samedi 10 octobre 2009

MINARETS: L'HEURE DE VÉRITÉ POUR L'ISLAM EN SUISSE

RACHAD ARMANIOS

ReligionsSelon le premier sondage sur l'interdiction des minarets, en votation le 29 novembre, l'initiative serait refusée. Mais les réponses laissent entrevoir un résultat serré. Selon le sondage commandé par le Tages Anzeiger, 51,3% des mille citoyens interrogés dans toute la Suisse sont contre; 34,9% sont pour. Et 13,8% sont indécis. La campagne s'annonce décisive. Car les indécis pourraient pencher vers le oui. Stéphane Lathion, spécialiste de l'islam en Suisse, analyse les enjeux de cette votation, sans faire mystère de son parti pris contre l'initiative lancée par des membres de l'UDC et de l'UDF (Union démocratique fédérale). Président du Groupe de recherche sur l'islam en Suisse, il a co-dirigé Les minarets de la discorde, un livre synthétique qui vise à faire le point sur le débat autour de l'islam en Suisse et en Europe à l'occasion de la votation.1

Le minaret est-il une cible prétexte?

Stéphane Lathion: Une majorité parmi les initiants dit: on est conscients que le minaret est un prétexte mais nous voulons un débat sur l'islam car sa présence pose problème. Cette posture est reflétée par l'affiche de l'UDC puisqu'elle est illustrée par une femme en burqa. La tendance chrétienne représentée par l'UDF insiste plus sur ce qu'elle perçoit comme une guerre de civilisation. Une toute petite minorité reste au premier degré et voit le minaret comme une réelle menace à interdire. Enfin, parmi les partisans du oui, figurent des défenseurs de la laïcité et des «valeurs suisses», dont des gens de gauche.


Après des questions très pratiques sur le voile ou des cours de piscines non mixtes, la récente polémique sur la burqa et maintenant ce vote semblent déconnectés du vécu quotidien. Comment expliquer ce glissement vers le symbolique?

Parce que l'intégration des musulmans se passe plutôt bien. Force alors est d'agiter les peurs et les fantasmes en recourant à des éléments symboliques et visibles. Les minarets? Il y a peu de demandes pour en construire. Mais on assure sur aucune base qu'elles vont exploser!


Une bonne intégration? Faites-vous preuve d'angélisme?

Il y a des problèmes, comme il y en a eu avant avec les Espagnols, Portugais, Italiens, mais l'intégration en général des musulmans en Suisse et en Europe se passe bien.


Vous soulignez pourtant que les peurs et méfiances liées à l'islam sont aussi dues à l'expérience et à l'actualité!

En France, la burqa semble un «micro-problème». Il existe, il faut l'aborder et le régler de façon pragmatique. En Suisse, il y a eu la question des cours de natation séparés pour les filles. Mais quantitativement, ce sont très peu de demandes. Et les autorités fédérales ont réglé cela en mars dernier de façon très pragmatique. Ceci dit, il faut être clair sur ce que l'on accepte ou pas et rester vigilant avec les extrémistes.


Si l'on songe au voile, l'islam peut en particulier être perçu comme un obstacle à l'émancipation des femmes.

C'est vrai que les musulmans ont souvent un problème avec les rapports de genre. Mais ce que le non-musulman met dans le voile, cela le regarde. Le voile est porté selon des motivations diverses. Il y a les discours traditionnel, spirituel, la revendication identitaire ou politique. Et il y a l'obligation. Dès lors, il faut déterminer dans quelles limites placer le voile tout en favorisant le vivre-ensemble, qui est le but premier. En Suisse, chaque canton trouve des solutions pragmatiques pour permettre la pluralité culturelle. Mais les réactions épidermiques à l'islam qui se figent dans des refus de principe ne font qu'évacuer le débat.


Donc cette initiative est l'occasion de débattre?

Oui, il est évident que le débat sur l'islam en Europe et en Suisse doit avoir lieu. Mais via la polémique, la provocation, à la limite l'insulte? Ce ne sont pas les bonnes conditions pour un débat démocratique. Reste que les adversaires de l'initiative doivent maintenant aller sur le ring au lieu de s'attaquer à l'affiche de l'UDC en lui offrant une posture de victime.


N'a-t-elle pas franchi la ligne rouge?

Avec cette affiche, l'UDC se décrédibilise. Elle montre combien les minarets sont un prétexte et que les interdire n'a, par conséquent, aucun sens.


Pourquoi serait-il important que les musulmans puissent construire des minarets?

C'est un signe de visibilité. Une reconnaissance de leur présence en Suisse et en Europe aujourd'hui. Ils sont européens, suisses, ils font partie de notre réalité. C'est peut-être difficile à admettre qu'il ne suffit pas de s'appeler Jean-François, Stéphane ou Robert pour être suisse aujourd'hui. On a admis que Francesco ou Juan, c'était bon. Erkan, Ahmed ou Mohamed, ça l'est aussi. Cela ne se fait pas sans tensions, certes. Mais faut-il dire à ces gens, qui pour beaucoup ont un passeport suisse, qu'ils ne sont pas des nôtres? Il faudra en assumer les conséquences.


Lesquelles?

Les frustrations pourront déboucher sur une radicalisation, une violence ou un repli identitaire.


Le message n'est pas forcément que les musulmans n'ont pas leur place, mais qu'ils doivent être «comme» les Suisses?

Mais au nom de quoi? Si on dit ça, alors on revoit notre conception de la pluralité, du respect de la différence, de la tolérance. La question sous-jacente est plutôt de définir ce que signifie être suisse aujourd'hui. Et là, il y a du travail, entre ceux qui mettent en avant les racines chrétiennes ou plutôt la laïcité ou encore la diversité culturelle et religieuse!


L'UDC sortira-t-elle gagnante quel que soit le résultat?

Oui, car même si elle se prend une veste, son objectif minimal de susciter le débat sur l'islam sera atteint. Là où l'UDC court un risque, c'est si elle recourt pendant la campagne à des moyens tellement malhonnêtes qu'elle aura réussi à braquer les gens même au sein de ses troupes. Une division laisserait des traces durables à l'interne. L'encart publicitaire de l'UDC genevoise contre la «racaille» d'Annemasse est à cet égard éclairant.


Si l'initiative passe, quelles conséquences pour la démocratie suisse?

Ce sera la preuve que le système fonctionne puisque le peuple peut faire passer une initiative. Mais ce serait un gros revers pour le Conseil fédéral et les partis. Ils devront assumer les conséquences d'avoir laissé passer devant le peuple un objet aussi émotionnel et juridiquement controversé en pariant sur le fait que la raison l'emportera. I
Note : 1Sous la direction également de Patrick Haenni, édité par Religioscope et Infolio, 109 pp.

Aucun commentaire: