après Samia Ghali :
« C’est quand la situation menaçait de dégénérer parce que les riverains voulaient faire partir les Roms que la police est venue, sans doute appelée par les Roms eux-mêmes. C’est la police qui a fait partir les Roms car ils étaient en situation dangereuse. »
Dans un communiqué envoyé ce vendredi à 12h45, la préfecture confirme que la police est arrivée dès le début de l’altercation, appelée « par un riverain et un membre de la communauté rom ». Elle se serait « interposée pour éviter tout incident ». Les policiers ont bien assisté au départ des Roms :
« Les occupants du campement (40 adultes et 15 enfants, 8 caravanes et 13 voitures) ont indiqué spontanément vouloir quitter les lieux, ce qu’ils ont fait sans délai sous la protection policière, abandonnant sur place les logements de fortune, ainsi que leurs détritus et divers meubles et encombrants. »
Ce qu’on ne sait pas
Selon le communiqué de la préfecture, les faits se sont produits en deux temps. D’abord les Roms partent, puis l’incendie se déclenche, plus de deux heures après, c’est-à-dire vers 22 heures. Cela nuance l’image d’une foule en délire déterminée à tout brûler sur son passage. Mais il reste de nombreuses questions. D’abord, les policiers avaient-ils déjà quitté les lieux au moment de l’incendie ? Apparemment oui, puisque la préfecture précise :
« Un équipage dépêché sur place constatait qu’une surface d’environ 5 m² sur l’emprise du campement abandonné présente les traces d’un incendie et comporte une carcasse de réfrigérateur et divers encombrants calcinés. »
Pourquoi restait-il des affaires sur place ? Les Roms n’ont-ils pas eu le temps de les emporter, ou les ont-ils laissées là volontairement ? Avant de quitter les lieux, les policiers ont-ils demandé aux riverains de rentrer chez eux ? Leur ont-ils conseillé d’adopter une attitude particulière, de laisser les objets où ils étaient, de s’en débarrasser ? L’auteur de l’incendie est-il identifié ? La préfecture se refusant à des commentaires supplémentaires, ces questions restent pour l’instant en suspens.
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