Il aura fallu la menace d'une condamnation en justice pour que la Suisse obtempère. Mercredi, les autorités fédérales ont annoncé le gel partiel des renvois de requérants d'asile en Grèce.
Un Afghan transféré de force vers Athènes par la Belgique venait d'obtenir gain de cause auprès de la Cour européenne des droits de l'homme. Un arrêt qui introduit un grain de sable dans le système Dublin. Désormais, les Etats sont tenus d'examiner les demandes d'asile de migrants arrivés par la Grèce. Ils ne peuvent plus se reposer sur la règle selon laquelle c'est au premier pays d'arrivée de s'en charger. En Grèce, les requérants d'asile sont placés en détention, parfois dans des conditions inhumaines. Y déposer une demande d'asile relève du parcours d'obstacles. En décembre 2009 déjà, le Haut commissariat aux réfugiés réclamait la suspension des renvois vers ce pays. Mais la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf avait rétorqué qu'il n'y avait «aucun indice concret permettant de conclure que la Grèce ne respecte pas ses obligations de droit international». Seules les personnes considérées comme vulnérables ont échappé à l'expulsion. Cette attitude à la Ponce Pilate a permis aux autorités fédérales de jeter encore cinquante personnes dans l'enfer grec en 2010. Tardive, la décision suisse est aussi insuffisante. Les requérants qui ont eu accès à la procédure d'asile en Grèce et y disposaient d'un hébergement pourront toujours être renvoyés. Une dérobade inacceptable, sachant que moins de 0,1% des demandes d'asile y trouvent grâce. Mais la République hellénique n'est pas seule en cause. L'Italie pratique des refoulements en série vers la Libye, et laisse nombre de migrants – y compris avec le statut de réfugié – dans la rue. A Malte, les requérants sont emprisonnés durant la procédure d'asile. C'est donc la machine Dublin qu'il s'agit de mettre hors-service. Un système inique, puisqu'il permet aux Etats du Nord et de l'Ouest de l'Europe – souvent les plus prospères – de sous-traiter l'application du droit d'asile aux pays du Sud et de l'Est. Ces derniers se retrouvent dépassés par l'ampleur de la tâche. Et réagissent par des mesures brutales, comme l'édification d'un mur à la frontière turque par la Grèce et le refoulement des boat people vers la Libye par les garde-côtes italiens. Là encore, il s'agit d'une systématique: avec l'agence Frontex, l'Union européenne s'est dotée d'un dispositif de lutte anti-immigration déployé jusque sur le continent africain. C'est le droit d'asile lui-même que l'Europe met à la porte.
Editorial de Michaël Rodriguez dans le Courrier
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