Eduard Gnesa, ambassadeur extraordinaire pour les migrations, sort de son silence. Selon lui, l'heure n'est plus à l'accueil de contingents de réfugiés, mais à l'aide sur place. Un article de Christiane Imsand dans le Nouvelliste.
Ancien directeur de l'Office fédéral des migrations, Eduard Gnesa a quitté le Département fédéral de justice et police (DFJP) pour celui des affaires étrangères (DFAE). Depuis le 1er septembre 2009, il est ambassadeur extraordinaire pour la collaboration internationale en matière de migrations. Le poste est délicat, à la charnière de plusieurs départements, et le Haut-Valaisan a longtemps préféré rester dans l'ombre (cf notre édition du 9 avril). Hier, il a accepté pour la première fois de s'exprimer sur ses nouvelles fonctions. Interview.
Pour quelle raison le Conseil fédéral a-t-il créé votre poste?
Il voulait d'une part optimiser et intensifier sa présence sur la scène internationale, d'autre part renforcer la collaboration entre les trois départements concernés par la politique des migrations, à savoir les départements des Affaires étrangères, de Justice et Police, et de l'Economie. Jusqu'alors, c'était le groupe de travail interdépartemental pour les migrations qui assurait la coordination. Le gouvernement a décidé de lui donner un prolongement mobile en nommant un ambassadeur.
Vous êtes le premier à occuper ce poste. Qui fixe votre cahier des charges?
C'est le groupe de travail que je viens de mentionner. Il comprend notamment le directeur de l'Office fédéral des migrations, le directeur de l'aide au développement, et le chef de la division politique IV des affaires étrangères, chargée des droits de l'homme et des migrations. L'objectif est de défendre les intérêts de la Suisse dans le cadre de partenariats migratoires comme ceux que nous avons avec la Serbie, la Bosnie et le Kosovo, de promouvoir des programmes de protection dans des régions où il y a de nombreux réfugiés, d'améliorer la collaboration avec l'Union européenne et de représenter la Suisse dans les organisations internationales.
Le DFJP et le DFAE n'ont pas forcément la même approche de la politique des migrations. Le premier est axé sur une politique d'asile toujours plus restrictive, le second sur les droits de l'homme. Un problème?
Non. La Suisse n'a pas à avoir honte de sa politique des réfugiés. Près de 20% des requérants obtiennent ce statut, sans compter les admissions provisoires. Nous développons en parallèle la notion de partenariat migratoire qui a été inscrite dans la nouvelle loi sur les étrangers. Les échanges doivent profiter aux deux parties. C'est pourquoi par exemple nous ouvrons le dialogue aussi bien sur les accords de réadmission que sur les problèmes de visa, de formation, de développement ou de documents d'identité.
D'où viennent les migrants actuellement?
C'est lié aux demandes d'asile. Il y a une dizaine d'années, les demandes venaient essentiellement de personnes fuyant la guerre des Balkans. Depuis quelques années, nous assistons à une vague de migrants en provenance d'Afrique du Nord et d'Afrique sub-saharienne. La politique du Conseil fédéral est de les aider en soutenant les gouvernements qui accueillent des réfugiés. Il y a par exemple près de deux millions de Somaliens au Kenya. Nous avons un projet commun avec le Danemark dans la région. Au Maroc, nous finançons un projet de retour volontaire des candidats à l'émigration.
Et les réfugiés climatiques?
C'est une perspective à long terme. On ne va pas assister du jour au lendemain à l'arrivée d'une vague de migrants fuyant la sécheresse, mais la Suisse se prépare à ce nouveau défi.
Selon le directeur de l'Office fédéral des migrations Alard du Bois-Reymond, la plupart des Nigérians viendraient en Suisse pour faire des affaires illégales. Vous partagez cette analyse?
Ce qui est sûr, c'est que seule une immigration contrôlée permet de limiter le développement de la criminalité. Je soutiens l'idée d'une task force pour analyser la situation. Par ailleurs, nous devons pouvoir continuer à discuter avec le Gouvernement nigérian pour qu'il continue d'accepter le retour de ses propres ressortissants. Dans ce contexte, nous devons veiller à développer notre partenariat migratoire avec ce pays.
Pour dissuader les Nigérians de venir en Suisse?
Pas seulement. Mais, entre autres, pour les informer. Il faut qu'ils sachent ce qui les attend s'ils viennent en Suisse. Nous avons déjà fait une campagne de ce type au Cameroun.
Vous évoquez des programmes de protection. Qu'entendez-vous par là?
Je vous citerai l'exemple de la Syrie où je me suis rendu récemment.
Ce pays abrite plus d'un million de réfugiés irakiens alors qu'il a déjà accueilli des centaines de milliers de Palestiniens et que la sécheresse pousse les Kurdes syriens vers Damas. La Suisse a tout intérêt à lui apporter son aide.
Celle-ci prend différentes formes. Nous soutenons aussi bien des programmes pour la protection des réfugiés que la construction d'écoles destinées aux enfants irakiens et syriens. Il y a aussi des programmes de formation et un projet pour lutter contre la traite des femmes. Je suis persuadé que cette aide sur place est la voie du futur. Actuellement, le Conseil fédéral ne souhaite plus accueillir d'importants contingents de réfugiés.
La forteresse Europe a-t-elle définitivement fermé ses portes?
Les problèmes démographiques que connaissent tous les pays européens pourraient modifier la donne. En fonction des besoins, la Suisse pourrait accueillir de nouvelles catégories de personnel qualifié. Pensez aux infirmières qui commencent à faire défaut.
L'aide sur place permet à la Suisse d'avoir une bonne image. Mais n'est-ce pas une goutte d'eau dans la mer par rapport aux besoins?
Ce n'est pas seulement le montant qui compte.
Un de mes interlocuteurs m'a déclaré que la Suisse n'était pas l'un des plus grands donateurs mais que c'était l'un des plus fiables. Elle tient ses promesses et cela lui attire le respect.
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