vendredi 21 janvier 2011

Vers une « smart border » aux portes de l’Europe ?

Depuis le début de l’année, ont été révélées au grand public les intentions de la Grèce de construire un « mur » entre elle et la Turquie afin de contrôler l’immigration clandestine venue de bien au-delà de la Sublime Porte : d’Asie, du Moyen-Orient, voire d’Afrique. Malgré le scepticisme de l’Union Européenne, le gouvernement Papoutsis persiste.

west bank wall

Le West Bank Wall, entre Palestine et Israël

Il est intéressant de relever que cette frontière ne va mesurer que 12,5 km dans la région de Thrace. En d’autres termes, elle ne va que marginalement servir à freiner un flux d’émigrants clandestins qui aurait augmenté de 375% pour cette année. Il s’agit donc d’une frontière symbolique, une séparation imaginaire entre deux pays, disait-on à l’école.

Mais alors à quoi sert une frontière imaginaire au temps du terrorisme international et des migrations contrôlées ? A cela justement : à contrôler, et non pas à endiguer un phénomène de clandestinisation d’un certain type de main-d’œuvre. On ne bloque pas grand-chose avec ce type de frontière : on gère un flux d’informations dans un espace déterminé et restreint à travers des relais situés à l’intérieur des territoires symboliquement séparés. Le mur aurait dû mesurer plus de 150 km de long sur trois mètres de haut pour être « efficace ». Sans compter les Iles…

La Grèce s'inspire du grillage doté de caméras et détecteurs délimitant les enclaves espagnoles au Maroc

C’est ici qu’émerge la « smart border » : la frontière intelligente qui identifie les composantes de flux migratoires dans leurs mouvements grâce aux TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) et autres moyens biométriques de saisie des identités et de leur encodage. Un porte-parole de la police grecque, Thanassis Kokkalakis, souligne que la Grèce s'inspire en fait du grillage doté de caméras et détecteurs délimitant les enclaves espagnoles au Maroc. Mais où vont aller les informations ainsi recueillies ? Elles vont nourrir les fichiers de polices et de douanes en fonction des directives de contrôle des territoires et ce,  bien au-delà des frontières, jusqu’à la classification de nouvelles identités numérisées des individus. Comment sont analysées ces nouvelles identités ? Qui les analyse ?

En temps de lutte anti-terroriste et de crise sociale, il faut mobiliser les imaginaires: l’exceptionnalité transnationale héritée du Patriot Act en a besoin pour signifier son existence et légitimer ses dispositifs de contrôle. Se renforce ainsi une normativité de l’état d’exception en territoire européen. En avons-nous besoin ?

Les  technologies nécessaires pour réaliser la « smart border » gecquo-turque (puis européenne ?) constitueront également les pièces maîtresses d’un nouveau marché porteur. Cogent, Motorola, Biometric Group… ces entreprises, pour ne citer qu’elles, sont peut être déjà en lice, au moment même ou la Grèce doit faire face à un plan de restructuration drastique du FMI.

Il s’agit de se pourvoir de la sorte en instruments fiables de gestion des flux et de réorganisation des identités numérisées. Mais rien n’y fera : il y aura toujours des travailleurs clandestins qui passeront les frontières. Non sans que des espaces nouveaux de criminalité s’y développent. Tout comme y sont mobilisées des forces de sécurité, voire militaires, de plus en plus importantes. On observe une situation semblable à la frontière américano-mexicaine : une frontière intérieure s’y institue sur le mode de l’intervention policière, de la patrouille et du quadrillage territorial dans la profondeur. Les populations locales y seront rassurées. Les réseaux maffieux y imposent des systèmes de coopération de part et d’autre, jusqu’aux missions communes sous un unique commandement. D’autres frontières, plus classiques et anciennes, tomberont de la sorte. Celles de l’Etat-nation ?

La construction de la « smart border » européenne sera donc à suivre de près. On peut faire l’hypothèse que cela ne freinera pas l’existence que le clandestin occupe dans nos économies. La vidéo-surveillance ou la vidéoprotection, les mesures biométriques enregistreront des passages, une tentative après l’autre : un succès de franchissement, une arrestation suivie d’emprisonnement puis un retour forcé de l’autre côté, puis une clandestinisation criminalisée. Rien qu’un flux à rétroaction somme toute moderne à l’ère de la mondialisation et des réseaux. Un terrain d’innovation également dans la gestion des identités numérisées et criminalisées. L’Europe doute face au mur ? Nous aussi.

Gabriel Peries dans les Echos

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