vendredi 11 février 2011

«L'initiative antimendicité vise à stigmatiser les Roms»

Pour Opre Rroms, l'initiative du PLR sert avant tout à agiter les peurs à des fins électorales. Les initiants réfutent que leur texte soit inapplicable.

Opre Rrom, un groupe lausannois d'action et de solidarité avec les Roms, a réuni hier la presse en compagnie d'une dizaine de membres de la communauté pour dénoncer la stigmatisation dont sont victimes les mendiants roms. Récente cible de leur colère, l'initiative populaire communale intitulée «Stop à la mendicité par métier!» lancée le 3 février dernier par le PLR lausannois. «On a affaire à un coup électoral de la droite, qui tend à stigmatiser les Roms. C'est d'autant plus inquiétant que cette surenchère sécuritaire s'inscrit dans un contexte clairement xénophobe et une course de vitesse entre l'UDC et le PLR», explique Hadrien Buclin, candidat à la Municipalité pour Solidarités, qui a réclamé l'ouverture à Lausanne d'un centre d'accueil pour les migrants roms.

Des villages sans eau ni électricité
«Nous voulons changer le regard que les gens portent sur les Roms, explique Véra Tchérémissinoff, présidente du groupe Opre Rrom. Or les médias, qui parlent souvent des Roms depuis leur bureau, ne font que renforcer les préjugés et les peurs.» Pour elle, la mendicité par métier, telle que définie dans l'initiative du PLR, sous-entend clairement mendicité organisée, voire mafieuse, une allégation qu'elle réfute: «A ma connaissance, pratiquement tous les Roms qui mendient à Lausanne ne viennent d'aucune mafia et la police, qui a enquêté à ce sujet, n'a pas de preuves de l'existence de groupes criminels organisés.»
Les Roms de la région lausannoise viennent de villages roumains, bulgares et slovaques sans eau courante, ni électricité, ni chauffage, explique le photographe lausannois Yves Leresche, qui suit la communauté rom depuis de nombreuses années. Avec son aide, les Roms présents ont expliqué leur condition de vie difficile (lire ci-contre). «Depuis la chute du régime de Ceausescu, en 1989, précise le photographe, de nombreuses industries ont fermé et beaucoup de Roms ont perdu leur travail. Depuis, ils sont journaliers et louent leur force de travail pour 10 francs par jour. Une fois la saison finie, ils viennent ici pour survivre deux ou trois mois chez eux.»

«Démagogique et inapplicable»
Avocat et membre d'Opre Rroms, Jean-Michel Dolivo place l'initiative dans le cadre de la campagne électorale: «Ce texte est démagogique et inapplicable. On vise à flatter dans le sens du poil le racisme ambiant par rapport aux Roms. Le terme de mendicité par métier introduit une circonstance aggravante de l'infraction et donc de la peine encourue. L'initiative ne prétend pas interdire la mendicité, mais seulement la mendicité par métier. Or, on ne peut pas interdire la mendicité par métier, si la mendicité de base n'est pas interdite.»
Une interprétation que ne partage pas le juriste Mathieu Blanc, candidat PLR à la Municipalité et président du comité d'initiative: «Selon le principe du «qui peut le plus peut le moins» – et non 'doit le moins' –, nous estimons au contraire que si l'initiative récolte le nombre de voix nécessaires et se trouve approuvée en votation, un règlement de police peut tout à fait introduire des critères visant à définir cette forme de mendicité. Ainsi, si nous sanctionnons la forme la plus grave de la mendicité, nous ne sommes pas obligés de réprimer des choses qui sont moins graves.»
Au-delà des querelles d'interprétation juridique, le fait est que la situation des Roms devient toujours plus tendue. L'Union européenne, qui a décrété 2005-2015 la décennie de l'inclusion et mis à disposition des budgets considérables pour l'aide à leur intégration, n'arrive pour l'heure qu'à peu de résultats concrets. «J'espère que l'autre moitié de cette décennie sera plus fructueuse», conclut Véra Tchérémissinoff.

Carole Pirker dans le Courrier


«J'ai honte de mendier»

Arrivé à Lausanne il y a deux semaines avec son beau-fils, Petru Pintea, 44 ans, a quitté en car le village d'Iclod, à 55 km de la ville d'Alba, en Roumanie. Père de cinq enfants âgés de 8 à 22 ans, il est venu chercher du travail pour nourrir ses enfants et soigner sa femme restée au village: «Elle souffre d'asthme et de problème cardiaque. J'essaie d'avoir un peu d'argent pour qu'elle puisse voir un médecin», dit-il. Et la nuit? «Je dors la plupart du temps dans la rue et dans les parcs, et dans un abri, quand j'ai les sous.» Mais pour le travail, Petru a vite déchanté et, comme beaucoup d'autres, il a fini par s'y résoudre: «J'ai honte de mendier, souffle-t-il, mais je ne suis pas un voleur.» Comme Petru est sûr de gagner moins d'argent s'il mendie à visage découvert, il a trouvé une autre façon de tendre la main. Pour cela, il paie une patente 10 fr. par jour, explique-t-il, en montrant les récépissés verts de la police lausannoise: «Je me suis fabriqué une marionnette et je me cache sous le tissu. Je gagne entre 20 et 30 fr. par jour». Et si mendier devenait interdit? «Que puis-je y faire? C'est sûr que ma situation va empirer.»

Témoignage recueilli par Carole Pirker

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