OPINION • La stupeur n’est plus de mise
14.01.2010 | Barbara Spinelli | La StampaL’avenir dans lequel nous sommes d’ores et déjà plongés commence dans la plaine de Gioia Tauro, à Rosarno, dans la province de Reggio di Calabria, où une authentique guérilla urbaine a eu lieu entre le 7 et le 10 janvier. C’est là que se concentrent les principaux problèmes de notre civilisation : des populations entières qui fuient la pauvreté et la guerre, les chasses à l’homme contre ceux qui sont “différents” et une mafia mondialisée. Pour le ministère de l’Intérieur, les révoltes sont associées non pas à la Mafia, mais à l’immigration clandestine qu’il veut éradiquer, résolvant ainsi tous les maux. C’est un leurre. Les révoltes de ces derniers jours sont révélatrices de l’échec de l’Etat. Les immigrés qui, à Rosarno, ont réagi avec une rage destructrice sont les mêmes qui, en décembre 2008, s’étaient rebellés contre la ’Ndrangheta [la mafia calabraise]. Quatre d’entre eux avaient été blessés, et les Africains avaient alors fait quelque chose que les Italiens ne font plus depuis des années : ils étaient descendus dans les rues pour demander à l’Etat plus de justice. Ils avaient courageusement contribué aux enquêtes des magistrats, brisant l’omertà et prenant des risques. Alors qu’ils n’avaient pas de permis de séjour, ils avaient dénoncé leurs agresseurs à visage découvert. Il est donc vrai, comme l’a écrit également l’auteur de Gomorra, Roberto Saviano [dans La Repubblica du 9 janvier], que les Africains sauveront Rosarno et peut-être l’Italie. Il y a un peu plus d’un an, les Africains de Castel Volturno s’étaient révoltés, après qu’un groupe de membres de la Camorra, la mafia napolitaine, avait tué six d’entre eux de sang-froid. Nous avons toléré tout cela et déversé dans la région des millions d’euros qui sont tombés dans les poches des mafieux ou des politiques véreux. Mais, désormais, la stupeur n’est plus de mise. Le tumulte de ces derniers jours n’a rien de surprenant : si ces Africains ne sont pas considérés comme des hommes, il est impossible que, comme dans Les Raisins de la colère de John Steinbeck, n’éclate pas tôt ou tard la révolte.
ITALIE • Immigrés : quelques raisons de se révolter
L’explosion de colère des travailleurs clandestins à Rosarno, en Calabre, a mis en lumière leurs conditions de vie inhumaines. Mais, note La Stampa, du nord au sud du pays, le sort des saisonniers diffère grandement.
14.01.2010 | Jenner Meletti | La Repubblica
Le soir, Cheikle le Sénégalais et Jaroslaw le Polonais s’écroulent, morts de fatigue. Cheikle a ramassé les oranges dans la plaine de Gioia Tauro [en Calabre] ; Jaroslaw a cueilli les pommes dans le Val di Non [dans le Trentin, dans le nord du pays]. Leur seul point commun : les gestes et la fatigue. Cheikle travaille pour 1 euro de l’heure. Huit à dix euros par jour, c’est tout ce que le contremaître lui laisse dans la main. Quand la nuit interrompt la récolte, il doit revenir à pied vers un entrepôt à l’abandon où, entre des cloisons de carton, il retrouve un matelas et une marmite de riz à partager avec d’autres malheureux. Jaroslaw gagne 7 euros net de l’heure, soit 56 euros par jour ; au déjeuner comme au dîner, il s’assied à la même table que les patrons qui produisent les pommes Melinda. Il dort dans une chambre avec des toilettes et un réchaud pour le premier café de la journée.Elle n’est pas partout la même, cette Italie qui “offre” du travail à ceux qui viennent de loin. Heureusement, ce n’est pas partout l’enfer. “C’est ici, chez nous, qu’a lieu l’exploitation de la pire espèce”, reconnaît Pietro