Lausanne abandonne une partie de ses SDF sur le pas de porte
Paru le Samedi 16 Janvier 2010 - LE COURRIER - MICHAËL RODRIGUEZ
HÉBERGEMENT - Débordées, les structures d'accueil doivent refuser régulièrement des immigrés sans abri. La ville ne veut pas en faire plus.
A Lausanne, tous les SDF ne sont pas logés à la même enseigne. Roms et immigrés d'Afrique de l'Ouest ou du Maghreb trouvent régulièrement porte close à l'entrée des trois structures d'accueil de la ville. Débordées, ces dernières donnent la priorité aux sans-abri de la région lausannoise. Les autres sont acceptés au compte-gouttes. Et cela ne risque pas de changer: la ville refuse d'étoffer son dispositif, qui compte actuellement 80 lits.
La crainte de l'appel d'air
«Nous n'allons pas augmenter la capacité d'accueil, parce qu'elle répond aux besoins des gens de la région, confirme Jean-Christophe Bourquin, municipal en charge de la Sécurité sociale. Nous n'avons pas à nous occuper des gens de tout le canton.»
Pour l'élu socialiste, l'ouverture d'un nouveau lieu provoquerait un appel d'air. «Si je crée 50 places supplémentaires, elles seront pleines. Lorsque l'on propose une offre, la demande suit immédiatement.» Un phénomène qui serait particulièrement problématique dans le cas des sans-papiers. «S'agissant de personnes qui n'ont pas de situation légale, c'est délicat de dire que tout le monde peut venir ici», juge Jean-Christophe Bourquin.
Pourtant, la possibilité d'avoir un toit n'est-elle pas une question de dignité humaine plutôt que d'origine et de statut? «A ma connaissance, personne ne dort dans la rue à Lausanne, rétorque le magistrat socialiste. En tout cas, la police n'en voit pas.»
Ce que font les sans-abri recalés, Jean-Christophe Bourquin ne le sait pas. «Je constate qu'ils se débrouillent. Ce n'est pas mon rôle de me renseigner sur ce qui advient d'un Rom qui a choisi de venir à Lausanne, tant que cela ne provoque pas de catastrophe humanitaire.» Le municipal ne craint pas non plus un drame, et les critiques que ne manqueraient pas d'essuyer les autorités. «Même avec cent places de plus, si quelqu'un meurt, on me le reprocherait!»
Un hôtel zéro étoile?
Selon Michel Cornut, chef du Service social de Lausanne, certains Roms passent la nuit dans leur voiture. «Ce sont souvent les mêmes qui reviennent chaque année, ils sont relativement bien organisés et je peux imaginer qu'ils ont une solution alternative.» Pour Michel Cornut, il serait peut-être judicieux d'ouvrir un «hôtel zéro étoile, très bon marché, où les voyageurs pourraient réserver leur place puisque leurs séjours sont planifiés».
Le chef du Service social reconnaît que la situation n'est pas facile à gérer pour les veilleurs des structures d'accueil. «Il y a quelques mois, j'ai adressé une note aux autorités pour les informer de ce problème», précise-t-il.
«A l'entrée, au moment de sélectionner les personnes, ce n'est pas facile, surtout s'il fait froid, s'il pleut ou s'il neige», relate Eliane Blanc, adjointe de direction à l'Armée du salut, qui gère le Foyer de la Marmotte. «Cela nous arrive d'accepter des personnes surnuméraires, pour qu'elles ne finissent pas dans la rue.»
A Genève, outre les lieux d'accueil privés, un abri PC d'une centaine de places est ouvert chaque hiver par la ville. Cette année, un deuxième lieu a été créé pour héberger des enfants Roms avec leurs mères. Ces deux structures sont entièrement gratuites, et ne refusent personne dans les périodes de grand froid. Commentaire de Jean-Christophe Bourquin: «Les gens qui ne trouvent pas de place à Lausanne n'ont qu'à aller à Genève!»
Dans les structures d'accueil lausannoises, les sans-abri doivent s'acquitter d'une contribution de cinq francs. «Mais dans les situations d'extrême urgence, on ne va pas laisser quelqu'un dehors parce qu'il ne peut pas payer», précise Michel Cornut.
Le canton pas au courant
En tant que cofinanceur des lieux d'hébergement, que dit le canton de la situation des sans-abri à Lausanne? «En cas de surcharge ponctuelle, il revient aux communes de trouver des solutions de secours, par exemple en mettant à disposition un abri PC, affirme le ministre de l'Action sociale, Pierre-Yves Maillard. Si le problème est chronique, le canton peut intervenir en soutenant financièrement une structure permanente.»
Mais après l'ouverture récente de lieux d'accueil à Yverdon et Vevey, le canton ne prévoit rien de tel à Lausanne. Et ce pour une raison simple: selon Pierre-Yves Maillard, l'Etat n'a pas connaissance d'une situation de pénurie dans les structures d'accueil. En revanche, les autorités vaudoises cherchent des solutions d'hébergement pour d'autres types de populations, comme les personnes touchant l'aide sociale et qui ont été expulsées de leur appartement. I
Des sans-abri de seconde zone
On connaissait l'imagination débordante des autorités suisses pour restreindre l'accès des requérants d'asile déboutés à l'aide sociale. Et pourtant, même ces derniers – du moins en théorie – ont droit à un hébergement d'urgence.
A Lausanne, ville gouvernée par une écrasante majorité de gauche, le sort des sans-abri dépend de leur origine. Comme si, face à un besoin aussi élémentaire que celui d'avoir un toit et d'être à l'abri du froid, il existait plusieurs degrés d'êtres humains. Le tarif indigène pour les Lausannois, le tarif étranger pour tous les autres. On se demande d'ailleurs comment cette distinction peut être appliquée, dès lors qu'à Lausanne les sans-abri n'ont – heureusement – pas à fournir de pièce d'identité à l'entrée. Mais peut-être ont-ils emporté leur acte d'origine?
Plutôt que d'admettre que la capacité des structures d'accueil lausannoises est insuffisante, le municipal socialiste en charge du dossier, Jean-Christophe Bourquin, emprunte à la droite dure la thèse nauséabonde de «l'appel d'air». Comme si les abris PC de la région lausannoise risquaient de devenir une destination touristique de premier plan.
A Genève, Manuel Tornare – lui aussi socialiste – vient à l'inverse d'ouvrir un nouveau lieu d'accueil, s'attirant les foudres de la droite qui craint un... appel d'air. Peut-être les deux «camarades» auraient-ils deux ou trois choses à se dire. Au risque que cela crée quelques courants d'air.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire