Jean-Jacques Gauer, directeur du Lausanne-Palace, soutient la Municipalité sur l’ouverture de l’apprentissage aux enfants de sans-papiers. Un article signé Alain Walther dans 24 Heures.
Cet après-midi, la ville de Lausanne prendra le chemin du Château. La Municipalité viendra défendre devant une délégation du Conseil d’Etat son point de vue sur l’ouverture de l’apprentissage aux enfants de sans-papiers. Le soir, le débat continuera devant le Conseil communal. Dans une grande entreprise lausannoise, on est tout ouïe. «La Municipalité lausannoise a raison, il faut en finir avec cette mascarade. Ces enfants, ces jeunes ont été à l’école ici, vivent ici. Notre monde est le leur. Il faut tout faire pour les intégrer dans les entreprises, dans la vie.»
Ces propos, Jean-Jacques Gauer, directeur du Lausanne-Palace, les tient haut et fort, avec à ses côtés Rose Martinez, directrice des ressources humaines, et Jacques Staempfli, directeur adjoint. Le Lausanne-Palace compte en ce moment quelque 320 employés. Les membres de la direction du Lausanne-Palace ne redoutent pas de parler ouvertement de cette problématique, d’autant qu’il y a six ans elle a payé le prix fort pour avoir employé des sans-papiers.
Un héritage difficile
«Nous avions hérité en 1996, rappelle le directeur, d’une pratique qui à l’époque était courante, connue et tolérée par les autorités.» Trois autres grands établissements d’ailleurs avaient été pincés pour les mêmes raisons par les autorités cantonales. Page tournée avec la «conscience tranquille» pour le trio. Il n’y a plus de sans-papiers au Lausanne-Palace. Reste le problème qui embarrasse la société helvétique: le droit à l’apprentissage pour des enfants scolarisés. Devançant le pavé dans la mare de la Municipalité de la capitale vaudoise, le Lausanne-Palace est déjà passé des paroles aux actes en soutenant un jeune sans-papiers. Il a pu aller au bout d’une formation professionnelle équivalente à un apprentissage CFC. «Notre employé a même terminé, précise Jacques Staempfli, avec les félicitations du jury.»
D’abord employé au «gris» (charges sociales et impôts payés), le jeune Equatorien, né en 1981, a travaillé dans les cuisines de 2001 à 2009 – année où il fut expulsé après avoir vu sa demande de permis de séjour refusée par Berne – malgré le soutien favorable du canton de Vaud.
«C’était la moindre des choses que notre entreprise défende un employé comme lui», souligne le directeur de l’établissement, qui regrette que cette «perle» ne soit plus aux fourneaux. La direction ne s’est pas préoccupée de savoir si d’autres patrons vaudois faisaient le même choix éthique: «L’application de cette loi avec une telle fermeté, c’est de l’aveuglement inhumain, cela suffit pour réagir.» En passant, Jean-Jacques Gauer ne se fait pas d’illusions sur l’efficacité des galas de charité censés lutter contre la misère à l’étranger. «Avec les sans-papiers, le problème est devant notre porte. Voilà la priorité.»
«Ces gens sont utiles»
Quant à l’avenir, le Lausanne-Palace croit en la régularisation des sans-papiers qui payent comme leurs patrons impôts et charges sociales. «Il faut cesser de nous mentir à nous-mêmes. Ces gens-là sont là, sont utiles et leur régularisation n’ouvrira pas les vannes de l’immigration sauvage.»
Le taureau par les cornes
Découvrant le soutien du Lausanne-Palace, Oscar Tosato, municipal (enfance, jeunesse et éducation), applaudit des deux mains. «Nombre de restaurants et petites entreprises lausannoises nous ont déjà apporté leur soutien. Elles nous remercient d’avoir pris le taureau par les cornes en mettant le doigt sur les vrais problèmes.» Bémol en forme de regret, le municipal constate que le soutien vient du terrain – des membres des associations patronales – mais pas des secrétariats patronaux, qui sont d’un avis opposé.
Formé, indispensable mais expulsé
Il a tout pour plaire à un patron. Motivé, «une vraie éponge: Mauricio regarde, écoute et, tout de suite, comprend tout», disent ses employeurs. A 29 ans, Mauricio Catota a déjà une longue carrière derrière lui. Sous contrat (impôts et charges sociales payés) depuis 2001, le jeune homme a grimpé tous les échelons. En 2009, le voilà promu numéro deux de la brigade de la Brasserie du palace. Il dirige 12 personnes et doit avoir l’œil pendant le coup de feu. Le cuisinier a vu ses efforts couronnés par les félicitations du jury, en 2008, après avoir suivi des cours de formation professionnelle. Mais, l’année dernière, l’employé modèle a été expulsé. Avec son épouse, Adriana, et le petit Maurice, né en juillet 2008 au CHUV, il a dû quitter la Suisse.
Mauricio Catota n’a pas trouvé de travail dans son pays. Il suit actuellement un cours de perfectionnement professionnel à Buenos Aires, en Argentine. Ensuite, il déposera une demande de visa pour revenir en Suisse. A Lausanne, ses parents et ses deux frères l’attendent. Car Mauricio est le seul des Catota à ne pas avoir obtenu un permis. «Il y a cinq ans, précise Rose Martinez, directrice des ressources humaines du Lausanne-Palace, nous avons déposé une demande de permis.» La demande a été soutenue par le canton de Vaud, mais repoussée par Berne. Le Lausanne-Palace a pris un avocat pour défendre son employé.
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