Molinaro, président de Coldiretti Calabria [syndicat des exploitants agricoles de Calabre]. Les ‘caporaux’ touchent, pour chaque travailleur étranger amené dans les champs, de 20 à 30 euros par jour. L’ouvrier agricole, lui, perçoit tout au plus 10 euros. Rosarno n’est que la partie émergée de l’iceberg. L’exploitation des immigrés met aussi en péril les nombreuses entreprises honnêtes, qui subissent une concurrence déloyale. En Calabre, il n’y a pas seulement les ‘maisons en carton’ des travailleurs étrangers. Il y a aussi l’‘huile en carton’ et les ‘oranges en carton’, c’est-à-dire des entreprises qui n’existent que sur le papier et qui arrivent à se faire attribuer des subventions par l’Union européenne et des primes avec de fausses factures et de fausses inscriptions au registre du commerce. Au port de Gioia Tauro arrivent des citernes de jus d’oranges du Brésil et des cargos d’oranges d’Espagne que l’on fait ensuite passer pour des produits italiens. Même sans la concurrence déloyale, le marché est déjà difficile. Les oranges de table sont payées 27 centimes le kilo et sont vendues 1,55, soit une marge de 474 %. Pour les oranges à jus, on offre au producteur 6 centimes par kilo.” Dans tout le pays, on trouve des “enclaves” de nouveaux esclaves. Dans le Trentin, à la saison des pommes, les Africains arrivent du sud de la péninsule, où ils ont ramassé les tomates. Dans la région de Mantoue, on fait la queue pour se faire embaucher dans les champs de fraises et de melons… “Ici, dans le Val di Non, l’an passé”, se souvient Danilo Merz, directeur de Coldiretti, dans le Trentin, “des volontaires ont monté de grandes tentes pour accueillir les ramasseurs étrangers. Ils ont besoin de nous et nous, nous avons besoin d’eux. Ça n’a pas toujours été facile. Quand la loi Bossi-Fini [qui conditionne la présence sur le sol italien au permis de travail] a été promulguée, la police est venue relever les empreintes des travailleurs étrangers. Les étrangers – ils sont entre 6 000 et 7 000 – ont des contrats qui leur assurent un salaire de 7 euros de l’heure pour la récolte des pommes Melinda, ainsi que des repas et des logements : 3 à 4 euros pour un lit, 5 pour un repas. En hiver, des gens du Trentin vont en Roumanie ou en Pologne chercher les ramasseurs, qui, au fil du temps, se sont ‘fidélisés’. Pour nous aussi, le problème, c’est le marché. On vend nos pommes Melinda 50 centimes le kilo. Voyez vous-même les prix chez votre marchand.”
Il y a des travaux que les Italiens ne savent plus faire. “Dans les élevages”, dit Mauro Donda, qui représente les cultivateurs de la région de Brescia, “il y a 2 000 employés étrangers. Presque 1 000 étrangers d’origine indienne travaillent dans les étables avec les bovins, pour des salaires de 1 200 à 1 600 euros par mois, pour six heures et demie de travail quotidien. Six jours par semaine. Mais il faut se lever avant 4 heures et retourner à l’étable l’après-midi.” Rauscedo, dans le Frioul, est le seul endroit du nord de l’Italie où l’on trouve en ce mois de janvier des ouvriers agricoles étrangers, 700 hommes et femmes, qui travaillent dans une grande coopérative qui fait pousser des provins, les nouveaux pieds de vigne. Certains arrivent de Biélorussie, pour sélectionner les 60 millions de marcottes [partie d’une plante qu’on sépare du pied quand elle a pris racine] qui seront envoyées dans le monde entier. Un ouvrier de base gagne 63 euros net par jour, soit le salaire d’une semaine pour Cheikle le Sénégalais, de Gioia Tauro. Et encore, si le caporal tient parole.
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