Migrations et démographie
Italie - Les immigrés, dernier rempart contre la mafia
Publié le 11 janvier 2010 | La StampaEn savoir plus
La révolte des saisonniers africains, en Calabre (Sud), lève une fois encore le voile sur leurs conditions de vie. Malgré leur situation déplorable, ils sont les seuls à oser s'insurger contre les mafias qui sévissent en Italie, remarque l'éditorialiste Barbara Spinelli.
L’avenir dans lequel nous sommes d’ores et déjà plongés commence dans la Plaine de Gioia Tauro : à Rosarno, dans la province de Reggio de Calabre où une authentique guérilla urbaine a eu lieu entre le 7 et le 10 janvier. C’est ici que se concentrent les principaux problèmes de notre civilisation : des populations entières qui fuient la pauvreté et la guerre ; les craintes qui polluent la vie des immigrés et des habitants ; les chasses à l'homme contre ceux qui sont "différents" et une mafia mondialisée. A ceci s’ajoute l’impossibilité de stopper des flux migratoires, car depuis longtemps on ne trouve plus d’Italiens ni de citoyens des pays riches disposés à faire, au même salaire, le travail de ces Africains. Et enfin, l’hypocrisie de ceux qui croient que la réponse réside dans une identité monoculturelle qu’il s’agirait de retrouver. A Rosarno, les noirs se battent contre les rondes privées organisées par les habitants, infiltrées par la ’Ndrangheta [la mafia calabraise] et armées de fusils. Pour le ministère de l'Intérieur, les révoltes sont associées non pas à la mafia, mais à l’immigration clandestine qu’il veut éradiquer, résolvant ainsi tous les maux. C’est un leurre.
Depuis des années, l'Italie a une sombre réputation et instille la peur chez ses immigrés. Le comble de l’impudeur est atteint lorsque nos ministres citent les révoltes des immigrés en Espagne ou en France, comme si les erreurs des autres pouvaient ennoblir les nôtres. Comme s’il n’existait pas, en Italie, ce mal supplémentaire qu’est la mafia. Les révoltes de ces jours derniers sont en fait la conséquence et le révélateur de l’échec de l’État. Les révoltes d’aujourd’hui ont en effet une longue histoire. Les immigrés qui, à Rosarno, ont réagi avec une rage destructrice sont les mêmes qui, en décembre 2008, s’étaient rebellés contre la ’Ndrangheta. Quatre d'entre eux avaient été blessés et les Africains avaient fait alors quelque chose que depuis des années les Italiens ne font plus : ils étaient descendus dans les rues pour demander à l’Etat plus de justice, plus de légalité. Ils avaient courageusement contribué aux enquêtes des magistrats, brisant l’omertà et prenant des risques. Alors qu’ils n’avaient pas de permis de séjour, ils avaient dénoncé leurs agresseurs à visage découvert.
Les raisons de la colère
Il est donc vrai, comme l’a écrit aussi l'auteur de Gomorra, Roberto Saviano, que les Africains sauveront Rosarno et peut-être l’Italie. Il y a un peu plus d'un an, les Africains de Castel Volturno s’étaient révoltés, après qu'un groupe de membres de la Camorra, la mafia napolitaine, avaient tué six d'entre eux de sang froid. Ce qui s’est passé ensuite ne fut qu'un désastre prévisible, et pour s’en rendre compte, il suffit de voir les conditions de vie de ces Africains, dénoncées par les organisations antimafia. La vidéo réalisée par Médecins sans Frontières en 2008, parle de crise humanitaire dans la plaine de Gioia Tauro. Difficile de décrire autrement ces Africains qui vivent dans des bâtiments industriels abandonnés, entourés de feux et surtout de montagnes d’ordures, dans des abris de carton ou des tentes sans sanitaires. Des paysages qui rappellent Gaza, les bidonvilles du Pakistan. Il est faux de prétendre que cette obscénité est le résultat d’une tolérance excessive envers les immigrés clandestins. C’est nous qui avons appelé ces Africains pour qu’ils viennent ramasser les oranges, sachant que personne ne le ferait à ce prix (25 euros pour une journée de 16 à 18 heures ; dont 5 euros vont dans la poche des contremaîtres mafieux et des chauffeurs de bus).
Après avoir toléré tout cela, et déversé dans la région des millions d’euros qui sont tombés dans les mains des mafieux ou des politiques véreux, la stupeur n’est plus de mise. Le tumulte de ces derniers jours n’a rien de surprenant : si ces Africains ne sont pas considérés comme des hommes, il est impossible que, comme dans les Raisins de la colère de John Steinbeck, n’éclate pas, tôt ou tard, la révolte. On dit que, à force de renoncer à nos racines et de vivre entourés de gens qui ne sont pas comme nous et nous condamnent au métissage, nous sommes en train de perdre notre identité. C'est un mensonge aussi. En réalité, nous avons déjà changé : non pas parce que le métissage est d’ores et déjà une réalité, mais parce que notre identité n’est plus celle - curieuse, accueillante, poreuse - qui fut la nôtre lorsque nous émigrions en masse et étions confrontés à la violence. L’identité que nous avons perdue, nous ne la retrouverons que si nous ne la trahissons pas, en nous inventant une fausse identité. Seulement si nous découvrons que le problème que nous avons à résoudre n’est pas celui de l’identité italienne, mais de l’identité humaine.
Barbara Spinelli
Nouveaux immigrés
Un Africain part, un Roumain le remplace
"Celui qui veut voir où et comment se met en place la prochaine bombe sociale qui - d'un moment à l'autre - éclatera à Gioia Tauro n'a qu'à aller faire un tour là-bas", écrit La Stampa. Avant même que les saisonniers africains n'aient quitté la région, une autre communauté de travailleurs immigrés saisonniers s'y est déjà enracinée : celle des Roumains et des Bulgares, "qui n'ont pas besoin de permis de séjour, pour lesquels les employeurs italiens n'encourent qu'une amende pour travail au noir et ne risquent pas d'être dénoncés pour immigration clandestine." "Ils s'insèrent mieux et ont déjà commencé à les remplacer", confie au journal un exploitant agricole de la région. Malgré la guerre déclenchée par la 'Ndrangheta, les immigrés et leur salaires ridicules sont indispensables à la fragile économie des oranges, dont les profits diminuent chaque année. Au point que beaucoup d'agriculteurs "préfèrent même ne pas organiser la cueillette, se contentant de toucher les subventions de l'Union européenne (de 800 à 1 200 euros par hectare) et d'économiser le salaire des immigrés africains".
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