vendredi 1 octobre 2010

L’Islam demande le coeur

Guide spirituel de la voie soufie alâwiyya, un des courants mystiques de l’islam, le cheikh Khaled Bentounes était l’invité, hier, de Guy Mettan, au Club suisse de la presse.

Le sheikh Khaled Bentounes était invité par le Club Suisse de la presse. LDD

Ouverture, dialogue, spiritualité: le Club suisse de la presse accueillait hier un de ces hommes dont la présence chaleureuse suffit à offrir une bouffée d’air frais à un débat sur l’islam gangrené par le communautarisme, les préjugés et l’incompréhension. Car Khaled Bentounes, Algérien d’origine et membre fondateur du Culte musulman de France, passe sa vie à prêcher la fraternité, «chemin vers Dieu», et à tenter de réunir les gens, même ceux qui ne peuvent plus se voir en peinture. Rencontre avec un sage, un vrai.
La communauté musulmane connaît actuellement de nombreuses difficultés. Sont-elles dues à nos préjugés ou à l’attitude des musulmans européens?
La responsabilité est partagée! Les musulmans doivent abandonner le communautarisme pour devenir des citoyens à part entière, et non à part, des pays dans lesquels ils vivent. Qu’ils pratiquent leur religion, mais avec sagesse, sans brusquer personne! D’un autre côté, les Européens doivent comprendre que la présence des musulmans est une réalité avec laquelle il faut avancer. Et que les musulmans ont énormément à leur apporter! Malgré les réticences des uns et des autres, l’humanité est en train de changer radicalement par le métissage. Le monde devient un grand village. Et nous devons reconnaître qu’au-delà de nos différences, certaines choses nous unissent, comme la présence de Dieu en chaque être humain.
Le voile intégral, entre autres, crée une immense polémique...
Il faut le savoir une bonne fois pour toutes: ce n’est pas la religion mais les coutumes qui poussent les femmes à le porter. Il n’y a aucune injonction à ce sujet dans le Coran. Ainsi, nous devons tous - les musulmans aussi - réviser notre compréhension de l’islam, et de ceux qui le pratiquent. Par exemple, on ne parle que des musulmans arabes ou maghrébins, mais on oublie que la majorité des fidèles sont d’origine asiatique! (ndlr: l’islam compte 1,8 milliards d’adeptes, dont 20% seulement dans les pays arabes.). Et puis, tout le monde a le rigorisme saoudien en tête, mais ce n’est qu’une manière de pratiquer l’islam parmi des centaines d’autres! La réalité du monde musulman est mille fois plus riche et complexe que ce qu’on imagine en Europe.
Dans cette réalité, il y a le soufisme. Pouvez-vous en donner une définition?
Le soufisme est le cœur spirituel de l’islam. Nous, soufis, essayons de le pratiquer en suivant non seulement la loi (chari’a) mais par la foi, en suivant la certitude de notre cœur, qui nous dit que Dieu est Un. Nous exprimons tout cela par la fraternité dans la relation à l’autre, à la Création et à Dieu, en essayant d’éveiller pleinement notre conscience à cette réalité.
Au cœur de tout cela, il y a la foi. Comment la définiriez-vous?
C’est la lumière de l’intériorité, qui nous ramène tous à un état originel non distinct de Dieu. La croyance, elle, est différente: elle nous vient de notre culture, de l’héritage donné par nos parents, c’est une notion sociale. Mais la foi vient dans la solitude de la rencontre à Dieu. C’est une quête intime. Et dans cette quête, l’islam demande le cœur.
Vous êtes devenu sheikh à 25 ans seulement et conseillez une communauté qui compte des milliers de personnes.
Comment gérez-vous ces responsabilités?
Je fais confiance à l’Esprit divin qui m’accompagne, je le sais, partout où je vais et quoi que je fasse.
Dans vos engagements, il y a celui du dialogue interreligieux, miné par l’éternel conflit israélo-palestinien. Comment gérez-vous cet écueil?
Je ne vais pas nier que soixante ans de conflit, ça pèse, d’autant plus que le problème empire. Mais j’essaye de mettre mon sentimentalisme et mes opinions personnelles de côté. Parce que dialoguer, c’est faire un chemin ensemble. Alors, quelles que soient les difficultés, les vraies intentions de notre cœur doivent être celles d’une paix partagée. Sinon, elle n’adviendra jamais.
Ce point de vue doit vous valoir des ennemis...
On ne peut pas plaire à tout le monde... surtout pas aux idéologues (sourire).
Comment voyez-vous l’avenir des musulmans en Europe?
Je suis pessimiste. En continuant à propager la peur, nous allons enfermer nos enfants dans une identité meurtrière, faite de haine et de préjugés dégradants. Voyez: les jeunes ne savent même plus, et c’est grave, que le monde actuel a été façonné entre autres par de brillants échanges entre chrétiens, juifs et musulmans en Espagne, il y a quelques siècles de cela. Oublier ce pan de l’histoire, c’est zapper ce qui fait notre humanité, notre identité communes.
Tout le monde surfe, et c’est une honte, sur la vague de la peur et de l’ignorance. Quant à moi, je ne cesserai jamais de demander: que faites-vous de la sagesse? Que faites-vous de la fraternité?

Aline Jacottet dans le Nouvelliste

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